Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 décembre 2020, M. D..., représenté par Me E... C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 16 octobre 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 15 septembre 2020 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités slovènes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence pour une durée de 45 jours ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, d'une part, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour d'une durée minimale d'un mois, dans un délai de huit jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir et, d'autre part, de transmettre sa demande d'asile à l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) pour examen ;
4°) de condamner l'Etat au paiement de la somme de 1 800 euros à verser à son conseil, sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision de transfert :
- il n'est pas justifié de ce que le préfet de Maine-et-Loire aurait délivré l'information prévue par l'article 4 du règlement n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 dès l'introduction de sa demande d'asile lors de son passage dans la structure de pré-accueil ;
- les conditions de son entretien individuel n'ont pas respecté les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'agent qui a conduit l'entretien individuel n'était pas qualifié à cet effet ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, sa demande d'asile doit être examinée en France, en application de l'article 17 du règlement n° 604/2013/UE du 26 juin 2013, dès lors qu'il pouvait légitimement se prévaloir de cet article du règlement.
En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- elle est illégale par exception d'illégalité de l'arrêté de transfert.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2021, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant turc, a déclaré être entré irrégulièrement en France le 25 juillet 2020. Le 24 août 2020, il a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique. La consultation du fichier Eurodac a révélé qu'il était déjà connu des autorités slovènes qui avaient précédemment enregistré une demande d'asile. Les autorités slovènes ont été saisies d'une demande de reprise en charge le 25 août 2020. Après accord exprès de reprise en charge de l'intéressé par les autorités slovènes, le 4 septembre 2020, sur le fondement de l'article 18-1 b) du règlement (UE) n° 604/2013, le préfet de Maine-et-Loire a, par des arrêtés du 15 septembre 2020, décidé son transfert vers la Slovénie, Etat responsable de sa demande d'asile, et l'a assigné à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de quarante-cinq jours. Par sa requête visée ci-dessus, M. D... relève appel du jugement du 16 octobre 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 15 septembre 2020.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la décision de transfert :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 visé ci-dessus : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; /b) des critères de détermination de l'État membre responsable (...); /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert;/e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Enfin selon les dispositions de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. D... s'est vu remettre, le 24 août 2020, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile dans les services de la préfecture, et à l'occasion de son entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées, ainsi que le guide du demandeur d'asile. Ces documents, dont les pages de garde ont été signées par l'intéressé, sont rédigés en langue turque, langue que l'intéressé a déclaré comprendre, comme en atteste le recueil d'informations signé par l'intéressé. Le requérant a en outre bénéficié du soutien d'un interprète en langue turque. Dans ces conditions, M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été privé d'une garantie au motif notamment que l'information qui lui a été donnée par les services préfectoraux aurait dû l'être dès son passage dans la structure de pré-accueil. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information du demandeur d'asile énoncé à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".
6. En vertu des dispositions combinées des articles L. 741-1 et R. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et de l'arrêté du 10 mai 2019 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'Etat responsable de leur traitement, le préfet de la Loire-Atlantique était compétent pour enregistrer la demande d'asile du requérant et délivrer la première attestation de demande d'asile et le préfet de Maine-et-Loire était compétent pour procéder à la détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile de l'intéressé, phase qui débute au moment de la saisine des autorités étrangères par l'autorité préfectorale. Par suite, les services de la préfecture de la Loire-Atlantique, et en particulier les agents recevant les étrangers au sein du guichet unique des demandeurs d'asile, doivent être regardés comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013, pour mener l'entretien prévu à cet article. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a été reçu en entretien par un agent de la préfecture de la Loire-Atlantique le 24 août 2020. Le procès-verbal d'entretien mentionne que l'entretien a été mené par un agent habilité de la préfecture de la Loire-Atlantique et ce procès-verbal est signé par l'agent en question, ce qui est suffisant pour établir que l'entretien a été mené par une personne qualifiée au sens du droit national. Il a pu, lors de cet entretien, faire état des éléments relatifs à sa situation personnelle et familiale et aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que les conditions garantissant la confidentialité de cet entretien n'auraient pas été respectées. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision du préfet de Maine-et-Loire méconnaîtrait les dispositions sus rappelées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoit en principe qu'une demande d'asile est examinée par un seul État membre et que cet État est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre, soit de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un État membre, soit de la clause humanitaire définie par le paragraphe 2 de ce même article 17 du règlement. Cette faculté laissée à chaque État membre par l'article 17 de ce règlement est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
8. Si le requérant fait valoir qu'il a quitté la Turquie où il était persécuté en raison de ses origines kurdes, que ses deux parents, son frère et sa soeur vivent régulièrement en France sous couvert d'une carte de résident, il ressort des pièces du dossier que ses liens avec ceux-ci ne présentent pas un caractère suffisamment soutenus, compte tenu de leurs parcours respectifs. Le préfet de Maine-et-Loire soutient, sans être contredit sur ce point, que le père du requérant est arrivé en France en 2007 et a été rejoint en 2011 par sa mère ainsi que son frère et sa soeur, alors mineurs. M. D..., à l'époque âgé de 20 ans, ne les accompagnait pas et est resté en Turquie où il s'est marié avec une compatriote avec laquelle il a eu deux enfants, nés en 2015 et 2017. La propre famille de M. D... réside d'ailleurs toujours en Turquie. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet de Maine-et-Loire aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en ne décidant pas d'examiner la demande d'asile du requérant sur le fondement de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.
En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
9. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'illégalité de l'arrêté portant assignation à résidence par exception d'illégalité de la décision de transfert aux autorités slovènes doit être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du 16 octobre 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 septembre 2020 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités slovènes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence pour une durée de 45 jours.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la requête, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant ne peuvent être accueillies.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par M. D... au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er juin 2021.
Le rapporteur,
F. B...Le président,
O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT03935