Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 décembre 2019 et 3 juillet 2020, Mme G... Sy, en son nom et pour le compte de ses enfants mineurs, Mme J... Sy, M. D... Sy, représentés par Me Bourgeois, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 17 juillet 2018 de l'autorité consulaire française à Dakar (Sénégal) refusant de délivrer aux enfants, Hady Sy, M... K..., N... K..., J... K... et D... K..., des visas de long séjour demandés en qualité de membres de famille d'un ressortissant étranger bénéficiaire de la protection subsidiaire ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas demandés, dans un délai de quinze jours à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Bourgeois, leur avocat, de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- le jugement du tribunal administratif contesté est entaché d'une irrégularité ; il a rejeté leur demande en retenant la légalité du motif initial de la décision de la commission de recours, alors que le ministre de l'intérieur a expressément renoncé à ce motif et demandé sa substitution par un autre motif, lequel n'a pas même été examiné ;
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France attaquée a été prise en méconnaissance des articles L. 752-1 et L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; Mme J... Sy, âgée de dix-huit ans à la date de la demande de visa, a droit au bénéfice de la réunification familiale prévu par l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'erreur dans l'appréciation du caractère probant des actes d'état civil produits à l'appui des demandes de visas et les liens de filiation entre Mme G... Sy et les demandeurs de visas sont établis à tout le moins par des éléments de possession d'état ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juin 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé.
Mme Sy a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 novembre 2019 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nantes (section administrative).
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ody,
- et les observations de Me Guilbaud, substituant Me Bourgeois, pour Mme Sy.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 24 juillet 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme Sy et autres tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 17 juillet 2018 de l'autorité consulaire française à Dakar (Sénégal) refusant de délivrer aux enfants, Hady Sy, M... K..., N... K..., J... K... et D... K..., des visas de long séjour demandés en qualité de membres de famille d'un ressortissant étranger bénéficiaire de la protection subsidiaire. Mme Sy et autres relèvent appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :
2. Par un courrier du 28 décembre 2018, en réponse à une demande de communication des motifs de sa décision implicite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a indiqué à la requérante avoir fondé sa décision sur les motifs tirés de ce que " Mme Sy J... était âgée de plus de 18 ans le jour où elle a déposé sa demande de visa " et de ce que " par ailleurs, s'agissant des enfants D..., O..., M... et N..., les actes de naissance sont transcrits suivants jugements supplétifs tardifs, rendus respectivement 15, 13, 8 et 3 ans après les naissances, sur requête d'un tiers non habilité, sans explications circonstanciées, et en tout état de cause après l'obtention du statut de réfugiée de leur mère alléguée ".
3. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire (...) ".
4. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
6. S'agissant de Mme J... Sy, née le 26 février 1999, elle était âgée de dix-huit ans et un mois à la date de sa demande de visa de long séjour, le 22 mars 2017 et bénéficiait dès lors du droit de rejoindre sa mère, bénéficiaire de la protection subsidiaire, au titre de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, en retenant que Mme J... Sy était âgée de plus de dix-huit ans à la date du dépôt de sa demande de visa, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. S'agissant des enfants D..., O..., M... et N... K..., ont été produits à l'appui des demandes de visas des jugements supplétifs d'actes de naissance. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. En se bornant à soutenir que la requête a été présentée par un tiers non habilité, sans explications circonstanciées, sans préciser quelles dispositions de la législation étrangère auraient été méconnues, la commission de recours n'établit pas le caractère frauduleux du jugement supplétif et partant de l'acte de naissance. En outre, un jugement supplétif d'acte de naissance n'ayant d'autre objet que de suppléer l'inexistence de cet acte, la commission ne peut utilement retenir, compte tenu de la nécessité de présenter un tel acte à l'appui des demandes de visa, la circonstance que les jugements supplétifs d'actes de naissance des enfants contenus dans les demandes ont été établis tardivement, rendus respectivement 15, 13, 8 et 3 ans après les naissances et, en tout état de cause, après l'obtention du statut de réfugiée de leur mère alléguée.
8. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué, le juge peut procéder à la substitution demandée. Tel est le cas lorsque l'administration invoque dans son mémoire en défense, pour établir la légalité d'une décision refusant la délivrance d'un visa d'entrée sur le territoire français, confirmée pour un motif erroné en droit par la commission de recours, un motif tiré de ce que les documents produits à l'appui de la demande de visa laissaient subsister des doutes sur l'identité du demandeur.
9. Dans son mémoire en défense produit en première instance, le ministre de l'intérieur demande la substitution de ce motif entaché d'erreur de droit par un motif tiré de ce que, s'agissant des enfants J..., D..., O..., M... et N... K..., les actes de naissance transcrits suivants jugements supplétifs tardifs ne sont pas conformes à la loi guinéenne, plus particulièrement à l'article 601 du code de procédure guinéenne et aux articles 180, 182 et 196 du code civil guinéen.
10. Outre les jugements supplétifs d'acte de naissance rendus le 15 septembre 2016 et le 14 novembre 2016 et les copies intégrales des actes de naissance dressés sur la base de ces jugements supplétifs, la requérante a produit, dans la présente instance, de nouveaux extraits des registres d'état civil correspondant aux mêmes actes de naissance. Les circonstances que ces nouveaux extraits d'acte de naissance ont été délivrés le 19 décembre 2019, soit postérieurement au jugement de première instance du 24 juillet 2019 ou que les actes de naissance ont été dressés dans le délai d'appel prescrit par l'article 601 du code de procédure civile guinéen ou encore que la transcription des jugements supplétifs a été effectuée dans les registres des années de naissance des enfants et non dans les registres de " l'année en cours " ainsi que le prévoyaient les jugements supplétifs ne sont pas de nature à remettre en cause l'authenticité des mentions portées dans les documents d'état civil présentés à l'appui des demandes de visas. En outre, la circonstance que les actes de naissance comportent des mentions supplémentaires par rapport à celles figurant sur les jugements supplétifs n'est pas de nature à retirer à ces actes leur valeur probante. De plus, si les dispositions de l'article 196 du code civil guinéen prévoient que les actes d'état civil doivent mentionner l'heure de la naissance, ces dispositions régissent les déclarations de naissance auprès de l'officier d'état civil, dans le délai légal, et non les jugements supplétifs, lesquels sont régis par les dispositions de l'article 193 du code civil guinéen. Enfin, si le ministre de l'intérieur invoque les dispositions de l'article 218 du code civil guinéen, relatives au délai de déclaration des décès, le dépassement de ce délai ne suffit pas à établir que le certificat de décès concernant M. E... Sy, le père des enfants, présenterait un caractère frauduleux et cette circonstance est, en tout état de cause, sans influence sur la régularité des actes de naissance. Dans ces conditions, et alors en outre que Mme Sy a toujours déclaré l'existence de ses cinq enfants restés en Guinée lors de ses démarches auprès de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et que les numéros de passeport des enfants coïncident avec les mentions de leurs actes de naissance, la demande de substitution de motifs présentée par le ministre de l'intérieur ne peut être accueillie.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme Sy est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
12. Eu égard aux motifs qui le fondent, le présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés à Mme J... Sy, à M. D... Sy, à M. Hady Sy, aujourd'hui majeur, et aux enfants Abdoulaye Sy et N... K.... Il y a lieu dès lors d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ces visas aux intéressés dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
13. Mme Sy a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Bourgeois de la somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 24 juillet 2019 et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme J... Sy, à M. D... Sy et à M. Hady Sy ainsi qu'aux enfants Abdoulaye Sy et N... K... des visas de long séjour, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me Bourgeois une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... Sy, à Mme J... Sy, à M. D... Sy, à M. Hady Sy et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente assesseur,
- Mme Ody, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2021.
Le rapporteur,
C. Ody
Le président,
T. CELERIER Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT04716