Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er août 2018 et le 9 janvier 2019, Mme C... et M.C..., représentés par Me Pollono, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 décembre 2017 ;
2°) d'annuler la décision du 10 avril 2015 de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement de procéder à un nouvel examen du dossier, dans le même délai et sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au profit de Me Pollono en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme C...et M. C...soutiennent que :
- le tribunal administratif s'est mépris sur la portée des documents d'état-civil qu'ils ont produits et sur son appréciation de la situation de fait l'ayant conduit à conclure à une absence de possession d'état ;
- ils produisent en appel les résultats d'une expertise génétique ordonnée par le TGI de Melun ; cette expertise conclut que Mme C...a plus de 99 chances sur cent d'être la mère d'IssaC... ;
- cette expertise est recevable dès lors qu'elle révèle l'exactitude d'une situation matérielle qui existait à la date du 10 avril 2015 ;
- cette expertise établit la réalité du lien de filiation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mars 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Le ministre fait valoir qu'aucun des moyens d'annulation soulevés par les requérants n'est fondé.
Mme C...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 juillet 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mony,
- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public,
- et les observations de Me Pollono, représentant M.C....
Considérant ce qui suit :
1. MmeC..., ressortissante malienne, qui a obtenu la reconnaissance du statut de réfugiée, a sollicité la délivrance d'un visa de long séjour au profit de son fils allégué IssaC..., dans le cadre du rapprochement familial. Suite au refus opposé à la demande par les autorités consulaires locales, elle a saisi la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France qui, par une décision du 10 avril 2015, a rejeté le recours formé contre ce refus de visa. Mme C...et M. A...C...relèvent appel du jugement en date du 19 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande d'annulation de cette décision.
Sur la fin de non recevoir opposée en première instance par le ministre de l'intérieur :
2. Aux termes de l'article D. 211-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les recours devant la commission doivent être formés dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de refus. (...) Ils sont seuls de nature à conserver le délai de recours contentieux jusqu'à l'intervention des décisions prévues à l'article D. 211-9 ".
3. Il résulte des pièces du dossier que la décision consulaire portant rejet de la demande de visa formée pour Issa C...a été notifiée à Mme C...le 9 décembre 2014 et que le recours formé par cette dernière devant la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, qui a pris la forme d'un courrier simple daté du 29 janvier 2015, a été enregistrée auprès de la commission le 11 février 2015. Toutefois, pour justifier du respect du délai imparti, l'intéressée peut, ainsi que le prévoient les articles L. 112-1 et L. 112-13 du code des relations entre le public et l'administration, se prévaloir de la date d'envoi de son recours au moyen, dans le cas d'une correspondance adressée par voie postale, du cachet apposé par les prestataires de services postaux autorisés au titre de l'article L. 3 du code des postes et des communications électroniques. Le ministre qui n'a pas produit la copie du pli contenant ce recours, n'allègue pas que ce recours, daté du 29 janvier 2015, aurait été envoyé postérieurement au délai de recours qui expirait au 9 février 2015. La tardiveté du recours formé devant la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ne peut se déduire du seul enregistrement de ce recours à la date du 11 février 2015. La fin de non recevoir opposée en première instance à la demande de Mme C...ne peut ainsi qu'être écartée.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. A l' occasion d'une demande de visa, la filiation d'un enfant peut être établie par tout moyen. Si la légalité d'une décision s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise, il appartient au juge de tenir compte des justifications apportées devant lui, dès lors qu'elles attestent de faits antérieurs à la décision critiquée, même si ces éléments n'ont pas été portés à la connaissance de l'administration avant qu'elle se prononce.
5. Par jugement du 28 décembre 2017, produit par les requérants devant la cour, le tribunal de grande instance (TGI) de Melun, saisi d'une requête de M. A...C...aux fins de constater qu'il était le fils de Mme B...C..., a ordonné une expertise biologique. Il ressort des conclusions de cette expertise, datées du 18 juillet 2018, que Mme B...C..., après étude des marqueurs génétiques, a 99,9999 chances sur cent d'être la mère d'IssaC.... Le ministre de l'intérieur n'a pas contesté sérieusement ces conclusions. En conséquence, le lien de filiation entre Mme C...et M. A...C...en cause est établi, ainsi d'ailleurs que l'a jugé le TGI de Melun dans son jugement du 20 décembre 2018. La circonstance que cette expertise est postérieure à la date de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et à celle du jugement attaqué ne fait pas obstacle à ce que, eu égard à la portée d'une telle expertise, les requérants puissent s'en prévaloir pour la première fois en appel afin d'établir l'existence du lien de filiation en cause. Par suite, la commission de recours contre les décisions de refus de visas d'entrée en France a inexactement apprécié les faits de l'espèce en fondant sa décision de rejet sur l'absence de preuve de la filiation.
6. Il résulte de ce qui précède que Mme B...C...et M. A...C...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard aux motifs du présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à M. A...C..., âgé de moins de 19 ans à la date à laquelle a été engagée la procédure de regroupement familial, le visa sollicité dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée.
Sur les frais liés au litige :
8. Mme C...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pollono, avocate de Mme C...et de M.C..., d'une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 10 décembre 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif du 19 décembre 2017 et la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 10 avril 2015 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de délivrer à M. A...C...un visa de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Pollono une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...C..., à M. A...C...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 5 avril 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président,
- M. Mony, premier conseiller,
- Mme Picquet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 30 avril 2019.
Le rapporteur,
A. MONY
Le président,
S. DEGOMMIER Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT02979
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