Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 décembre 2020, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 16 décembre 2020 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... H... née K... G..., Mme I... C... A..., Mme B... C... A... et M. F... C... A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- l'administration a répondu à la demande d'exposé des motifs de Mme D... K... G... ; la décision litigieuse est une décision explicite, dont la notification est revenue avec la mention " destinataire inconnu à l'adresse " ;
- les actes d'état-civil produits ne sont pas probants et ne permettent d'établir ni l'identité des demandeurs de visa, ni le lien de filiation avec Mme D... K... G... ; le lien de filiation des enfants avec J... D... K... G... n'est pas mieux démontré par les éléments de possession d'état ;
- les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant n'ont pas été méconnus.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 mai 2021, Mme D... H... née K... G..., Mme I... C... A..., Mme B... C... A... et M. F... C... A..., représentés par Me Pollono, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Mme D... H... née K... G... a été a été maintenue de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frank,
- et les observations de Me Pollono, représentant Mme D... H... née K... G..., Mme I... C... A..., Mme B... C... A... et M. F... C... E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... H... née K... G... est une ressortissante somalienne née le 1er janvier 1980. Elle s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée en 2011, et a sollicité la délivrance de visas d'entrée et de long séjour en France pour ses enfants allégués, J... I... C... A..., née le 30 décembre 1997, Mme B... C... A..., née le 1er novembre 1998 et M. F... C... A..., né le 1er octobre 1999. Mme K... G..., Mme I... C... A..., Mme B... C... A... et M. F... C... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 6 juillet 2015 par laquelle l'autorité consulaire française à Djibouti a refusé de délivrer les visas de long séjour demandés. Par un jugement du 16 décembre 2020 le tribunal administratif a annulé cette décision de la commission de recours et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger (...) qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 (...) sont applicables. / (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code, alors en vigueur : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. " Aux termes de l'article L. 411-3 du même code, alors en vigueur : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.
3. D'autre part, l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, prévoit par ailleurs, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes par décision du 15 mars 2017, dont la notification ne comprenait pas le nom d'épouse de la requérante et qui est donc revenue avec la mention " destinataire inconnu à l'adresse ", au motif que l'identité des intéressés et leur lien familial à l'égard de Mme K... G... n'étaient pas établis.
5. A l'appui des demandes de visas, et pour justifier de l'identité des enfants I... C... A..., B... C... A... et F... C... A... ainsi que du lien de filiation à l'égard de Mme K... G..., ont été produits des certificats de naissance établis par la municipalité de Jilip le 6 décembre 2013. Ces certificats, légalisés le 10 décembre 2013 par les autorités consulaires somaliennes, mentionnent la date et le lieu de naissance des intéressés, ainsi que le nom de la mère, Mme D... K... G.... Les intimés font valoir, sans être sérieusement contredits, que ces actes sont consécutifs à la déclaration des trois enfants par leur père, dans le cadre des opérations de recensement général organisées par les autorités somaliennes en 2012. Le ministre soutient que ces certificats, qui ont été délivrés sur simple déclaration, plusieurs années après les évènements qu'ils relatent, ne présentent ni les conditions de forme ni les conditions de fond permettant de les faire regarder comme des actes d'état civil probants. Toutefois, l'administration ne précise pas quelles règles relatives à l'état-civil somalien auraient été méconnues en l'espèce. Par ailleurs les passeports des intéressés, dont les mentions concordent avec celles des certificats de naissance, font également apparaître Mme K... G... sous la mention " nom de la mère ". Les circonstances que ces passeports ne comporteraient pas de date de délivrance lisible, ou qu'ils auraient été établis antérieurement aux certificats de naissance, à les supposer établies, ne sont pas de nature à démontrer que les actes produits seraient irréguliers, falsifiés, ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondraient pas à la réalité. Si Mme K... G... a déclaré, dans son formulaire de demande d'asile en 2011, que les enfants B... et F... étaient nés le 1er octobre 1998 et le 15 septembre 1999, alors que les certificats de naissance mentionnent les 1er novembre 1998 et le 1er octobre 1999, cette indication ne suffit pas à remettre en cause le lien de filiation allégué, et alors que, pour le reste, les énonciations contenues dans ces documents sont conformes aux différentes déclarations faites par l'intéressée devant l'Office français de protection des réfugiés. Dès lors, c'est par une inexacte application des dispositions précitées que la commission a rejeté les demandes de visa litigieuses au motif que l'identité des intéressés et leur lien familial avec Mme K... G... n'étaient pas établis.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme D... H... née K... G..., la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant le recours dirigé contre la décision du 6 juillet 2015 des autorités consulaires françaises à Djibouti refusant de délivrer à Mme I... C... A..., Mme B... C... A... et M. F... C... A... des visas de long séjour en qualité de membres de famille d'une réfugiée.
Sur les frais liés au litige :
7. Mme D... H... née K... G... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Pollono dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Pollono, avocate des requérants, la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Pollono renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... H... née K... G..., Mme I... C... A..., Mme B... C... A..., M. F... C... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente-assesseure,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er février 2022.
Le rapporteur,
A. FRANKLe président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 20NT04085