Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 août et 30 octobre 2019, Mme A... B..., M. G... C... et Mme I... C..., représentés par Me E..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer les demandes dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme A... B... et autres soutiennent que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité ; la composition de la formation de jugement du tribunal administratif est irrégulière ;
- les liens de filiation sont établis par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 octobre et 12 novembre 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Mme A... B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er juillet 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les observations de Me E..., pour Mme A... B... et autres.
Une note en délibéré présentée pour Mme A... B... et autres a été enregistrée le 12 mars 2021.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 20 mars 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme A... B..., M. G... C... et Mme I... C..., de nationalité somalienne, tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visa d'entrée et de long séjour en France présentées pour M. G... C... et Mme I... C... en qualité de membres de famille de réfugié. Mme A... B... et autres relèvent appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. D'une part, aux termes des dispositions du I de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui (...) qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint (...) / ... / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. (...)". Il résulte des dispositions du II du même article qu'à l'appui de leur demande de visa présentée au titre de la réunification familiale, les membres de la famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire produisent les actes de l'état civil justifiant leur identité et leurs liens familiaux avec ce dernier et, en cas d'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil, qui font foi jusqu'à preuve du contraire et permettent de justifier la situation de famille ou l'identité des demandeurs. Aux termes de l'article 311-1 du code civil : " La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. / Les principaux de ces faits sont : / 1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ; / 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; / 3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ; / 4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ; / 5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. ". L'article 311-2 du même code dispose : " La possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque. ".
3. Il ressort des pièces du dossier, notamment des certificats de naissance somaliens établis le 1er septembre 2015, que Mme A... B... est la mère d'Abdallah Mahdi C... et de I... C..., nés respectivement, le 2 septembre 1998 et 4 novembre 1999, soit durant son mariage avec M. F... C... qu'elle a épousé le 25 octobre 1996 et qui est décédé le 23 septembre 2005. Les mentions relatives à l'identité, aux dates et aux lieux de naissance de ces enfants portées sur ces documents concordent avec les éléments figurant sur les passeports des intéressés. Si les autorités consulaires à Nairobi (Kenya) ont contesté, le 3 mars 2016, la validité de ces certificats de naissance qui ne correspondraient, selon eux, qu'à des " affidavits ", les autorités consulaires de l'ambassade de Somalie au Kenya ont attesté, le 15 décembre 2016, de leur authenticité. Enfin, il ressort des pièces du dossier que Mme A... B..., qui a fui son pays, en 2011, a mentionné de manière constante ses enfants dans sa demande d'asile et dans ses échanges avec le bureau des familles de réfugiés du ministère de l'intérieur. L'ensemble de ces éléments permet d'établir l'existence d'une situation de possession d'état révélant les liens de filiation entre Mme A... B... et ses enfants G... C... et I... C.... Il suit de là qu'en estimant que ces liens n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées au point 2.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 411-1 à L. 411-3. Un regroupement partiel peut être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. ". Il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté qu'après le départ de Mme A... B..., Abdallah et Deka ont été recueillis dans sa propre famille alors que Liban et C..., ses deux autres enfants, restés en Somalie, l'ont été dans leur famille paternelle. Il ressort, également, des pièces du dossier que Abdallah et Deka ont tous les deux rejoint le Kenya, où réside un membre de la famille de Mme A... B..., pays dans lequel ils ont pu déposer leurs premières demandes de visa en 2015. Par suite, en estimant que les demandes de visa présentées pour ces deux enfants, séparés de leur mère depuis 2011, conduirait à une réunification familiale partielle, non justifiée par l'intérêt des enfants, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a méconnu les dispositions de l'article
L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que Mme A... B... et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
6. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le ministre de l'intérieur délivre des visas d'entrée et de long séjour à M. G... C... et Mme I... C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7. Mme A... B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me E..., avocat de Mme A... B... et autres, de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E:
Article 1er : Le jugement du 20 mars 2019 du tribunal administratif de Nantes et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, rejetant les demandes de visa d'entrée et de long séjour en France présentées pour M. G... C... et Mme I... C... en qualité de membres de famille de réfugié, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, des visas d'entrée et de long séjour à M. G... C... et à Mme I... C....
Article 3 : L'Etat versera à Me E... une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à M. G... C..., à Mme I... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 12 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme D..., présidente-assesseur,
- Mme Ody, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 mars 2021.
Le rapporteur,
C. D...Le président,
T. CELERIER
La greffière,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT03378