Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 8 janvier 2018, le 21 août 2018, la commune de Quiberon, représentée par le cabinet Coudray, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 27 octobre 2017, subsidiairement de le réformer en ce qu'il a reconnu le principe d'une indemnisation et apprécié le préjudice à hauteur de 3 000 euros ;
2°) de rejeter les demandes de M. et MmeD... ;
3°) de mettre à la charge de M. et Mme A...et Annie D...une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune soutient que :
- son appel n'est pas tardif, ayant été formé dans le délai légal de deux mois suivant la notification du jugement ;
- c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que les travaux d'aménagement qu'elle a fait réaliser impasse du point du jour étaient constitutifs d'une emprise irrégulière dès lors que ces travaux sont intervenus en accord avec les propriétaires d'alors des parcelles ;
- la voie litigieuse a été créée en 1980, alors que les terrains appartenaient à MmeF..., et celle-ci a donné son accord ;
- les travaux d'aménagement réalisés l'ont été à l'avantage des riverains, la voie étant entretenue par la commune ;
- M. et Mme D...savaient dès l'acquisition des terrains et que l'extrémité de leur parcelle correspondait à une partie de la voie publique devant ultérieurement être cédée à la commune ;
- un arrêté d'alignement a été pris le 29 décembre 2009 fixant la limite du domaine public ;
- la cession à venir d'une partie de la parcelle a encore été rappelée à M. et Mme D...à l'occasion du permis de construire qui leur a été délivré le 22 septembre 2010 ;
- ses courriers des 8 juin et 16 mai 2012 ne visaient pas à régulariser une emprise irrégulière ;
- M. et Mme D...ne cherchent qu'à profiter abusivement de la décision du conseil constitutionnel du 22 septembre 2010 pour l'obliger à leur racheter la partie de terrain correspondant à la voie ;
- aucune remise en état ne s'impose dès lors qu'il n'y a pas d'emprise irrégulière ;
- aucune démolition ne s'impose dès lors que la situation peut donner lieu à régularisation sous forme d'acquisition ou d'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- une procédure de transfert d'office dans le domaine public communal a été envisagée ;
-son utilisation d'une telle procédure était licite et étrangère au présent litige ;
- une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique a été engagée ;
- la démolition de la voie qui assure la desserte de l'impasse serait contraire à l'intérêt général ;
- son coût, estimé à 27 000 euros, est hors de proportion avec les intérêts publics en présence ;
- les prétentions indemnitaires de M. et Mme D...ne sont pas fondées ;
- M. et Mme D...n'ont subi aucun préjudice du fait de la présence d'une voie de desserte ;
- elle a été condamnée à tort dès lors que les requérants n'ont pas subi de préjudice indemnisable ;
- à supposer même qu'il y ait emprise irrégulière, l'indemnisation réclamée est prescrite dès lors que cette emprise remonte à 1980 ;
- à supposer même qu'il y ait préjudice, celui-ci ne peut atteindre la hauteur fixée par M. et MmeD... ;
- M. et Mme D...n'ont pas été privée de la propriété de leur terrain ;
- la valeur du terrain concerné, en nature de voirie, est très faible ;
- aucun préjudice moral ne peut être utilement invoqué au vu des circonstances du litige.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 mars 2018, M. et Mme A...et AnnieD..., représentés par MeC..., concluent au rejet de la requête, et par la voie de l'appel incident, à ce qu'il soit intégralement fait droit à leurs conclusions indemnitaires de première instance, et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune de Quiberon en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. et Mme D...font valoir :
- que la requête d'appel de la commune est irrecevable, faute d'avoir été formée dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement ;
- que l'emprise est manifeste ;
- qu'elle est irrégulière faute de tout accord formalisé des propriétaires et faute de tout titre de propriété de la commune ;
- que la commune a d'abord cherché à leur racheter la partie de terrain correspondant à l'emprise avant de se raviser ;
- que la commune de Quiberon incite également les propriétaires à faire usage de la procédure d'abandon pour régulariser des emprises irrégulières ;
- que le préjudice qu'ils font valoir n'est pas un trouble anormal de voisinage mais une occupation irrégulière de leur propriété sans que la collectivité ne cherche à y apporter de solution ;
- que la prescription quadriennale ne peut pas leur être opposée tant qu'il n'a pas été fait valoir l'existence d'une créance ;
- que la somme qu'ils réclament n'était pas excessive et correspond à la réalité des préjudices subis.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mony,
- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public,
- et les observations de MeE..., représentant la commune de Quiberon, et de MeC..., représentant M. et MmeD....
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme D...ont procédé à l'acquisition d'un terrain à bâtir, cadastré section BE 203, situé au 3 impasse du point du jour, à Quiberon (Morbihan). Ce terrain sert d'emprise, sur une surface de 77 m², à la voie de circulation qui dessert l'impasse. La commune de Quiberon leur a délivré le 22 septembre 2010 un permis de construire les autorisant à y construire une maison d'habitation, ce permis étant assorti d'une prescription tenant à la cession à titre gratuit, sur le fondement des dispositions de l'article L. 332-6-1 alors applicable du code de l'urbanisme, de la partie du terrain correspondant à la voie publique. Par décision du 22 septembre 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré non conformes à la Constitution les dispositions du 2° de cet article L. 332-6-1. Par courrier du 14 avril 2015, M. et Mme D...ont demandé à la commune de Quiberon de procéder sans délai à la remise en état de leur parcelle ou, à défaut de procéder à l'acquisition, au prix de 21 560 euros, de cette partie de terrain afin de l'incorporer au domaine communal. Par courrier du 15 juin 2015, la commune de Quiberon a refusé de faire droit à cette demande. M. et Mme D...ont contesté la légalité de cette décision, en demandant au tribunal administratif de constater l'empiètement irrégulier de la voie communale sur leur propriété, d'enjoindre à la commune de la faire cesser en démolissant l'ouvrage irrégulièrement implanté, en remettant les lieux en état et de condamner la commune à leur verser une somme de 23 560 euros. Le tribunal administratif de Rennes a partiellement fait droit à ces demandes en reconnaissant l'existence d'une emprise irrégulière et en condamnant la commune à indemniser M. et Mme D...à hauteur de 3 000 euros des préjudices en ayant résulté. La commune de Quiberon relève appel de cette décision. M. et Mme D...forment appel incident du jugement en ce que celui-ci ne leur a pas donné intégralement satisfaction au plan indemnitaire.
Sur la fin de non recevoir opposé à l'appel de la commune de Quiberon :
2. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été notifié à la commune de Quiberon, via Télérecours, le 7 novembre 2017. L'appel formé le 8 janvier 2018 par la commune l'a ainsi été dans le délai de deux mois prévu par l'article R. 811-2 du code de justice administrative et n'était, par suite, pas tardif. La fin de non recevoir opposée à ce sujet par M. et Mme D...ne peut ainsi qu'être écartée.
Sur l'appel principal :
En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale
3. C'est au terme d'une exacte motivation, développée au point 6 de son jugement, et qu'il y a par suite lieu d'adopter, que le tribunal administratif a écarté l'exception de prescription quadriennale soulevée par la commune en première instance.
En ce qui concerne l'existence d'une emprise irrégulière
4. C'est également au terme d'une exacte motivation, développée aux points 2 et 3 de son jugement, et qu'il y a par suite lieu d'adopter, que le tribunal administratif a jugé que les travaux d'aménagement de voirie réalisées par la commune de Quiberon sur la parcelle cadastrée BE 203 constituaient une emprise irrégulière sur la propriété de M. et MmeD....
En ce qui concerne les conclusions en démolition et remise en état de la parcelle
5. Lorsque le juge administratif est saisi d'une demande tendant à l'annulation d'une décision rejetant une demande de démolition d'un ouvrage public dont une décision juridictionnelle a jugé qu'il a été édifié irrégulièrement et à ce que cette démolition soit ordonnée, il lui appartient, pour déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, s'il convient de faire droit à cette demande, de rechercher, d'abord, si, eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible. Dans la négative, il lui revient ensuite de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence et notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.
6. Il résulte de l'instruction que la commune de Quiberon n'est pas privée de toute possibilité de régulariser la situation créée par la réalisation des travaux d'aménagement de voirie qu'elle a pris financièrement en charge en 1980 pour créer une voie de desserte dans ce qui est ensuite devenu l'impasse du Point du Jour. Cette régularisation n'implique pas nécessairement la démolition de cette voirie, laquelle aurait alors pour effet de priver l'ensemble des propriétés riveraines de cette impasse d'une desserte suffisante, faisant notamment obstacle au passage des engins de secours, alors même que plusieurs constructions ont désormais été édifiées, y compris par M. et MmeD..., pour tirer parti de l'existence de cette voire de desserte. La démolition de cette dernière et la remise en état du terrain apparaît, dans un tel contexte, entraîner une atteinte excessive à l'intérêt général. C'est par suite à juste titre que le tribunal administratif a rejeté les conclusions de M. et Mme D...tendant à la démolition de la voirie aménagée sur une partie de leur terrain et à la remise en état de celle-ci dans son état initial.
En ce qui concerne les préjudices allégués et leur indemnisation
7. Dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d'une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l'administration, l'est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l'extinction du droit de propriété. Si la décision d'édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée porte atteinte au libre exercice de son droit de propriété par celle-ci, elle n'a, toutefois, pas pour effet l'extinction du droit de propriété sur cette parcelle. Par suite, la réparation des conséquences dommageables résultant de la décision d'édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée ne saurait donner lieu à une indemnité correspondant à la valeur vénale de la parcelle, mais uniquement à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant de l'occupation irrégulière de cette parcelle et tenant compte de l'intérêt général qui justifie le maintien de cet ouvrage.
8. Il résulte de l'instruction et il n'est pas sérieusement contesté que M. et Mme D...étaient informés, dès leur acquisition de la parcelle cadastrée BE 203 en 2010, qu'une partie du terrain correspondant servait d'assiette, sur une superficie de 77 m², à la voie de circulation desservant l'impasse du point du jour. Il n'est pas davantage sérieusement contesté que M. et Mme D...n'ont jamais envisagé d'utiliser cette partie de leur terrain pour y édifier une construction, en faisant du même coup disparaître la voie de desserte leur permettant d'accéder au reste de leur propriété. Si l'estimation de la valeur de ces 77 m² à laquelle a procédé le service des Domaines en 2010 a été fixée à 21 560 euros, il est constant que cette estimation a été faite sur la base du prix du terrain constructible, alors même que, comme déjà indiqué, il ne résulte pas de l'instruction que M. et Mme D...aient eu le projet d'implanter leur future maison d'habitation précisément sur cette partie du terrain. La seule circonstance que la cession à titre gratuit qui devait être consentie à la commune de Quiberon en contrepartie de la délivrance d'une autorisation de construire n'ait pu aboutir, les dispositions de l'article L. 332-6-1 du code de l'urbanisme ayant été déclarées inconstitutionnelles, ne suffit pas à établir, en tout état de cause, que l'emprise irrégulière affectant leur propriété, alors même qu'ils tirent profit de cette situation, ainsi que les autres riverains de la voie, sous la forme de l'existence d'une desserte, leur aurait occasionné un préjudice matériel d'un montant équivalent à celui de l'estimation des Domaines. Il ne résulte pas de l'instruction que l'emprise irrégulière occasionne à M. et Mme D...une gêne particulière en ce qui concerne l'utilisation de leur parcelle, sur laquelle se trouve désormais édifiée leur maison d'habitation, ni, comme ils l'allèguent que l'absence de solution quant à l'existence de cette situation particulière soit exclusivement le fait de la commune de Quiberon. Celle-ci est ainsi fondée, compte tenu de tout ce qui précède, à soutenir que, en fixant à 3 000 euros l'indemnisation des différents préjudices subis par M. et Mme D...du fait de l'occupation irrégulière de leur propriété, le tribunal administratif n'a pas justement apprécié ceux-ci. Il y a lieu, par suite, de ramener à 1 000 euros cette indemnisation.
Sur l'appel incident de M. et Mme D...
9. Si M. et Mme D...soutiennent que le tribunal administratif n'a pas correctement apprécié le montant de leur préjudice et qu'il doit être intégralement fait droit à leurs prétentions indemnitaires, ces conclusions, compte tenu des éléments développés au point 7 du présent arrêt, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Quiberon, qui n'est pas la partie perdante dans la présente affaire, verse à M. et Mme D...la somme que ceux-ci réclament au titre des frais exposés par eux non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au profit de la commune de Quiberon.
D E C I D E :
Article 1er : L'appel incident de M. et Mme D...est rejeté.
Article 2 : La somme que la commune de Quiberon est condamnée à verser à M. et Mme D...est ramenée à 1 000 (mille) euros.
Article 3 : Le jugement du 27 octobre 2017 du tribunal administratif de Rennes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Les conclusions de la commune de Quiberon en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Quiberon et à M. A...D...et à Mme B...D....
Délibéré après l'audience du 29 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président,
- M. Degommier, président assesseur,
- M. Mony, premier conseiller,
Lu en audience publique le 18 juin 2019.
Le rapporteur,
A. MONY
Le président,
J-P. DUSSUET
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées,
de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 18NT00075 2