Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 février 2020, Mme A..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes du 10 février 2020 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 16 janvier 2020 du préfet de Maine-et-Loire ;
3°) d'enjoindre à cette autorité de transmettre sa demande d'asile à l'OFPRA ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision ordonnant son transfert aux autorités espagnoles est insuffisamment motivée ;
- la décision ordonnant son transfert aux autorités espagnoles est entachée d'un vice de procédure au regard des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la décision ordonnant son transfert aux autorités espagnoles méconnaît l'article 10 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la décision ordonnant son transfert aux autorités espagnoles est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la décision ordonnant son transfert aux autorités espagnoles méconnait pour les mêmes motifs les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant ;
- la décision portant assignation à résidence est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant transfert aux autorités espagnoles ;
- la décision portant assignation à résidence est entachée d'un défaut de motivation ;
- la décision portant assignation à résidence est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 avril 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par Mme A... n'est fondé.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 mars 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante guinéenne, entrée en France le 5 novembre 2019 a sollicité l'asile auprès des services de la préfecture de Maine-et-Loire le 26 novembre suivant. La consultation du fichier " Eurodac " ayant révélé qu'elle avait franchi les frontières de l'Union européenne vers l'Espagne, le préfet de Maine-et-Loire a sollicité la prise en charge par les autorités espagnoles le 3 décembre 2019, lesquelles l'ont acceptée le 27 décembre 2019. Par les arrêtés du 16 janvier 2020, le préfet de Maine-et-Loire a décidé, d'une part, le transfert aux autorités espagnoles de Mme A... et, d'autre part, son assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Mme A... relève appel du jugement du 10 février 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés du 16 janvier 2020.
Sur l'arrêté du 16 janvier 2020 décidant du transfert aux autorités espagnoles :
2. En premier lieu, les conditions de notification d'une décision administrative et celles relatives à son exécution n'affectent pas sa légalité. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté préfectoral contesté aurait été notifié dans des conditions irrégulières en ne mentionnant pas le droit de Mme A... d'avertir ou de faire avertir son consulat, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est inopérant et doit être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 visé ci-dessus : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable (...); /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert;/e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Enfin selon les dispositions de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) " ;
4. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
5. Au cas d'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme A... s'est vu remettre, le 26 novembre 2019, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile dans les services de la préfecture, et à l'occasion de son entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, et qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées. Les pages de garde de ces documents ont été signées par la requérante. Si l'intéressée a déclaré comprendre le soussou, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que l'information a également été donnée oralement à Mme A..., au cours de l'entretien du 26 novembre 2019 par le biais d'un interprète parlant le soussou et que, d'autre part, elle a reconnu avoir compris les informations qui lui ont été communiquées en fin de compte-rendu d'entretien qu'elle a signé, sans émettre aucune réserve. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été privée d'une garantie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information du demandeur d'asile énoncé à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
6. En troisième lieu, en vertu, d'une part, de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ". Enfin, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
7. Il ressort des pièces versées au dossier que Mme A... a déclaré lors de son entretien être enceinte d'un mois, qu'elle n'avait pas de problèmes de santé, était célibataire et n'avait aucun membre de famille en France. Si elle soutient désormais qu'elle serait la concubine de M. B..., un demandeur d'asile en France dont la demande est en cours d'examen devant l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et qui serait le père de son enfant à naître, elle n'établit pas davantage cependant en appel qu'en première instance la réalité de cette relation, alors que le préfet fait valoir en défense que M. B... s'est lui-même déclaré célibataire lors de sa demande d'asile. Dans ces conditions, Mme A... n'établit pas que la décision contestée intervenue le 16 janvier 2020 portant transfert aux autorités espagnoles la placerait dans une situation de particulière vulnérabilité imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Par suite, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Pour les mêmes motifs, il n'a pas, en décidant de son transfert aux autorités espagnoles porté une atteinte au respect de sa vie privée et familiale disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise et n'a, par suite, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Enfin, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peut pour les mêmes motifs, et en tout état de cause, qu'être écarté.
Sur l'arrêté du 16 janvier 2020 décidant l'assignation à résidence :
8. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " I.- L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : / 1° Doit être remis aux autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 ou fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 (...) ". L'assignation à résidence prévue par ces dispositions constitue une mesure alternative au placement en rétention prévu par les dispositions de l'article L. 551-1 du même code, dès lors que la mesure d'éloignement demeure une perspective raisonnable.
9. Il résulte de ce qui a été dit plus haut que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision de transfert. Par suite, elle n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de cette décision à l'encontre de la décision portant assignation à résidence.
10. Pour le surplus, Mme A... se borne à reprendre devant le juge d'appel les mêmes moyens que ceux invoqués en première instance sans plus de précisions ou de justifications et sans les assortir d'éléments nouveaux. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le premier juge et tirés de ce que l'arrêté du 16 janvier 2020 décidant son transfert aux autorités espagnoles est suffisamment motivé et ne méconnait pas les dispositions des articles 5 et 10 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et que l'arrêté du 16 janvier 2020 décidant son assignation à résidence est également suffisamment motivé et n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
11. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence doivent être rejetées, les conclusions de la requérante aux fins d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L.761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A... et au ministre de l'intérieur.
Une copie sera transmise au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. C..., président-assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2020.
Le rapporteur
O. C...Le président
O. GASPON
La greffière
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°20NT00538 2