Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 16 juillet et 2 décembre 2019, M. B..., représenté par Me Pollono, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer les demandes dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la composition de la commission de recours est irrégulière ; il n'est pas établi que la commission aurait siégé conformément aux dispositions de l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la formation de jugement du tribunal est irrégulière ; la présidente de cette formation de jugement est membre de la commission qui a rendu la décision faisant l'objet du litige ; les principes d'indépendance et d'impartialité des juges ont été méconnus ;
- les pièces versées au dossier établissent le lien de filiation allégué, ce qui démontre que la commission de recours n'a pas examiné avec sérieux sa demande ;
- les liens de filiation l'unissant aux deux enfants sont établis par les actes d'état civil produits et par la possession d'état ;
- il a toujours mentionné l'existence et l'identité de ses enfants depuis son arrivée en France ;
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision méconnaît les stipulations des articles 3-1 et 9-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 novembre et 19 décembre 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le moyen tiré de la composition irrégulière de la commission de recours est inopérant, la décision contestée est une décision implicite ;
- les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 juillet 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Buffet,
- et les observations de Me Pollono, pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 24 avril 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. B..., de nationalité guinéenne, tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer des visas d'entrée et de long séjour aux enfants E... et Hawa B..., en qualité de membres de famille d'un réfugié. M. B... relève appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...) II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables./ (...) /Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais./ Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. (...) ".
3. La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet la réunification familiale des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure notamment au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.
4. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) " et aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
6. M. B..., ressortissant guinéen né le 15 mars 1975, est entré en France le 19 mai 2014 selon ses déclarations. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides lui a reconnu la qualité de réfugié le 28 septembre 2015.
7. Pour justifier de ce qu'il est le père des enfants E... et Hawa, M. B... produit deux jugements supplétifs tenant lieu d'acte de naissance, n° 3835 et 3836, rendus le 4 octobre 2016 par la justice de paix de Pita, ainsi que les justificatifs de leur transcription dans les registres de l'état civil de la commune urbaine de Pita. Les jugements supplétifs de naissance du 4 octobre 2016 indiquent, chacun, les prénom et nom de l'enfant, ses date et lieu de naissance et les noms et prénoms du père et de la mère qui constituent des mentions essentielles pour l'établissement de leur filiation et les passeports des enfants reproduisent les mêmes mentions. Si ces jugements précisent qu'ils ont été rendus à la " requête en date du 4 octobre 2016 présentée par Mamadou F... B... ", cette seule mention ne suffit pas à établir, contrairement à ce que fait valoir le ministre, que M. B... était présent physiquement dans son pays à cette date alors qu'il ne pouvait l'être compte tenu de ce qu'il avait obtenu le statut de réfugié. Les circonstances que les jugements supplétifs ont été rendus, postérieurement à l'obtention par M. B... du statut de réfugié, plusieurs années après la naissance des enfants, qu'ils comportent la mention selon laquelle ils seront transcrits en marge des registres d'état civil de Pita pour les années 2003 et 2006 alors que l'article 180 du code civil guinéen, à le supposer applicable, ce qui est contesté par le requérant, prévoit que les registres sont " clos et arrêtés par l'officier de l'état civil, à la fin de chaque année " ou que les actes de naissance ont été dressés dans le délai d'appel prescrit par l'article 601 du code de procédure civil guinéen, ne sont pas de nature à remettre en cause l'authenticité des mentions portées dans les documents d'état civil présentés à l'appui des demandes de visa. Enfin, si les dispositions des articles 175, 183 et 196 du code civil guinéen prévoient que les actes d'état civil doivent mentionner l'heure à laquelle ils ont été établis, les lieux et dates de naissance des parents, leur profession et domicile, il ne résulte pas de ces dispositions que celles-ci seraient applicables à l'établissement des jugements supplétifs, en application des dispositions de l'article 193 de ce code, M. B... produisant un certificat par lequel le juge président du tribunal de première instance de Pita atteste que les jugements supplétifs tenant lieu d'actes de naissance rendus par les juridictions guinéennes ne comportent pas les mentions relatives à l'âge et à la profession des parents dès lors qu'elles ne sont pas prévues par cet article 193. Dans ces conditions, et alors que M. B... a, en outre, dès sa demande d'asile le 1er janvier 2014, et constamment depuis cette date, fait état de l'existence de ses deux enfants, et justifie avoir eu, au cours des années 2016, 2017 et 2018, de nombreuses conversations téléphoniques avec eux, en estimant que le lien de filiation entre ce dernier et E... et Hawa B... n'était pas établi, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué et les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
9. Le présent arrêt implique, eu égard aux motifs qui le fondent, qu'un visa de long séjour soit délivré aux enfants E... et Hawa B.... Il y a donc lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ces visas aux intéressés dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Pollono de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 24 avril 2019 du tribunal administratif de Nantes et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux enfants E... et Hawa B... des visas de long séjour, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me Pollono une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 2 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente-assesseur,
- Mme Ody, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 octobre 2020.
Le rapporteur,
C. BuffetLe président,
T. CELERIER
La greffière,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT02814