Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er décembre 2020 et 17 septembre 2021 (ce dernier non communiqué), M. E... D... et Mme B... C..., représentés par Me Neraudau, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa demandé ou de réexaminer la demande, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France attaquée est entachée d'erreur dans l'appréciation du lien de filiation lequel est établi par les actes d'état civil produits et par des éléments de possession d'état ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 décembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé.
Par une décision du 24 septembre 2020 du bureau d'aide juridictionnelle (section administrative) du tribunal judiciaire de Nantes, M. D... n'a pas été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ody,
- et les observations de Me Néraudau, pour M. D... et Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 18 juin 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. E... D... et Mme B... C... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 22 juillet 2019 de l'autorité consulaire française à Pointe-Noire (République du Congo) refusant de délivrer à l'enfant Kenny C... un visa de long séjour demandé en qualité de membre de famille de réfugié. M. D... et Mme C... relèvent appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des écritures du ministre de l'intérieur produites en première instance que la décision implicite de la commission de recours est fondée sur le caractère apocryphe et opportun de l'acte de naissance et du jugement supplétif produits pour l'enfant.
3. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger (...) qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. (...) ".
4. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux.
5. A l'appui de la demande de visa en litige ont été produits un acte de naissance dressé sur le fondement d'un jugement supplétif de naissance rendu le 23 septembre 2014 par le tribunal d'instance de Tie-Tie Pointe-Noire. Pour remettre en cause le caractère probant de ces documents, le ministre de l'intérieur relève que la transcription de l'acte de naissance comporte plusieurs mentions supplémentaires par rapport au jugement supplétif, que ce jugement supplétif a été rendu tardivement, 13 ans après la naissance et 11 ans après l'obtention par M. D... du statut de réfugié et que l'enfant n'a pas été déclaré par les requérants à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides. Toutefois, ces circonstances ne sont pas à elles seules de nature à établir le caractère frauduleux des documents ainsi produits. Dans ces conditions, la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que le lien de filiation du demandeur de visa avec M. D... n'était pas établi.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. D... et Mme C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 22 juillet 2019 de l'autorité consulaire française à Pointe-Noire (République du Congo) refusant de délivrer à l'enfant Kenny C... un visa de long séjour demandé en qualité de membre de famille de réfugié.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
7. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à M. A... C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ce visa dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... C... F... la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 juin 2020 et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. A... C... un visa de long séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. D... et Mme C... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D..., à Mme B... C..., M. A... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente assesseure,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er février 2022.
La rapporteure,
C. ODY
Le président,
J. FRANCFORT Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT03731