Par une requête, enregistrée le 6 décembre 2019, la Mission de l'Adoption Internationale, agissant au nom du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 27 novembre 2019 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande de Mme D... E... présentée devant le tribunal administratif de Nantes.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a retenu que ses décisions étaient entachées d'un vice de procédure ; les décisions de refus de visas ont été précédées d'une instruction des demandes par l'Autorité centrale pour l'adoption internationale, en date du 28 février 2017 ; cette instruction a été donnée par télégramme diplomatique, selon l'usage ;
- par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, aucun des autres moyens invoqués par Mme E... en première instance ne sont fondés.
La requête a été communiquée à Mme E..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2008-1176 du 13 novembre 2008 ;
- le décret n° 2009-407 du 14 avril 2009 relatif à l'Autorité centrale pour l'adoption internationale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- et les conclusions de M. Mas, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... E... veuve H... L... est une ressortissante française. Elle a épousé, en 1980, M. L... H.... De la relation extra-conjugale de M. H... avec Mme G... K..., seraient nés, en République démocratique du Congo, les enfants J... B..., O..., N... et P... H.... M. H... et Mme Mme K... seraient décédés en 2009. Mme E... a présenté à la fin de l'année 2016, des demandes de visas en vue de faire venir les quatre enfants, qu'elle déclare avoir adoptés en 2012. Par une décision du 28 février 2017, notifiée le 3 mars 2017, l'ambassadeur de France en République démocratique du Congo a refusé de délivrer les visas sollicités pour ces enfants. Par quatre décisions du 28 juin 2017, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les recours préalables formés contre cette décision. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères relève appel du jugement du 27 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé les décisions du 28 juin 2017, enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer les demandes de visas de long séjour et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais liés à l'instance.
2. Le tribunal administratif de Nantes a annulé les décisions du 28 juin 2017 au motif que le ministre n'a pas justifié de ce que les décisions de refus de visas ont été précédées de l'instruction des demandes par l'Autorité centrale pour l'adoption internationale, en méconnaissance de l'article 4 du décret du 13 novembre 2008 relatif aux attributions des chefs de mission diplomatique et des chefs de poste consulaire en matière de visas et de l'article R. 148-11 du code de l'action sociale et des familles. Toutefois, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères produit, pour la première fois en appel, l'instruction particulière du 28 février 2017 des services compétents du ministre des affaires étrangères, notifiée le même jour par télégramme diplomatique à l'ambassade de France en République démocratique du Congo. Ainsi, le moyen tiré de ce que les décisions de la commission de recours sont entachées d'un vice de procédure ayant privé la requérante d'une garantie, faute que sa demande ait été instruite par le ministre en charge des affaires étrangères, doit être écarté comme manquant en fait.
3. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur ce motif, pour annuler les décisions contestées.
4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme E... devant le tribunal administratif de Nantes.
5. En premier lieu, en vertu des dispositions de l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision du 28 juin 2017 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, prise sur recours préalable obligatoire, s'est substituée à la décision de l'ambassade de France du 28 février 2017. Il suit de là que les conclusions à fin d'annulation de Mme E... doivent être regardées comme étant dirigées contre la seule décision de la commission de recours et les moyens dirigés contre la décision de l'ambassade de France doivent être écartés comme inopérants.
6. En deuxième lieu, la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 20 juin 2017 comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de son insuffisance de motivation doit être écarté comme manquant en fait.
7. En troisième lieu, il ressort des termes de la décision contestée que, pour refuser de délivrer aux enfants J... B..., O..., N... et P... H..., les visas sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce que leurs actes de naissance, établis tardivement le 25 février 2012, sans explications circonstanciées, suivant jugements supplétifs rendus plusieurs années après les naissances, et trois ans après le décès des parents, ne sont pas probants et ne permettent pas d'établir leur identité, et, d'autre part, de ce que la décision constatant la désignation du tuteur, produit au recours, a été établie le 4 avril 2017, postérieurement au jugement d'adoption de 2012, qui n'a pas fait l'objet d'une exequatur ou d'un agrément préalable de Mme E..., ressortissante française, et n'est pas conforme aux article 664 et 224 du code de la famille, ce qui lui ôte toute valeur probante.
8. D'une part, l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit en son premier alinéa que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
9. En l'espèce, la circonstance que les actes de naissance aient été établis en 2012, en transcription de jugements supplétifs rendus plusieurs années après la naissance des enfants, ne suffit pas à établir le caractère frauduleux ou inauthentique de ces actes en l'absence de toute contradiction ou incohérence entre ces documents, et à défaut pour le ministre d'établir que la loi étrangère s'y opposerait. Si le ministre des affaires étrangères fait valoir que les jugements supplétifs ont été rendus à la demande de Mme I... H... en sa qualité de " soeur biologique des enfants ", alors que l'intéressée ne serait pas la fille de M. L... H..., un tel motif n'est pas au nombre de ceux qui fondent la décision de la commission de recours et, en tout état de cause, cette circonstance n'est pas davantage de nature à retirer à ces actes leur valeur probante. Dans ces conditions, Mme E... est fondée à soutenir que la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que les documents d'état civil produits ne présentaient pas un caractère probant pour établir l'identité des enfants J... B..., O..., N... et P... H....
10. D'autre part, l'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. Dès lors, dans le cas où un visa d'entrée et de long séjour en France est sollicité en vue de permettre à l'adopté de rejoindre ses adoptants, titulaires de l'autorité parentale, ce visa ne peut en règle générale, eu égard notamment aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, être refusé pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille. En revanche, et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, l'autorité chargée de la délivrance des visas peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, sur un motif d'ordre public, notamment en cas de fraude ou de situation contraire à la conception française de l'ordre public international.
11. La conception française de l'ordre public international suppose que le consentement à l'adoption d'un enfant soit notamment donné par son représentant légal. Par ailleurs, les articles 664 et 671 du code de la famille congolais prévoient que si l'adopté mineur n'a ni père ni mère susceptible de donner son consentement, celui-ci doit être donné en personne par le tuteur, devant le tribunal de paix, ou à défaut, résulter d'un acte authentique. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le consentement du tuteur n'a pas été donné devant le tribunal ayant rendu la décision d'adoption des enfants au profit de Mme E... le 13 juin 2012, et il ne ressort pas des pièces du dossier que ce consentement a été préalablement recueilli au sein d'un acte authentique. Si Mme E... soutient que l'oncle des enfants, M. B..., a donné ce consentement le 2 juin 2012, après avis du conseil de famille, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé n'a été désigné tuteur légal des enfants que par un jugement du 4 avril 2017, postérieur à l'adoption. Dans ces conditions, en refusant les visas sollicités au motif que le jugement d'adoption est dénué de force probante, dès lors qu'il a été pris sans le consentement à l'adoption donné par le représentant légal des enfants, désigné postérieurement à cette décision et en contrariété avec le code de la famille congolais, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pas fait une inexacte appréciation des faits de l'espèce. Il résulte de l'instruction que la commission aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur ce seul motif.
12. Enfin, et en tout état de cause, la circonstance que le jugement d'adoption n'a pas fait l'objet d'une exequatur en France ou d'un agrément préalable de Mme A...olo n'est pas contesté.
13. En dernier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 11 que le lien de filiation entre la requérante et les enfants J... B..., O..., N... et P... H... ne peut être regardé comme établi par le jugement d'adoption du 13 juin 2012. Par suite, et alors en tout état de cause qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que des liens affectifs et familiaux ont été créés entre la requérante et les enfants, les moyens, tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, doivent être écartés.
14. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'Europe et des affaires étrangères est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé les décisions du 28 juin 2017 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, a enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer les demandes de visas de long séjour présentées pour Angélique B..., O..., N... et P... H... et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes n°s 1707835, 1707855, 1707857, 1707861 du 27 novembre 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E... veuve H... L..., au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 5 février 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme F..., présidente-assesseur,
- M. C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mars 2021.
Le rapporteur,
A. C...Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT04742