Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 juin 2015, Mme B...E...épouse A...C..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 4 juin 2015 ;
2°) d'annuler la décision du 27 décembre 2012 ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la contribution versée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- la décision contestée est insuffisamment motivée ;
- la décision est entachée d'une erreur de fait, elle ne peut travailler en raison de ses problèmes de santé mais elle justifie d'une bonne intégration dans la vie sociale ;
- le tribunal administratif a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne prenant pas en compte les revenus de son mari et de sa fille ;
- la décision du ministre porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;
- le ministre a commis un détournement de pouvoir en exigeant un niveau de revenus correspondant au SMIC, incompatible avec son état de santé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juillet 2015, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant ;
- les autres moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 août 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Francfort, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que Mme E..., ressortissante soudanaise admise au bénéfice du statut de réfugié en 2009, relève appel du jugement du 4 juin 2015 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 27 décembre 2012 du ministre de l'intérieur ajournant à deux ans sa demande de naturalisation ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la légalité externe :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 27 du code civil : " Toute décision déclarant irrecevable, ajournant ou rejetant une demande d'acquisition, de naturalisation ou de réintégration par décret ainsi qu'une autorisation de perdre la nationalité française doit être motivée " ; que la décision ministérielle contestée du 27 décembre 2012 comporte, avec suffisamment de précision, l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles elle est fondée ; que, par suite, elle est régulièrement motivée ;
En ce qui concerne la légalité interne :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger " ; qu'aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 : " (...) Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. Ce délai une fois expiré ou ces conditions réalisées, il appartient à l'intéressé, s'il le juge opportun, de déposer une nouvelle demande " ; qu'en vertu de ces dispositions, il appartient au ministre de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la nationalité française à l'étranger qui la sollicite ; que, dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte le degré d'insertion professionnelle et d'autonomie matérielle du postulant ;
4. Considérant que, pour ajourner à deux ans, par sa décision du 27 décembre 2012, la demande de naturalisation de Mme E..., le ministre s'est fondé sur les motifs tirés, d'une part, de l'insuffisance de son niveau de connaissance de la langue française et, d'autre part, sur le caractère incomplet de son insertion professionnelle et l'absence de ressources suffisantes et stables, constituées pour l'essentiel de prestations sociales ; que les premiers juges, après avoir neutralisé ce premier motif, ont estimé que le ministre avait pu légalement rejeter la demande dont il était saisi pour le seul motif tiré du défaut d'autonomie matérielle de la requérante ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, qu'à la date de la décision contestée, Mme E... n'exerçait pas d'activité professionnelle et que ses ressources étaient constituées pour l'essentiel de prestations sociales ; que si l'intéressée fait valoir qu'elle était inscrite à l'université et qu'elle a effectué des stages entre 2010 et 2012, elle soutient par ailleurs que son état de santé ne lui permettait pas de travailler ; que toutefois il n'est pas démontré qu'elle était inapte à l'exercice de toute activité professionnelle, sans qu'elle puisse utilement se prévaloir à cet égard de certificats médicaux établis le 21 janvier 2013 et le 22 mars 2014, postérieurement à la décision contestée ; qu'en outre, si la requérante soutient qu'elle n'est pas dépourvue d'autonomie matérielle dès lors qu'il convient de prendre en compte les revenus de son époux et de sa fille, Doha, il ressort des pièces du dossier qu'elle ne justifie, concernant son époux, que d'un avenant portant reconduction pour six mois du contrat à durée déterminée de celui-ci, signé le 16 juillet 2013, soit postérieurement à la date de la décision, et qu'elle ne produit qu'un bulletin de salaire portant sur la période du 1er au 16 novembre 2012 ; qu'ainsi, il n'est pas établi que les revenus de sa fille qui a déclaré 3 613 euros au titre de l'année 2012 ajoutés à ceux de son époux étaient suffisants pour subvenir aux besoins du foyer de Mme E... composé de six personnes ; qu'enfin la requérante ne peut utilement se prévaloir de la circulaire du 12 mai 2000 du ministre de l'intérieur, qui ne présente pas de caractère réglementaire ; que dans ces conditions, en estimant que son insertion professionnelle et son autonomie matérielle n'étaient pas avérées, le ministre, qui a fait usage de son large pouvoir d'appréciation de l'opportunité d'accorder la naturalisation sollicitée, n'a entaché sa décision d'ajournement à deux ans, ni d'erreur de fait ni d'erreur manifeste ;
6. Considérant que, par ailleurs, la décision par laquelle est ajournée une demande de naturalisation n'est pas, par nature, susceptible de porter atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale ; que, dès lors, Mme E... ne peut utilement invoquer la méconnaissance, par la décision contestée, des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
7. Considérant, enfin, que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme E..., n'appelle aucune mesure d'exécution ; que les conclusions de l'intéressée tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer sa demande ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont Mme E..., bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, demande le versement au profit de son avocat au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...E...épouse A...C...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 29 janvier 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- M. Mony, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 février 2016.
Le rapporteur,
J. FRANCFORT
Le président,
H. LENOIR
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15NT01879