Procédure devant la cour :
Par une requête, transmise à la cour par une ordonnance du 26 décembre 2018 du président de la cour administrative d'appel de Bordeaux, prise sur le fondement de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, et un mémoire complémentaire enregistrés les 26 décembre 2018 et 10 septembre 2019, Mme F... J..., agissant au nom de ses enfants mineurs et M. H..., représentés par Me E..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 11 avril 2018 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités par M. H... et les enfants Love B..., Juste Goya Soignet, François Goya Longo, Tabita Goya Kotte et Félicie Goya Zounimniat, dans un délai de 8 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à défaut, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer leurs demandes de visas, dans les mêmes conditions de délais et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à leur conseil sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que leur conseil renonce à la part contributive de l'État, et, dans l'hypothèse où ils ne seraient pas admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, de mettre à la charge de l'État la même somme à leur profit au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce que les premiers juges n'ont pas analysé leur moyen tiré de la méconnaissance de l'article 22-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et ont omis d'y répondre ;
- la décision contestée est insuffisamment motivée ; elle a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- s'agissant des refus de délivrance de visas aux enfants Juste Goya Soignet, François Goya Longo, Tabita Goya Kotte et Félicie Goya Zounimniat : l'identité et le lien de filiation sont établis par les actes de naissance produits résultant de la transcription des jugements supplétifs ; si les actes de naissance des quatre enfants indiquent qu'ils ont été dressés sur la base de jugements supplétifs rendus le 26 juin 2016, qui est un dimanche, cette date, apposée sur les jugements par un tampon, aujourd'hui illisible sur les copies de ces jugements, résulte d'une erreur matérielle ; les services d'état civil centrafricains sont sujets à des graves dysfonctionnements comme en attestent de nombreux rapports ; une requête en rectification d'erreur matérielle a été introduite devant le tribunal de grande instance de Bangui et les actes de naissance ont été rectifiés pour chacun des quatre mineurs ; la décision attaquée se trouve entachée d'un vice de procédure dès lors que les autorités étrangères compétentes n'ont pas été saisies ; le lien de filiation est également établi par la possession d'état ;
- s'agissant du refus de délivrance d'un visa à M. H... : le lien de filiation entre celui-ci et les enfants est également établi ;
- s'agissant du refus de délivrance d'un visa à l'enfant A... B..., issu d'une précédente union : le lien de filiation entre Mme F... J... et sa fille n'est pas contesté ; le père de l'enfant atteste de l'intention claire de ce dernier de ne pas prendre en charge son enfant .
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par Mme F... J... et M. H... ne sont pas fondés.
Mme F... J... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 décembre 2018.
Par une ordonnance du 4 septembre la clôture d'instruction a été fixée au 23 septembre 2019.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme F... J..., ressortissante centrafricaine, s'est vu reconnaître le bénéfice de la protection subsidiaire, le 22 novembre 2016. Le 17 janvier 2018, les autorités consulaires françaises en République centrafricaine ont refusé de délivrer à M. H... et aux enfants Love B..., Juste Goya Soignet, François Goya Longo, Tabita Goya Kotte et Félicie Goya Zounimniat les visas d'entrée et de long séjour qu'elle a sollicités au titre de la procédure de réunification familiale. Par décision du 11 avril 2018, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours contre ces refus de visa. Par jugement du 19 septembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme F... J... et M. H... tendant à l'annulation de cette décision. Ils relèvent appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...)".
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". La force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Pour rejeter la demande de visa présentée pour M. H... et les quatre enfants Juste Goya Soignet, François Goya Longo, Tabita Goya Kotte et Félicie Goya Zounimniat, la commission a estimé que leur identité et leurs liens familiaux avec Mme F... J... n'étaient pas établis. A l'appui des demandes de visas ont été fournis des actes de naissance pour les quatre enfants dressés au vu de jugements supplétifs dont il est mentionné qu'ils ont été rendus par le tribunal civil du 1er degré de Bangui, le 26 juin 2016, qui est un dimanche. Il ressort, toutefois, des pièces du dossier, notamment des jugements rectificatifs produits en appel, que cette date résulte d'une erreur matérielle lors de la retranscription des jugements supplétifs. Par suite, la commission de recours a entaché sa décision d'illégalité en estimant que l'identité et le lien de filiation entre Mme I... F..., M. H... et les enfants du couple ne sont pas établis.
5. Pour rejeter la demande de visa présentée pour l'enfant A... B..., issue d'une précédente union, la commission s'est fondée sur ce que Mme F... J... n'établissait pas que le père de l'enfant, M. B..., serait déchu de l'exercice de ses droits parentaux ou du droit de garde. Toutefois, d'une part, il n'est pas contesté que Mme F... J... dispose de l'autorité parentale sur cette enfant dont il ressort des pièces du dossier qu'elle réside en Centrafrique, d'autre part, que le père de l'enfant, qui réside en Chine, a, le 2 mai 2018, autorisé sa mère à entreprendre les démarches nécessaires pour que l'enfant vive auprès de sa mère en France. Par suite, et alors que, contrairement à ce que soutient le ministre, la demande de visa présentée par Mme F... J... relève de la procédure de réunification familiale prévue par les dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision portant refus de délivrance d'un visa à l'enfant A... B... est également entachée d'illégalité.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme F... J... et M. H... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
7. Eu égard au motif de l'annulation prononcée, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit, que le ministre de l'intérieur délivre à M. H... et les enfants Love B..., Juste Goya Soignet, François Goya Longo, Tabita Goya Kotte et Félicie Goya Zounimniat, dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt, un visa de long séjour. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Mme F... J... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me E... de la somme de 1 200 euros, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 19 septembre 2018 du tribunal administratif de Nantes et la décision du 11 avril 2018 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit, de délivrer un visa de long séjour à M. H... et aux enfants Love B..., Juste Goya Soignet, François Goya Longo, Tabita Goya Kotte et Félicie Goya Zounimniat, dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me E..., une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme F... J... et M. H... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... F... J..., à M. G... H..., Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme C..., présidente-assesseur,
- Mme Picquet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 novembre 2019.
Le rapporteur,
C. C...
Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT04543