Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 1er février 2021 et 20 mai 2021, la société Vétir, représentée par Mes Blin et Rey, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 novembre 2020 ;
2°) d'annuler les décisions des 31 mai 2017, 20 avril 2017 et 20 octobre 2016 ;
3°) d'enjoindre à l'inspecteur du travail d'autoriser le licenciement de M. B... ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision implicite de la ministre est entachée d'un vice d'incompétence ;
- elle est dépourvue de toute motivation ;
- la décision de l'inspecteur du travail est insuffisamment motivée ;
-cette décision est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'en vertu des dispositions de l'article L. 1222-8 du code du travail, qui n'excluent pas un forfait annuel en jours, la réduction du temps de travail résultant d'un accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail, s'impose aux salariés et justifie le licenciement de ceux qui la refuserait ; l'accord collectif entraîne en effet une réduction du temps de travail et entre dans le champ des dispositions des articles L. 1222-7 et L. 1222-8 du code du travail ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans la mesure où la durée de travail de M. B... était de 2024 h par an, avec 44 h hebdomadaires en moyenne maximum de travail effectif et 5 jours de repos hors congés payés et que selon l'accord du 22 mai 2015 sa durée de travail serait de 215 jours par an avec de 41 h hebdomadaires en moyenne maximum de travail effectif et 21 jours de repos hors congés payés ;
- l'accord ne remet pas en cause les droits des salariés détenteurs de mandats syndicaux et l'utilisation de leurs heures de délégation ; il a pour objectif d'intégrer dans la rémunération du salarié le chiffre d'affaires des commandes retirées en magasin et abouti à une augmentation de sa rémunération ; cet accord ne saurait faire l'objet d'une mise en œuvre personnalisée ;
- la décision du 31 mai 2017 est insuffisamment motivée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 avril 2021, M. A... B..., représenté par Me Roussel, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Vétir au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Vétir ne sont pas fondés.
En dépit de la mise en demeure qui lui a été adressée le 24 juin 2021, la ministre du travail de l'emploi et de l'insertion n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- et les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été recruté le 17 février 1988 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de directeur de magasin, par la société Vétir, qui exploite des magasins sous l'enseigne " Gémo ". Il occupe les fonctions de directeur de la succursale d'Olivet et exerce les mandats de délégué du personnel titulaire, de représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, de délégué syndical CGT-FO, de représentant syndical au comité d'entreprise et de conseiller du salarié. Les 22 octobre 2015, 3 décembre 2015 et 10 février 2016, l'intéressé a refusé d'accepter la modification de son contrat de travail à la suite de l'accord d'entreprise signé le 22 mai 2015, relatif à l'organisation du temps de travail du personnel d'encadrement. M. B... a été convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu le 9 août 2016. Le comité d'entreprise consulté sur le licenciement de l'intéressé le 29 août 2016 s'est prononcé par 7 abstentions et 2 vote contre. Le 8 septembre 2016, la société Vétir a sollicité l'autorisation de procéder à son licenciement. Par une décision du 20 octobre 2016, l'inspecteur du travail a refusé de faire droit à cette demande. Le 16 décembre 2016, la société a présenté un recours hiérarchique auprès de la ministre chargée du travail contre cette décision. Une décision implicite de rejet est intervenue, laquelle a été confirmée par une décision explicite le 31 mai 2017. La société Vétir a contesté ces trois décisions devant le tribunal administratif de Nantes. Elle relève appel du jugement du 27 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Les conclusions de la requête dirigées contre la décision implicite de rejet née du silence gardé par la ministre chargée du travail sur le recours hiérarchique formé par la société Vétir le 16 décembre 2016 contre la décision de l'inspecteur du travail du 20 octobre 2016 refusant l'autorisation de procéder au licenciement de M. B... doivent être regardées comme dirigées contre la décision du 31 mai 2017, qui s'y est substituée, par laquelle la ministre a expressément rejeté ce recours. En revanche, lorsque la ministre rejette le recours hiérarchique qui lui est présenté contre la décision de l'inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement formée par un employeur, sa décision ne se substitue pas à celle de l'inspecteur.
3. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. L'autorité administrative ne peut légalement faire droit à une telle demande d'autorisation de licenciement que si l'ensemble de ces exigences sont remplies. Par suite, lorsqu'il est saisi par l'employeur d'une demande tendant à l'annulation d'une décision de l'inspecteur du travail qui a estimé que l'une de ces exigences au moins n'était pas remplie et qui s'est, en conséquence, fondée sur un ou plusieurs motifs faisant, chacun, légalement obstacle à ce que le licenciement soit autorisé, le juge de l'excès de pouvoir ne peut annuler cette décision que si elle est entachée d'illégalité externe ou si aucun des motifs retenus par l'inspecteur du travail n'est fondé.
En ce qui concerne la décision de l'inspecteur du travail du 20 octobre 2016 :
4. En premier lieu, aux termes du troisième alinéa de l'article R. 2421-5 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée ". En l'espèce, la décision du 20 octobre 2016 vise notamment les articles L. 2411-1 et -3 et L. 2421-3 du code du travail. Elle mentionne l'accord du 22 mai 2015 relatif à l'organisation du temps de travail du personnel d'encadrement de la société Vétir et sa demande d'autorisation de procéder au licenciement de M. B..., présentée le 8 septembre 2016. L'inspecteur du travail indique ensuite que les articles L. 1222-7 et L. 1222-8 du code du travail sont applicables en cas d'accord relatif à la réduction de la durée du travail alors que l'accord du 22 mai 2015 concerne l'organisation du temps de travail du personnel d'encadrement et la mise en place d'un forfait en jours. Il en déduit que la demande d'autorisation de licenciement de l'intéressé ne pouvait se fonder sur ces dispositions. Il a ajouté qu'en vertu de l'article L. 3121-55 du code du travail, la forfaitisation de la durée du travail devait faire l'objet d'un accord du salarié et que l'accord prévoyait lui-même la signature d'une convention individuelle. Il en a conclu que le refus de M. B... de signer la modification de son contrat de travail ne constituait pas une faute de nature à justifier son licenciement. Contrairement à ce que soutient la société requérante, cette décision est suffisamment motivée.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L.1222-7 dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " La seule diminution du nombre d'heures stipulé au contrat de travail en application d'un accord de réduction de la durée du travail ne constitue pas une modification du contrat de travail. ". Par ailleurs, l'article L. 1222-8 de ce code également applicable à la date à laquelle l'inspecteur du travail s'est prononcé dispose que : " Lorsqu'un ou plusieurs salariés refusent une modification de leur contrat de travail résultant de l'application d'un accord de réduction de la durée du travail, leur licenciement est un licenciement qui ne repose pas sur un motif économique. Il est soumis aux dispositions relatives à la rupture du contrat de travail pour motif personnel. ". Enfin, aux termes de l'article L. 3121-55 du même code : " La forfaitisation de la durée du travail doit faire l'objet de l'accord du salarié et d'une convention individuelle de forfait établie par écrit. "
6. L'accord conclu le 22 mai 2015 entre la société Vétir et les organisations syndicales est selon son intitulé " relatif à l'organisation du temps de travail du personnel d'encadrement ". Dans son préambule il est rappelé que, depuis 1999, l'entreprise a réduit le temps de travail du personnel d'encadrement de ses magasins et poursuit la mise en œuvre de diverses mesures visant à améliorer et optimiser leurs conditions de travail et qu'elle souhaite poursuivre cette démarche. Son article 2 rappelle que les personnels d'encadrement disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dans l'exercice de leurs responsabilités et que, de par la nature de leurs fonctions, ils ne sont pas soumis à un horaire collectif applicable au sein d'un service ou d'une équipe mais au système dit du " forfait jours ". Il est expressément prévu que " pour être applicable, outre la conclusion du présent accord collectif, le régime du forfait jours nécessite la conclusion d'une convention individuelle par laquelle l'employeur et le salarié s'accordent sur une durée de travail forfaitaire en nombre de jours ". Les autres articles de cet accord traitent du décompte et de l'organisation du temps de travail, du nombre de jours à travailler par les salariés " au forfait " et du nombre de jours de repos y compris au titre de la réduction du temps de travail. L'accord comprend par ailleurs d'autres dispositions relatives notamment au contrôle et au suivi de la charge de travail de ces salariés. Eu égard à son contenu, cet accord ne peut être regardé comme un accord de réduction de la durée du travail au sens des dispositions précitées de l'article L. 1222-7 du code du travail. En outre, l'article 2 du projet d'avenant au contrat de travail de M. B... stipule qu'à compter du 1er septembre 2015, le chiffre d'affaires des produits retirés par les clients en magasin issu du site Gemo.fr sera intégré dans sa rémunération qui sera composée d'un " fixe " et d'un pourcentage sur le chiffre d'affaires du magasin. Ces dernières dispositions, qui ne résultent pas de l'accord du 22 mai 2015 mais des négociations salariales menées parallèlement, constituent une modification du contrat de travail de l'intéressé requérant également son accord. Dans ces conditions, et alors même que selon la société l'accord porte sur 215 jours de travail par an en forfait jours au lieu de 218 jours permis par la loi, que la durée hebdomadaire des personnels d'encadrement sera réduite de 3 heures par semaine et que le nombre de jours de repos hors congés payés sera porté de 5 à 21, elle ne pouvait solliciter l'autorisation de procéder au licenciement de M. B... sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 1222-8 du code du travail. Dès lors, c'est sans commettre d'erreur de droit que l'inspecteur du travail a refusé de lui accorder cette autorisation. Les circonstances que d'autres dirigeants de magasins ont signé les avenants individuels pris en application de cet accord qui selon la société ne peut faire l'objet d'une mise en œuvre personnalisée et qu'il ne remettrait pas en cause les droits des salariés détenteurs de mandats syndicaux et l'utilisation de leurs heures de délégation, sont sans incidence sur la légalité de la décision contestée.
7. En troisième lieu, eu égard à ce qui a été dit au point 6, il y a lieu d'écarter pour les mêmes motifs le moyen tiré de ce que la décision de l'inspecteur du travail serait entachée d'une erreur d'appréciation.
En ce qui concerne la décision de la ministre chargée du travail du 31 mai 2017 :
8. Ainsi qu'il a été dit, lorsque le ministre rejette le recours hiérarchique qui lui est présenté contre la décision de l'inspecteur du travail statuant sur la demande d'autorisation de licenciement formée par l'employeur, sa décision ne se substitue pas à celle de l'inspecteur. Par suite, s'il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre ces deux décisions, d'annuler, le cas échéant, celle du ministre par voie de conséquence de l'annulation de celle de l'inspecteur, des moyens critiquant les vices propres dont serait entachée la décision du ministre ne peuvent être utilement invoqués, au soutien des conclusions dirigées contre cette décision. Ainsi, les moyens présentés par la société Vétir, tirés de ce que la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion aurait été prise par une autorité incompétente et serait insuffisamment motivée sont, en tout état de cause, inopérants et ne peuvent qu'être écartés.
9. Il résulte de tout ce qui précède, que la société Vétir n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Pour les mêmes motifs les conclusions de la société requérante tendant à ce qu'il soit enjoint à l'inspecteur du travail d'autoriser le licenciement de M. B... ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la société Vétir de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Vétir le versement à M. B... d'une somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Vétir est rejetée.
Article 2 : La société Vétir versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Vétir, à M.Régis B... et à la ministre du travail de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 4 février 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er mars 2022.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT00271