Procédure devant la cour :
I- Par une requête enregistrée le 2 octobre 2017 sous le n° 1703045, la commune de Saint-Suliac, représentée par MeH..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 31 août 2017 ;
2°) de rejeter la requête de M. I...C...et Madame A...F..., agissant en qualité d'ayants-droits de Monsieur B...C..., en tant qu'elle est dirigée contre la commune ;
3°) de mettre à la charge solidairement de M. I...C...et de MmeF..., agissant en qualité d'ayants-droits de Monsieur B...C..., une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la 5ème chambre du tribunal administratif de Rennes n'a pas pu régulièrement se réunir le jeudi 31 août 2017, pour prononcer la lecture de son jugement, en audience publique ;
- le litige, en tant qu'il portait sur l'engagement de la responsabilité de la commune, ne relevait pas de la compétence des juridictions administratives ;
- elle n'a pas commis de faute dès lors que la copie de l'acte authentique produit par les consorts C...ne permet pas de certifier, au regard de ses mentions difficilement lisibles, la matérialité des termes " domaine public ", que les termes " domaine public " ne figurent pas sur la délibération, rédigée par les services municipaux, au moment de son adoption, que la cession précitée n'est intervenue qu'à la suite de la délivrance d'une information inexacte de la part des services de l'Etat et qu'en s'entourant des services d'un professionnel du droit, assujetti à une obligation de résultat à son égard, elle n'a commis aucune faute d'imprudence, de nature à engager sa responsabilité ;
- la faute exclusive, de la part de l'autorité gestionnaire du domaine public, est de nature à rompre tout lien de causalité, entre les préjudices allégués par M. C...et l'éventuelle faute de la commune ;
- il ne peut être retenu un partage de fautes à 50-50, entre l'Etat et la commune pour des fautes distinctes ayant concouru à l'existence d'un même dommage, alors qu'une troisième entité était susceptible de voir engagée sa responsabilité, au titre du concours de fautes pouvant être relevé.
Par un mémoire enregistré le 1er décembre 2017, la commune de Saint-Suliac informe la cour du désistement de son appel principal, sous réserve que ce désistement fasse l'objet d'une acceptation pure et simple par les consortsC..., qui renonceront en retour à former un appel incident, à l'encontre du jugement déféré.
Par un mémoire enregistré le 1er décembre 2017, M. C...et Mme F...déclarent accepter le désistement d'instance de la commune.
Par un mémoire, enregistré le 16 février 2018, le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, conclut à ce que le jugement du 31 août 2017 soit confirmé et au rejet de la requête.
Le ministre fait valoir que :
- le litige doit être réglé sur le terrain quasi-contractuel, porte sur la responsabilité des personnes publiques en raison des conséquences d'une occupation sans titre de dépendances du domaine public et relève donc de la compétence du juge administratif ;
- le caractère difficilement lisible de la mention " domaine public " sur le contrat de vente de la digue n'est pas établi, la circonstance que la mention relative à la domanialité publique n'ait pas été reprise dans la délibération du conseil municipal de Saint-Suliac approuvant la cession n'est de nature qu'à confirmer le caractère fautif du comportement de la commune, le courrier de l'administration des Ponts et Chaussées de 1969 n'est pas relatif à la cession de la digue du moulin de Beauchet intervenue en 1973 mais seulement de la première cession intervenue en 1969, l'absence de mise en oeuvre par les services de l'Etat de leurs prérogatives domaniales pendant un certain temps est sans influence sur la faute commise par la commune, même s'il n'est pas contesté que l'Etat partage cette faute à parts égales avec la commune, dès lors que les services de l'Etat ont approuvé, au titre de leur pouvoir de tutelle, la cession d'un bien dont ils n'auraient pas dû ignorer qu'il relevait du domaine public, sans qu'ait d'influence l'assistance d'un notaire dans la conclusion de la vente.
Par un mémoire enregistré le 19 février 2018 la commune de Saint-Suliac, au vu du maintien de la requête n° 17NT03279 introduite par M. C...et Mme F...à son encontre, déclare retirer son désistement.
Vu la lettre en date du 21 août 2018, les parties ont été informées que l'affaire était susceptible, à compter du 5 septembre 2018, de faire l'objet d'une clôture d'instruction à effet immédiat en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire, enregistré le 4 septembre 2018, M. et MmeC..., représentés par MeE..., concluent au rejet de la requête présentée par la commune de Saint-Suliac.
Ils font valoir que :
- ils n'ont jamais entendus se désister de leur appel principal ;
- les moyens exposés par la commune dans la présente instance n'appellent pas de développements complémentaires à ceux qu'ils ont déjà formulés dans l'instance n°17NT03279.
Un mémoire, présenté pour la commune de Saint-Suliac, représentée par Me H..., a été enregistré le 14 septembre 2018 et n'a pas été communiqué.
Par une ordonnance du 17 septembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au même jour en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
II- Par une requête enregistrée le 31 octobre 2017, sous le n°1703279, M. I...C...et Mme A...C...épouseF..., représentés par MeE..., demandent à la cour :
1°) de réformer ce jugement du 31 août 2017 en tant qu'il ne fait que partiellement droit à leurs demandes ;
2°) outre la somme de 185 100 au versement de laquelle l'Etat a été condamné et de 35 120 à laquelle la commune a été condamnée, de condamner l'Etat, sinon l'Etat et la Commune de Saint-Suliac à, d'une part, verser à M. I...C...et MmeC..., en tant qu'héritiers de M. B...C...la somme de 228 890 et d'autre part, à M. I...C..., pour son préjudice propre, la somme de 62 919 , outre les chefs de préjudices et montants à parfaire, ces sommes portant intérêts à taux légal à compter du 30 décembre 2014, ces intérêts devant être capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts par application, et dans les conditions fixées à l'article 1154 du code civil ;
3°) subsidiairement, concernant leur préjudice économique en qualité d'héritiers de M. B... C..., de condamner l'Etat et, le cas échéant, l'Etat et la commune de Saint-Suliac, à les indemniser de la perte de la valeur vénale de leur parcelle à hauteur de 464 000 , ces sommes portant intérêt à taux légal à compter du 30 décembre 2014, ces intérêts devant être capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts par application, et dans les conditions fixées à l'article 1154 du code civil ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat et de la commune de Saint-Suliac, une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils produisent le courrier du 5 novembre 1981 par lequel EDF a accusé réception du chèque de 177 584 francs correspondant aux droits d'eau et il est indispensable d'actualiser ces valeurs, les droits d'eau correspondant aujourd'hui à 65 290,71 euros ;
- il est établi que 324 416 francs de travaux liés aux installations ont été versés en pure perte, cette somme actualisée en 2016 correspondant à la somme de 153 600 ;
- M. B...C...est fondé à obtenir le versement d'une somme de 15 000 en indemnisation de son préjudice moral et des troubles causés dans ses conditions d'existence, la somme de 5000 allouée par le Tribunal administratif étant démesurément faible ;
- M. I...C...est fondé à demander le versement de la somme de 15 000 au titre de son préjudice moral et des troubles causés dans ses conditions d'existence, dès lors qu'il a levé les hypothèques qui grevaient le bien et a également suivi l'ensemble des procédures juridictionnelles pendant de nombreuses années ;
- il est constant que le versement opéré par M. I...C...avait pour objet de lever des hypothèques, par conséquent si le bien n'avait pas été acquis par son père en raison de son appartenance au domaine public maritime, il est constant qu'il n'aurait pas opéré un tel versement et la réalité de son projet est largement démontrée par les attestations jointes au dossier de première instance, l'Etat devant être condamné à lui verser la somme de 40.000 en indemnisation de ce chef de préjudice ;
- le capital immobilisé par M. I...C...est de 40 0000 , le coût d'immobilisation du capital étant évalué à 7.919 et devant être indemnisé ;
- l'action n'est pas prescrite ;
- les fautes commises par l'Etat et la commune de Saint-Suliac sont multiples : M. C... a bénéficié d'une autorisation de travaux délivrée par le maire de Saint-Suliac le 5 mars 1968, un premier permis de construire lui a été accordé le 30 janvier 1969, portant sur la création de l'exploitation piscicole, par délibération du 21 septembre 1972, le conseil municipal autorisait le maire de Saint-Suliac, à vendre à M. B...C...une partie de la digue de Beauchet, sur une longueur d'environ 200 m, pour une superficie de 1322 m2, cadastrée section B n°951 (devenue AF n°20), au prix de 8000 francs, les informations délivrées par le service des Ponts et Chaussées de Saint-Servan, en date du 13 juillet 1966, indiquaient que les parcelles précitées " sont des parcelles privées " et que le vendeur était " libre d'en disposer ", de surcroît, un second permis de construire était délivré à M. C...le 5 octobre 1979 ;
- il est patent de M. B...C...ne se serait pas porté acquéreur des parcelles précitées s'il avait été averti de leur appartenance au domaine public maritime et n'aurait pas davantage procédé à des aménagements sur ces terrains ;
- de même, si M. I...C...avait été averti de l'appartenance du bien au domaine public maritime, il n'aurait nullement remboursé les dettes de ses parents ;
- l'Etat a fait preuve d'une particulière inertie en ne les avisant seulement en 2009 de l'appartenance du bien au domaine public maritime, alors que le décret portant délimitation du rivage de la mer dans l'estuaire de la Rance date du 10 janvier 1962 ;
- les travaux d'entretien de la digue, les installations réalisées et les taxes qui ont été acquittées ont profité à l'Etat, et cela au détriment des exposants ;
- les consorts C...subissent une rupture d'égalité devant les charges publiques et si le régime de l'incorporation des biens dans le domaine public maritime ne prévoit pas d'indemnisation des propriétaires, pourtant titrés, les demandeurs sont au surplus fondés à engager la responsabilité de l'Etat du fait des lois ;
- ils renvoient la Cour au chiffrage de leur préjudice développé dans la partie relative à la contestation du jugement ;
- ils sont fondés à demander le versement de la somme de 464 000 au titre de l'indemnisation du préjudice patrimonial lié à la valeur des biens repris par l'Etat et ce chef de préjudice pourra être augmenté des frais de recherche et d'acquisition d'un bien similaire.
Par un courrier enregistré le 31 janvier 2018, les requérants informent la cour qu'ils maintiennent leur requête en appel.
Par un mémoire, enregistré le 16 février 2018, le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, conclut à ce que le jugement du 31 août 2017 soit confirmé et au rejet de la requête.
Le ministre fait valoir que :
- il n'est pas contesté que l'Etat a commis une faute en fournissant par un courrier de l'administration des Ponts et Chaussées du 13 juillet 1966 une information erronée et une faute lourde dans l'exercice de son pouvoir d'autorité de tutelle, en approuvant la délibération du conseil municipal de Saint-Suliac du 21 septembre 1972 autorisant la vente de la digue du moulin de Beauchet ;
- les préjudices de M. C...et Mme F...sont sans liens avec l'exercice des pouvoirs de police de l'Etat sur le domaine public ;
- aucune responsabilité sans faute de l'Etat ou du fait des lois ne saurait être établie en l'espèce ;
- aucun droit à indemnisation de M. C...et Mme F...au titre de l'enrichissement sans cause ne saurait être retenu ;
- l'acquittement des droits d'eau sur l'étang de Beauchet ne présente aucune utilité pour l'administration et le domaine public maritime et ne peut donc être indemnisé ;
- dès lors que M. C...et Mme F...sont réputés n'avoir jamais été propriétaires des parcelles litigieuses qui relèvent du domaine public maritime, ils ne sauraient prétendre à une indemnisation en réparation du prix actuel d'une vente, à laquelle ils ne peuvent légalement consentir ;
- l'investissement réalisé par M. C...sur les parcelles litigieuses ne saurait être indemnisé dès lors qu'il est établi que l'activité aquacole sur ces parcelles n'était pas reprise ;
- les premiers juges ont procédé à une juste appréciation du préjudice moral de M. C...et MmeF..., M. C...n'apportant au demeurant aucun élément de nature à établir la réalité de son préjudice moral lié à son projet de reprise d'activité et le lien entre ce préjudice et la nullité de la vente.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 février 2018, la commune de Saint-Suliac, représentée par MeH..., conclut, à titre principal, à ce qu'il soit donné acte du désistement de l'appel principal des consortsC..., en tant que leur appel est dirigé contre la commune de Saint-Suliac, à titre subsidiaire, au non-lieu à statuer sur l'appel des consortsC..., sous réserve qu'il soit préalablement fait droit au moyen d'évocation soutenu par la commune dans le cadre de l'instance n°17NT03045 et à titre infiniment subsidiaire, au rejet de l'appel de M. C...et Mme F...en tant qu'il est dirigé contre la commune, et à ce qu'il soit mis à la charge solidaire de M. C...et de MmeF..., une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les consorts C...sont réputés s'être désistés de leur appel principal, en tant qu'il est dirigé contre l'exposante, le 1er décembre 2017 ;
- il y a non-lieu à statuer sur l'appel principal des épouxC... ;
- le litige, en tant qu'il portait sur l'engagement de la responsabilité de la commune, ne relevait pas de la compétence des juridictions administratives ;
- la faute exclusive, de la part de l'autorité gestionnaire du domaine public, est de nature à rompre tout lien de causalité, entre les préjudices allégués par M. C...et l'éventuelle faute de la commune ;
- l'éventuelle faute de la commune tenant à la délivrance d'autorisations d'urbanisme irrégulières, n'est pas en lien direct avec les préjudices subis par les demandeurs ;
- le rejet de l'appel des consorts C...s'impose, faute pour ces derniers de contester utilement le reste des considérations retenues par les premiers juges, à leur encontre, et au profit de la commune, aucune pièce nouvelle ne permettant de partager une lecture alternative.
Vu la lettre en date du 21 août 2018, les parties ont été informées que l'affaire était susceptible, à compter du 5 septembre 2018, de faire l'objet d'une clôture d'instruction à effet immédiat en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative.
Un mémoire, présenté pour les consortsC..., a été enregistré le 3 septembre 2018 et n'a pas été communiqué.
Par une ordonnance du 6 septembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au même jour en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public,
- et les observations de Me G...substituant MeH..., représentant la commune de Saint-Suliac, et de MeE..., représentant M.C....
Une note en délibéré, présentée pour les consorts C...dans l'affaire n° 17NT03045 a été enregistrée le 9 novembre 2018.
Une note en délibéré, présentée pour la commune de Saint-Suliac dans l'affaire n° 17NT03045 a été enregistrée le14 novembre 2018.
Une note en délibéré, présentée pour les consorts C...dans l'affaire n° 17NT03279 a été enregistrée le 9 novembre 2018.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que, par acte notarié du 27 mars 1969, M. B...C...a acheté à M. D...les parcelles cadastrées section E n° 159 et n° 178 situées à Saint-Père et A n° 26, B n° 204, n° 205, n° 214 et n° 215 situées au lieu-dit " Etang du moulin de Beauchet " à Saint-Suliac. Par acte notarié du 1er octobre 1973, M. C...a acquis auprès de la commune de Saint-Suliac une partie de la digue de Beauchet, d'une longueur de 200 mètres environ, aujourd'hui cadastrée AF n° 20. Par un arrêt devenu définitif n° 15NT01651 du 12 octobre 2015, la Cour a jugé que les parcelles B n° 204 et n° 205, aujourd'hui incluses dans une nouvelle parcelle AF 21 et sur laquelle M. C...a édifié des constructions pour l'exploitation d'un élevage de truites, est entièrement comprise dans les limites des dépendances du domaine public maritime délimité par le décret du 10 janvier 1962 portant délimitation du rivage de la mer dans l'estuaire de la Rance. M. B...C...et son fils, M. I...C..., ont demandé la condamnation de la commune de Saint-Suliac et de l'Etat tant sur le fondement de la responsabilité sans faute qu'à raison des fautes commises par la commune et l'Etat à avoir laissé M. B...C...acquérir des parcelles incluses dans le domaine public maritime. Par un jugement du 31 août 2017, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à payer à M. I...C...et à Mme A...F..., ayants-droits de M. B...C..., la somme de 185 100 euros, a condamné la commune de Saint-Suliac à payer à M. I...C...et à Mme A...F..., ayants-droits de M. B...C..., la somme de 35 120 euros, ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2014, avec une capitalisation des intérêts échus à la date du 30 décembre 2015 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur la jonction :
2. Par une première requête, enregistrée sous le n° 17NT03045, la commune de Saint-Suliac relève appel du jugement du tribunal administratif de Rennes du 31 août 2017 dans sa totalité. Par une seconde requête, enregistrée sous le n°17NT03279, M. et Mme C...relèvent appel de ce jugement en tant qu'il ne fait que partiellement droit à leurs demandes. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes dès lors qu'elles visent un même jugement, concernent l'indemnisation de mêmes faits dommageables et ont fait l'objet d'une instruction commune.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. En premier lieu, il ressort des écritures des parties, tant en 1ère instance qu'en appel, que l'action en responsabilité est fondée non pas sur les contrats de vente des parcelles en cause mais, en raison de l'illégalité non contestée de ces derniers, sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle, par le biais de l'enrichissement sans cause, et quasi-délictuelle pour ce qui concerne le préjudice subi du fait des fautes entraînant la nullité des contrats, ainsi que sur la responsabilité sans faute de l'Etat. Dès lors, l'engagement de la responsabilité de personnes publiques étant recherché, avec en particulier des fautes alléguées ayant conduit à une occupation sans titre du domaine public, c'est à bon droit que le tribunal a écarté l'exception d'incompétence de la juridiction administrative opposée par la commune de Saint-Suliac.
4. En second lieu, aux termes de l'article R. 741-1 du code de justice administrative : " Réserve faite des dispositions applicables aux ordonnances, la décision est prononcée en audience publique. ". La date de lecture mentionnée sur le jugement en cause fait foi jusqu'à preuve contraire. En se bornant à produire , d'une part le tableau des audiences collégiales pour l'année 2017-2018, établi par le président de la juridiction, et d'autre part le calendrier général des audiences, diffusé auprès du public sur le site Internet de la juridiction, la commune de Saint-Suliac n'établit pas l'absence de toute audience publique à cette date et par suite n'apporte pas la preuve contraire aux mentions du jugement. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-1 du code de justice administrative ne saurait être accueilli.
Sur le bien fondé du jugement attaqué :
S'agissant de la responsabilité :
En ce qui concerne l'engagement de la responsabilité de la commune :
5. En premier lieu, l'illégalité des autorisations d'urbanisme délivrées à M. C...n'est pas établie par la seule domanialité publique des biens en cause, en vertu du principe d'indépendance des législations. En tout état de cause, les fautes alléguées ne présentent pas de lien de causalité direct avec les préjudices invoqués, lesquels résultent de l'acquisition illégale par une personne privée de parcelles relevant du domaine public maritime.
6. En second lieu, dès lors qu'il était indiqué, de manière lisible, dans l'acte de vente en date du 28 novembre 1973 de la digue du moulin de Beauchet, cadastrée section AF n° 20, que ce bien était mentionné au cadastre comme appartenant au domaine public, qu'il résulte de l'instruction que la commune n'était pas propriétaire de ce bien en vertu d'un acte de propriété et au vu de la nature de ce bien et de sa localisation dans l'estuaire de la Rance, la commune a commis une faute en ne vérifiant pas l'appartenance de ce bien au domaine public maritime, comme l'a indiqué le jugement, qui n'est pas entaché de contradiction entre ses motifs sur ce point.
7. Il résulte de ce qui précède que la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que sa responsabilité pour faute s'agissant de l'acquisition de la digue de Beauchet a été retenue par le tribunal.
En ce qui concerne l'engagement de la responsabilité de l'Etat :
Sur la responsabilité sans faute de l'Etat :
8. Les consorts C...ne sauraient utilement se prévaloir d'une rupture d'égalité devant les charges publiques dès lors qu'il est constant que ce régime de responsabilité sans faute n'est applicable qu'en présence d'une décision administrative légale, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Ils ne sauraient davantage se prévaloir à ce titre de la responsabilité de l'Etat du fait du code général de la propriété des personnes publiques dès lors que leurs préjudices ne résultent pas de cette domanialité publique mais de l'illégalité de la vente d'un bien appartenant au domaine public de l'Etat.
Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :
9. En premier lieu, la faute alléguée tenant à la carence de l'Etat dans l'exercice de son pouvoir de police domaniale pendant plusieurs dizaines d'années ne présente pas de lien de causalité direct avec les préjudices invoqués, lesquels résultent de l'acquisition illégale par une personne privée de parcelles relevant du domaine public maritime.
10. En deuxième lieu, l'Etat, en approuvant la délibération du conseil municipal du 21 septembre 1972 autorisant la vente de la digue du moulin de Beauchet, a commis une faute lourde dans l'exercice de ses pouvoirs de tutelle qui ne saurait toutefois exclure la faute précitée de la commune.
11. En troisième et dernier lieu, l'Etat, en envoyant au notaire de M. B...C..., préalablement à la vente des parcelles constituant l'étang de Beauchet, cadastrées AF n°21, anciennement cadastrées section E n° 159 et n° 178, A n° 26, B n° 204, n° 205, n° 214 et n° 215, un courrier émanant d'un ingénieur des travaux publics du 28 mars 1969 et indiquant que ces parcelles étaient des propriétés privées, a commis une faute en induisant en erreur le notaire sur la domanialité des biens. En revanche, ce courrier de l'Etat ne portait pas sur la digue de Beauchet.
12. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu l'engagement de la responsabilité pour faute de l'Etat, à la fois s'agissant de l'acquisition des parcelles constituant l'étang de Beauchet et s'agissant de l'acquisition de la digue de Beauchet, la responsabilité de l'Etat se cumulant sur ce dernier point avec la responsabilité de la commune de Saint-Suliac.
En ce qui concerne la cause exonératoire tenant au fait d'un tiers :
13. La commune de Saint-Suliac a eu recours à un notaire pour la rédaction de l'acte de vente de la digue du moulin de Beauchet. La circonstance que l'acte de vente faisait référence à une lettre du 23 mai 1972 des Ponts-et-Chaussées mentionnant que la digue est la propriété de la commune de Saint-Suliac, lettre au demeurant non produite et à une délibération municipale du 21 septembre 1972 mentionnant également que la digue était une propriété communale et que le chemin pour piétons avait fait l'objet d'un déclassement ne dispensait pas le notaire de vérifier l'identité du propriétaire, eu égard notamment à la mention portée au cadastre relative à la domanialité publique, la localisation dans l'estuaire de la Rance et la nature de digue du bien et l'absence d'acte de propriété au profit de la commune. Il en est de même de la circonstance qu'au vu d'un autre courrier du service des Ponts-et-Chaussée de 1969, les parcelles voisines de la digue avaient été désignées comme étant des propriétés privées. Le comportement de ce tiers, qui n'a pas satisfait à ses obligations professionnelles et notamment à son devoir de conseil, a concouru aux préjudices en cause et est de nature à atténuer la responsabilité de la commune. Ce fait du tiers est en revanche sans incidence sur la responsabilité de l'Etat, au vu des fautes mentionnées aux points 10 et 11.
14. S'agissant des préjudices liés à la digue de Beauchet, il résulte de l'ensemble de ce qui précède, et compte tenu de l'incidence des fautes commises par la commune et l'Etat qui ont concouru concomitamment aux préjudices en cause, qu'il sera fait une juste appréciation de leurs parts de responsabilité respectives, en fixant celle de la commune à 50 %, sa responsabilité étant ensuite atténuée pour moitié par la faute commise par son notaire, la commune ayant eu recours à ce professionnel du droit pour la rédaction de l'acte de vente de la digue, et celle de l'Etat à 50 %.
S'agissant des préjudices :
15. En premier lieu, l'indemnité susceptible d'être allouée à la victime d'un dommage causé par la faute de l'administration a pour seule vocation de replacer la victime, autant que faire se peut, dans la situation qui aurait été la sienne si le dommage ne s'était pas produit, c'est-à-dire, lorsque la faute résulte d'une décision illégale, si celle-ci n'était jamais intervenue. Si, dans ce cadre, l'illégalité de la vente d'un bien appartenant au domaine public peut conduire à l'indemnisation des frais engagés en pure perte à la suite de cette vente ainsi que, le cas échéant, des troubles qui ont pu en résulter dans les conditions d'existence de l'acquéreur, elle fait obstacle, dès lors qu'en raison de cette domanialité publique aucune vente n'aurait pu être réalisée, à ce que puisse être indemnisé le préjudice résultant de la perte de valeur du terrain acquis de manière illégale. Il résulte de ce qui précède que les consorts C...ne sont pas fondés à demander que les biens qu'ils ont acquis illégalement soient évalués sur la base de la méthode de capitalisation du revenu, méthode au demeurant non adaptée à un bien relevant du domaine public maritime. Il y a donc lieu de retenir uniquement le prix d'acquisition des biens par M. C..., en le convertissant en euros, sans qu'il y ait lieu de prendre en compte l'inflation, qui est un facteur étranger à la consistance et à l'état du bien.
16. D'une part, s'agissant du prix d'acquisition des parcelles constituant l'étang de Beauchet, pour les raisons mentionnées aux points 11 et 12, la faute de l'Etat étant exclusive, il y a lieu de condamner uniquement ce dernier à verser la somme de 128 250 francs soit 19 551,86 euros. En revanche, il n'y a pas lieu d'inclure les frais d'aménagement, tel qu'établis par un rapport d'estimation établi par un ingénieur-expert près les tribunaux du 9 juillet 1979, dès lors qu'il n'est pas établi que ces frais d'investissement, réalisés dans les années 1970, n'auraient pas été totalement amortis et auraient été utiles à l'Etat.
17. D'autre part, il y a lieu de retenir la somme de 9 192 francs soit 1 401,311 euros, pour le préjudice lié à l'acquisition de la digue et d'appliquer le partage de responsabilité entre la commune et l'Etat mentionné au point 14.
18. En deuxième lieu, les requérants s'étant également prévalus de l'enrichissement sans cause au titre de la responsabilité quasi-contractuelle, il y a lieu d'inclure également les frais de renforcement de cette digue de protection, qui ont été utiles à l'Etat et sont justifiés par une facture du 4 novembre 1981 à hauteur de 166 704 francs soit 25 413,861 euros, à la charge exclusive de l'Etat.
19. En troisième lieu, les consorts C...n'ont pas chiffré les frais de recherche et d'acquisition d'un bien similaire allégués dont ils demandent l'indemnisation. Leur demande présentée à ce titre ne pourra donc qu'être rejetée.
20. En quatrième lieu, les requérants sont fondés à demander le remboursement, pour un montant total de 1 095 euros, des taxes foncières versées en pure perte depuis 2009, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'exploitation ait perduré après cette date. Ce préjudice concernant à la fois l'Etang de Beauchet et la digue de Beauchet, en vertu du partage de responsabilité mentionné au point 14 s'agissant de la digue et de la faute exclusive de l'Etat s'agissant des biens constituant l'Etang de Beauchet, il sera fait une juste répartition en mettant à la charge de la commune 20 % de ces sommes, sa responsabilité étant ensuite atténuée de la moitié en raison de la faute de son notaire et donc fixée à 10 %, et 80 % de ces sommes à la charge de l'Etat.
21. En cinquième lieu, ils sont également fondés à demander l'indemnisation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence de M. B...C..., liés à l'engagement des procédures contentieuses concernant les biens qu'il a acquis. Il en sera fait une juste appréciation en allouant à ses héritiers la somme de 5 000 euros. En revanche, il n'y a pas lieu d'accorder à M. I...C...une réparation au titre de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, ce préjudice n'étant pas établi. En vertu du partage de responsabilité mentionné au point 14 et de la faute exclusive de l'Etat s'agissant des biens constituant l'Etang de Beauchet, il sera fait une juste répartition en mettant à la charge de la commune 20 % de ces sommes, sa responsabilité étant ensuite atténuée de la moitié en raison de la faute de son notaire et donc fixée à 10 %, et 80 % de ces sommes à la charge de l'Etat.
22. En sixième lieu, si le paiement par M. C...des droits d'eau conventionnellement fixés avec EDF en 1981 pour les parcelles constituant l'étang de Beauchet est établi par l'accusé réception du chèque de 177 584 francs, pièce nouvelle en appel, il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande d'indemnisation, dès lors que ces droits d'eau ne constituaient que la contrepartie de l'exploitation de l'étang dont M. C...a pu tirer des bénéfices pendant plusieurs dizaines d'années.
23. En septième et dernier lieu, si M. I...C...demande l'indemnisation du versement de 40 000 euros ayant eu pour objet de lever les hypothèques constituées par son père sur les terrains en cause et le coût d'immobilisation du capital, ces préjudices, liés à la gestion financière des terrains par M. B...C..., ne présentent pas de lien de causalité direct avec les fautes précédemment mentionnées. Au demeurant, il ne résulte pas de l'instruction que le projet de reprise de l'exploitation par M. I... C...était dans un état suffisamment avancé pour fonder une indemnisation.
24. Il résulte de ce qui précède et eu égard aux partages de responsabilité précédemment mentionnés, qu'il y a lieu de condamner la commune de Saint-Suliac à verser aux consorts C...la somme de 819,69 euros et que ceux-ci ne sont pas fondés à demander la majoration du montant de l'indemnité mise à la charge de l'Etat par le tribunal. L'Etat n'ayant pas fait appel du jugement, il n'y a pas lieu de réformer l'indemnité mise à sa charge par les premiers juges.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
25. M. C...et Mme F...ont droit aux intérêts sur la somme qui leur est due par la commune à compter du 30 décembre 2014, date de réception de la demande préalable de M. B... C...et de M. I...C.... Les intérêts échus à compter du 30 décembre 2015, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C...et de MmeF..., qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, la somme demandée par la commune de Saint-Suliac, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune de Saint-Suliac et de l'Etat respectivement les sommes de 500 euros et de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C... et Mme F...et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La commune de Saint-Suliac est condamnée à payer à M. I...C...et à Mme A...F..., ayants-droits de M. B...C...la somme de 819,69 euros (huit-cent-dix-neuf euros et soixante-neuf centimes).
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 31 août 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : La somme mentionnée à l'article 1er portera intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2014. Les intérêts échus à la date du 30 décembre 2015 seront capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : L'Etat versera à M. I...C...et à Mme A...F...la somme totale de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La commune de Saint-Suliac versera à M. I...C...et à Mme A...F...la somme totale de 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Les conclusions présentées par la commune de Saint-Suliac sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : Le surplus des conclusions des consorts C...et des conclusions de la commune de Saint-Suliac est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. I...C..., à Mme A...C...épouseF..., à la commune de Saint-Suliac et au ministre d'état, ministre de la transition écologique et solidaire.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président de chambre,
- M. Degommier, président-assesseur,
- Mme Picquet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 26 novembre 2018.
Le rapporteur,
P. PICQUET
Le président,
J-P. DUSSUET
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre d'état, ministre de la transition écologique et solidaire, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées,
de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°17NT03045, 17NT03279