Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 mars 2016, M. C..., représenté par Me Renard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 6 octobre 2015 ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre, à titre principal, de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de procéder à un réexamen du dossier, dans le même délai et sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que son avocat renonce à percevoir le montant correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
M. C...soutient que :
- les actes d'état-civil qu'il a produits doivent être regardés comme probants dès lors qu'ils ont été établis par l'ambassade de Somalie en Ethiopie ;
- ces actes ont été établis après une vérification opérée par les autorités consulaires ;
- l'acte de mariage établi par l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a valeur d'acte authentique ;
- il doit être tenu compte de la situation particulière tenant à l'état de désorganisation patente des services d'état-civil en Somalie ;
- le lien familial est prouvé par l'existence d'une situation de possession d'état ;
- il envoie régulièrement de l'argent à sa famille depuis que sa situation le lui permet ;
- il a toujours fait état de l'existence d'un conjoint et d'enfants auprès de l'OFPRA ;
- il a rendu visite à sa famille en Ethiopie en avril 2013 et en juin 2014 ;
- il communique régulièrement au téléphone avec son conjoint avec des cartes prépayées ;
- sa situation doit être appréciée au regard des difficultés particulières qu'il rencontre ;
- la décision attaquée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 janvier 2017, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Le ministre fait valoir qu'aucun des moyens d'annulation soulevés par le requérant n'est fondé.
M. C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 janvier 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Mony a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M.C..., ressortissant somalien, a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire le 18 octobre 2010 ; que les demandes de visas de long séjour présentées au profit de son épouse alléguée, MmeE..., des enfants G..., H..., I... et J... nés de cette union et des enfants Hassans et Fatouma qu'il indique être nés d'une précédente relation matrimoniale, ont été rejetées par les autorités consulaires françaises en poste en Ethiopie, pays où résident ces personnes ; que ce refus a été implicitement confirmé par la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, puis le 24 janvier 2013 de manière expresse, suite à la demande de communication des motifs présentée par M.C... ; que le recours contentieux formé contre cette décision a été rejeté par un jugement en date du 6 octobre 2015 par le tribunal administratif de Nantes, dont M. C...relève régulièrement appel ;
Sur les conclusions en annulation :
En ce qui concerne le lien matrimonial avec Mme E...
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable à la date où la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visas : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et apatrides les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état-civil. L'office est habilité à délivrer dans les mêmes conditions les mêmes pièces aux bénéficiaires de la protection subsidiaire lorsque ceux-ci sont dans l'impossibilité de les obtenir des autorités de leur pays. Le directeur général de l'office authentifie les actes et les documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine (...) " ; qu'aux termes du II de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015 : " La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. " ;
3. Considérant que les dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont, dès lors que la loi du 29 juillet 2015 n'a, en ce qui concerne leur entrée en vigueur, prévu ni délai particulier, ni disposition transitoire, devenues applicables le 31 juillet 2015, au lendemain de leur publication au Journal officiel ; qu'il en résulte que, à compter de cette date, les documents établis par le directeur de l'OFPRA en application des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile font foi, en ce qui concerne la procédure de réunification familiale, tant que n'a pas été mise en oeuvre par l'administration la procédure d'inscription de faux prévue par les articles 303 à 316 du code de procédure civile et en cours d'instance par l'article R. 633-1 du code de justice administrative, qu'elle qu'ait été la date de leur délivrance et sont applicables à toute situation non juridiquement constituée au nombre desquelles figurent les instances en cours concernant les refus de visas opposés au conjoint et enfants du demandeur ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.C..., bénéficiaire du régime de la protection subsidiaire, a produit un certificat établi le 19 mai 2011 conformément aux dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par le directeur de l'OFPRA attestant de son mariage avec Mme B...E... le 11 mars 2002 à Mogadiscio ; qu'en l'absence de mise en oeuvre par le ministre de la procédure d'inscription de faux, ce document fait foi en ce qui concerne l'existence des liens matrimoniaux unissant M. A...C...et MmeF... ;
En ce qui concerne le lien familial
5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " ;qu'aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état-civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent le cas échéant après toutes vérifications utiles que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. " ;
6. Considérant que l'administration est en droit de refuser la délivrance de visas de long séjour à des personnes se disant membres de la famille d'une personne à laquelle a été reconnu en France le bénéfice de la protection subsidiaire, lorsque le lien familial, matrimonial ou de filiation, n'est pas établi, notamment en raison de l'absence de caractère probants des documents d'état civil présentés pour établir ce lien ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. C...a produit à l'appui du recours formé devant la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, pour chacun de ses enfants allégués ainsi que pour l'enfant allégué de son épouse né d'une précédente relation, des documents établis soit le 25 soit le 26 janvier 2012, intitulés " birth certificate " émanant de l'ambassade de Somalie en Ethiopie ; que, toutefois, aucune des mentions figurant sur ces documents n'indique qu'ils émaneraient effectivement de la section consulaire de cette ambassade, alors même que l'identité de leur auteur, M.D..., fait seulement état de sa qualité de 2ème secrétaire (2nd secretary) auprès de cette ambassade ; qu'il ne ressort également pas des pièces du dossier, ainsi que le fait valoir le ministre sans être sérieusement contredit sur ce point, que les autorités diplomatiques somaliennes en poste en Ethiopie, faute de disposer d'autres registres d'état-civil que ceux établis par leurs soins dans leur ressort territorial, soient à même de produire des documents tenant lieu d'actes de naissance pour des enfants dont la municipalité de naissance, telle qu'elle y est indiquée, serait Mogadiscio ; que ces documents, au surplus, ne portent pas indication du nom du père, mais seulement de la mère ; que si M. C...produit également des documents, datés du 10 février 2014, établis par le " Somali Community in Ethiopia ", ces derniers, qui comme les précédents n'indiquent pas le nom du père des enfants, ne peuvent pas être regardés comme des actes d'état-civil et sont ainsi dépourvus de force probante ; que de tels documents ne peuvent ainsi être regardés comme faisant foi au sens des dispositions de l'article 47 du code civil précité ; que, dès lors, c'est sans erreur de droit ni erreur d'appréciation que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a pu estimer que lien de filiation entre M.C... et ses enfants allégués ne pouvait être regardée comme établie au regard des documents produits ;
8. Considérant, en deuxième lieu, que si M. C...fait valoir qu'il a toujours été constant dans ses déclarations relatives à la composition de sa famille et qu'il doit être regardé comme justifiant de l'existence d'une situation de possession d'état, les documents qu'il a produits au soutien de ce moyen ne permettent pas d'établir l'existence d'une telle situation, aucun élément ne permettant en particulier d'établir de manière probante que les voyages qu'il a accompli en Ethiopie en 2013 et 2014 ont réellement été pour lui l'occasion de revoir ses proches ; que le plus ancien des transferts d'argent dont la matérialité est établie remonte seulement à septembre 2013, alors que M. C...est lui-même entré en France en septembre 2009 ; que les rares photos qu'il produit, dont la date et les circonstances ne sont pas précisées ne suffisent pas à établir le maintien de liens forts entre l'intéressé et ses proches ;
9. Considérant, en dernier lieu, que c'est au terme d'une exacte motivation, dont il y a ainsi lieu de s'approprier les termes, que le tribunal administratif a écarté au point 6 de son jugement le moyen d'annulation tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ret de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. C...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, lequel est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation du refus de visa opposé à MmeF... ;
Sur les conclusions en injonction :
11. Considérant que le présent arrêt implique uniquement pour son exécution, eu égard au motif d'annulation retenu, qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à MmeF..., dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ; que le présent arrêt, qui rejette le surplus des conclusions en annulation présentées par M.C..., n'appelle pas d'autre mesure en vue de son exécution ;
Sur les conclusions en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991:
12. Considérant que M. C...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Renard, avocat de M.C..., de la somme de 1 000 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991 ;
D E C I D E :
Article 1er : La décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France est annulée en tant qu'elle rejette la demande de visa de long séjour de MmeF....
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif du 6 octobre 2015 est annulé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.
Article 3 : Il est enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à Mme B...E...dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : l'Etat versera à Me Renard une somme de 1000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de M. C...est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 30 mars 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président,
- M. Mony, premier conseiller,
- M. Sacher, premier conseiller,
Lu en audience publique le 16 avril 2018
Le rapporteur,
A. MONYLe président,
H. LENOIR
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 16NT01072