Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 juillet 2019 et 24 mars 2020, M. E..., représenté par Me Pronost, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas demandés ou de réexaminer les demandes, dans un délai d'un mois à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pronost, son avocate, de la somme de 1 800 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une irrégularité ; les premiers juges n'ont pas mis en oeuvre leur pouvoir d'instruction pour demander la production des dossiers des demandeurs de visas détenus par l'autorité consulaire française au Sénégal et non communiqués par le ministre de l'intérieur ;
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France attaquée est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen des éléments de possession d'état dont il s'est prévalu dans son recours administratif préalable obligatoire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
- elle est entachée d'une erreur dans l'appréciation du caractère probant des actes civils produits ; le lien matrimonial et les liens de filiation sont établis ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 novembre 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.
M. E... a été admis au bénéficie de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er juillet 2019 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nantes.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ody,
- les conclusions de M. Mas, rapporteur public,
- et les observations de Me Pronost, pour M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant guinéen, est entré en France en 2008 et a obtenu le statut de réfugié en septembre 2010. Des visas de long séjour ont été demandés pour Mme H... J... D... et les enfants B... E..., K... E... et L... E.... Par une décision du 16 mai 2017, l'autorité consulaire française à Dakar (Sénégal) a refusé de délivrer les visas demandés. Saisie d'un recours formé contre cette décision consulaire, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France l'a rejeté implicitement. Par un jugement du 20 mars 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. E... tendant à l'annulation de cette décision implicite de la commission de recours. M. E... relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...) ".
3. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Des extraits de registre d'actes de naissance ont été présentés, à l'appui des demandes de visas, pour les enfants, B..., L... et K... E.... Il ressort des pièces du dossier qu'au cours de l'instruction de ces demandes, les autorités consulaires françaises au Sénégal ont effectué une levée d'actes et ont reçu des services de l'état civil les copies littérales d'acte de naissance correspondant aux trois enfants déclarés par M. E... et mentionnant Mme H... J... D... comme étant leur mère. Par suite, en fondant sa décision implicite sur l'absence de preuve du lien familial et du lien filiation avec les demandeurs de visa, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a commis une erreur d'appréciation et ce, quand bien même M. E... a déclaré devant l'office français de protection des réfugiés et des apatrides être célibataire.
6. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision du 16 mai 2017 de l'autorité consulaire française à Dakar refusant de délivrer à Mme H... J... D... et aux enfants Lassana E..., B... E... et K... E... des visas de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement que soient délivrés à Mme D..., à Mme B... E..., à M. André E... et à M. Lassana E..., les visas de long séjour demandés. Il y a lieu d'ordonner au ministre de l'intérieur d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. M. E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, Me Pronost, son avocate, peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Pronost de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 8 février 2019 du tribunal administratif de Nantes et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme H... D..., Mme B... E..., M. André E... et M. Lassana E... les visas de long séjour demandés, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me Pronost la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. I... E..., au ministre de l'intérieur et à Me Pronost.
Délibéré après l'audience du 16 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, président assesseur,
- M. Frank, premier conseiller,
- Mme Ody, premier conseiller.
Lu en audience publique le 10 novembre 2020.
Le rapporteur,
C. Ody
La présidente,
C. BUFFET
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au
ministre de l'intérieur
en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis
en ce qui concerne les voies de droit commun
contre les parties privées, de pourvoir
à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT03120