Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 23 octobre 2020 et 12 avril 2021, M. A..., représenté par Me Pronost, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer les demandes de visas dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 800 euros au profit de Me Pronost en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. A... soutient que :
- la décision préfectorale en cause est insuffisamment motivée ;
- Mme E... B... partageait avec lui une vie commune suffisamment stable et continue avant sa demande d'asile ; il a fait état de sa relation de concubinage dès le dépôt de sa demande d'asile ; ils ont un enfant né en 2011;
- le lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;
- le refus opposé à la demande de visa présentée par Mme E... B... méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant en ce qu'il ferait obstacle à ce que sa mère rejoigne son enfant en France.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 novembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que
- les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés ;
- l'acte de naissance de l'enfant révèle une intention frauduleuse ; M. A... n'apporte pas d'élément probant permettant d'établir le maintien d'une relation régulière et continue avec les demandeurs de visas.
M. D... A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (55%) par une décision du 5 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Buffet,
- et les observations de Me Pronost, pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 25 septembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de la décision du 4 décembre 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française au Sénégal refusant de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à Mme E... B... et M. C... A..., en qualité de membre de famille d'un réfugié. M. A... relèvent appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...)/ 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; /3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) II.- (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. (...). ".
3. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
4. M. A..., ressortissant guinéen né le 7 février 1991, a obtenu la qualité de réfugié le 21 janvier 2016. Mme E... B... et Boubacar A..., de nationalité guinéenne ont sollicité de l'autorité consulaire française au Sénégal la délivrance de visas de long séjour en qualité de membre de famille de M. A....
5. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de l'identité de Boubacar A..., et du lien de filiation avec M. A..., ont été produits un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance rendu le 4 janvier 2019 par le tribunal de première instance de Conakry III-Mofanco, l'acte de naissance établi le 17 janvier 2019 par l'officier de l'état civil de la commune de Matoto sur la base de ce jugement supplétif et un passeport guinéen délivré le 26 février 2019. Le jugement supplétif de naissance du 4 janvier 2019 indique les prénom et nom de l'enfant, ses date et lieu de naissance et les noms et prénoms du père, M. C... A..., et de la mère, Mme E... B..., qui constituent des mentions essentielles pour l'établissement de leur filiation.
6. Les circonstances que le jugement supplétif ait été rendu postérieurement à l'obtention par M. A... du statut de réfugié, plusieurs années après la naissance de l'enfant et qu'il comporte la mention selon laquelle il sera transcrit en marge des registres d'état civil de Matoto-Conakry pour l'année 2011 alors que l'article 180 du code civil guinéen, à le supposer applicable, ce qui est contesté par M. A..., prévoit que les registres sont " clos et arrêtés par l'officier de l'état civil, à la fin de chaque année " ne suffisent pas à établir que ce jugement présenterait un caractère frauduleux. Si les dispositions des articles 175, 183 et 196 du code civil guinéen prévoient que les actes d'état civil doivent mentionner l'heure à laquelle ils ont été établis, les lieux et dates de naissance des parents, leur profession et domicile, il ne résulte pas de ces dispositions que celles-ci seraient applicables aux jugements supplétifs régis par l'article 193 de ce code, M. A... produisant, en outre, un certificat par lequel le président de la première section civile, économique et administrative du tribunal de première instance de Dixin atteste que " l'article 175 du code civil guinéen ne s'applique pas à ce cas précis qui ne concerne que les déclarations de naissance dans le délai prescrit par la loi ". Si le ministre soutient, également, que ce jugement est fondé sur les déclarations de deux témoins et qu'il a été rendu le lendemain de l'enregistrement de la requête, cette circonstance n'établit pas davantage que cette décision juridictionnelle, rendue " après avoir entendu les réquisitions du Ministère Public ", au vu " des documents versés au dossier et de l'enquête à laquelle il a été procédé " procèderait d'une démarche frauduleuse. Dans ces conditions, et alors que M. A... a, dès sa demande d'asile fait état de l'existence de cet enfant, en estimant que le lien de filiation entre ce dernier et Boubacar n'était pas établi, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
7. Pour rejeter la demande de visa de Mme E... B... dont M. A... soutient qu'elle vivait avec lui en situation de concubinage avant qu'il quitte son pays en raison des risques qu'il y encourait, la commission a estimé que l'identité et le lien familial n'étaient pas justifiés dès lors que l'acte de naissance a été dressé dix-huit ans après sa naissance et trois ans après la reconnaissance du statut de réfugié de M. A.... Toutefois, l'identité de l'intéressée n'est plus contestée par le ministre, qui a produit la copie intégrale d'un acte de naissance établie le 15 avril 2020 par l'officier de l'état civil délégué de la commune de Matoto selon lequel la naissance de Mme B... a été déclarée le 19 avril 1991, soit neuf jours après sa naissance.
8. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
9. Pour établir que la décision contestée était légale en tant qu'elle refuse un visa à Mme E... B..., le ministre a invoqué, en première instance, dans son mémoire en défense du 24 juillet 2020 communiqué à M. A..., un autre motif tiré de ce que ce dernier n'apporte pas la preuve qu'il partageait avec Mme E... B... une vie commune suffisamment stable et continue avant la date d'introduction de sa demande d'asile. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. A... a mentionné Mme B... à l'occasion de sa demande d'asile en octobre 2015 et qu'un enfant est né en 2011, de leur union, qu'il a également déclaré à cette même occasion, ces circonstances étant suffisantes, dans la situation particulière de l'espèce où l'intéressé a dû fuir son pays, à établir une vie commune suffisamment stable et continue. Par suite, il n'y a pas lieu de procéder à la substitution de motifs demandée.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés à Mme E... B... et à Boubacar A.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ces visas dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
12. M. D... A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Pronost de la somme de 800 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 25 septembre 2020 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visa d'entrée et de long séjour en France présentées pour Mme E... B... et Boubacar A... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme E... B... et à Boubacar A... des visas d'entrée et de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à Me Pronost la somme de 800 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente assesseure,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2021.
La rapporteure,
C. BUFFETLe président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT03353