Par une requête enregistrée le 28 mai 2018, Mme B..., représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes du 14 février 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 7 février 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de l'autoriser à solliciter l'asile en France et de lui délivrer une attestation en tant que demandeur d'asile dans le délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté contesté est contraire aux stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du point 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- cette décision méconnaît les dispositions de l'article 16 et du 1 de l'article 17 du règlement communautaire du 26 juin 2013 et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ces stipulations.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juin 2018, le préfet d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 avril 2018.
Vu les autres pièces du dossier et notamment le courrier du 20 septembre 2018 du préfet d'Ille-et-Vilaine indiquant que le délai de transfert de l'intéressée a été prolongé.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- et les observations de MeA..., substituant MeC..., représentant MmeB....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante angolaise, relève appel du jugement du 14 février 2018 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 février 2018 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé sa remise aux autorités belges, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes du deuxième alinéa du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. " Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".
3. Si la Belgique est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités de ce pays répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
4. En l'espèce, il est constant que les autorités belges, saisies le 26 septembre 2017 par le préfet d'Ille-et-Vilaine, ont donné leur accord le 3 octobre 2017 pour la prise en charge de Mme B...et de ses deux enfants, Lucia et Jonathan, nés respectivement en 2012 et 2013 et que le préfet a informé les autorités belges par télécopie, le 18 janvier 2018, de la naissance du jeune E...B...le 30 décembre 2017 à Rennes. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier, et notamment de l'accusé de réception automatique daté du 5 février 2018, que les autorités françaises auraient obtenu une garantie individuelle de prise en charge adaptée à l'âge de l'enfant en question à la date de la décision contestée. Dans ces conditions, Mme B...est fondée à soutenir que l'arrêté du 7 février 2018 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé sa remise aux autorités belges en vue de l'examen de sa demande d'asile est entaché d'erreur manifeste d'une appréciation au regard des dispositions précitées de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 février 2018.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Le présent arrêt implique seulement qu'il soit enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de prendre, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, une nouvelle décision sur la situation de MmeB....
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat au profit du conseil de MmeB..., la somme de 1 000 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1800613 du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes du 14 février 2018 ainsi que l'arrêté du 7 février 2018 du préfet d'Ille-et-Vilaine sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète d'Ille-et-Vilaine de prendre, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, une nouvelle décision sur la situation de MmeB....
Article 3 : Le versement de la somme de 1 000 euros à Me C... est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B...et au ministre de l'intérieur. Une copie sera transmise à la préfète d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 15 mars 2019 à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 avril 2019
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT02116