Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 4 juin, 18 juin et 7 juillet 2020, Mme E..., représentée par Me Seguin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1907953 du 16 janvier 2020 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Kampala (Ouganda) du 11 février 2019 refusant de délivrer un visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié à M. G... C... ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il procède à une substitution de motif de la décision consulaire, sans en informer préalablement les parties ;
- la décision contestée est entachée d'erreur de droit ; le motif tiré de l'identité du postulant ne peut être légalement opposé pour refuser une demande de visa ;
- la décision contestée est entachée d'erreur d'appréciation ; un tel motif ne peut être opposé pour refuser une demande de visa ; l'identité du demandeur est établie ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juin 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.
Mme B... E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frank a été entendu au cours de l'audience publique :
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 16 janvier 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme B... E... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Kampala (Ouganda) du 11 février 2019 refusant de délivrer un visa de long séjour à M. G... C..., son époux, en qualité de membre de famille de réfugié. Mme H... E... relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Les décisions de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, prises en vertu des dispositions des articles D. 211-5 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, se substituent aux refus initiaux opposés par les autorités consulaires. Par suite, Mme H... E... n'est pas fondée à soutenir que les motifs retenus par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, révélés par le mémoire en défense du ministre de l'intérieur, ont été irrégulièrement substitués, par le tribunal administratif, aux motifs initiaux adoptés par les autorités consulaires.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint (...), âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage (...) est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / (...) / II -. Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / (...) ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / (...) ". L'article L. 721-3 du même code auquel renvoie le précédent texte dispose que : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine. Les pièces délivrées par l'office ne sont pas soumises à l'enregistrement ni au droit de timbre ".
4. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
5. Il résulte de ces dispositions que les actes établis par l'Office français des réfugiés et des apatrides sur le fondement des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas d'absence d'acte d'état civil ou de doute sur leur authenticité, et produits à l'appui d'une demande de visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, présentée pour les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire dans le cadre d'une réunification familiale, ont, dans les conditions qu'elles prévoient, valeur d'actes authentiques qui fait obstacle à ce que les autorités consulaires en contestent les mentions, sauf en cas de fraude à laquelle il appartient à l'autorité administrative de faire échec.
6. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du mémoire en défense de première instance du ministre, que, pour refuser de délivrer le visa de long séjour sollicité, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que l'identité du demandeur de visa et le lien matrimonial n'étaient pas établis, notamment du fait de l'absence de production de document d'identité.
7. En premier lieu, la circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des actes d'état-civil produits pour justifier de l'identité et, le cas échéant, du lien familial de l'intéressé avec la personne réfugiée en France. Dès lors, le moyen tiré de ce que le motif retenu par la commission de recours est entaché d'erreur de droit, doit être écarté.
8. Mme E... a produit, à l'appui de sa demande de visa, le certificat de mariage tenant lieu d'acte d'état-civil que le directeur de l'Office français des réfugiés et des apatrides (OFPRA) lui a délivré, le 30 septembre 2016, conformément aux dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, attestant de son mariage le 5 février 2012 à Senafe (Erythrée) avec avec M. C... G..., née le 21 mai 1986. Toutefois, pour établir l'identité de son époux, Mme E... ne produit que la demande d'asile de M. G... auprès des autorités ougandaises, datant de février 2018, qui ne mentionne que les nom et prénom du demandeur sans mentionner aucun autre élément d'identité. A défaut d'établir les modalités de son obtention, le certificat de baptême de M. G..., difficilement lisible, ne saurait suppléer l'insuffisance des actes d'état civil. Enfin, et en tout état de cause, les attestations produites, les échanges téléphoniques et les transferts d'argent récents effectués au profit de M. G..., ne sont pas de nature à établir l'identité du demandeur du visa. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées au point 3 en retenant l'absence de preuve de l'identité de M. G... pour refuser de délivrer le visa demandé.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 22 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente-assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2021.
Le rapporteur,
A. FrankLe président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01584