Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 décembre 2017, MmeB..., représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 juillet 2017 du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes en ce qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 juin 2017 du préfet du Morbihan décidant sa remise aux autorités polonaises ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet du Morbihan de lui délivrer une carte de séjour temporaire à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation et, dans cette attente, de la munir d'une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours, le tout sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté contesté n'est pas suffisamment motivé ;
- l'arrêté contesté est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière, faute d'entretien individuel personnel, conformément aux dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- l'arrêté contesté méconnaît les dispositions des articles 9 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et l'expose à un risque de violation des stipulations des articles 3, 5, 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu de la situation des demandeurs d'asile en Pologne.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 avril 2018, le préfet du Morbihan conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B...ne sont pas fondés.
Mme B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 novembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Francfort a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. MmeB..., ressortissante russe née le 20 février 1994, a présenté une demande d'asile à la préfecture d'Ille-et-Vilaine le 21 octobre 2016. La consultation du fichier Visabio ayant révélé qu'elle était titulaire d'un visa de court séjour délivré le 2 juin 2016 par les autorités polonaises, celles-ci, saisies d'une demande de prise en charge, ont donné leur accord le 13 janvier 2017. Par deux arrêtés du 19 juin 2017, le préfet du Morbihan, d'une part, a prononcé la remise de Mme B...aux autorités polonaises, responsables de sa demande d'asile, et d'autre part, l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Mme B...relève appel du jugement du 7 juillet 2017 du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 juin 2017 du préfet du Morbihan décidant sa remise aux autorités polonaises.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, il y a lieu pour la cour d'écarter le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté contesté par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ".
4. Il ressort des pièces du dossier, notamment des mentions figurant sur le formulaire signé par Mme B...à l'issue de l'entretien individuel dont elle a bénéficié le 21 octobre 2016, avec l'aide d'un interprète russe, langue dans elle a déclaré comprendre, que la requérante a pu présenter les éléments relatifs à sa situation personnelle pouvant avoir une influence sur l'arrêté contesté. Mme B...s'est également vu remettre une copie de ce formulaire. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté en cause méconnaîtrait les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
5. En troisième lieu, d'une part, aux termes de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Membres de la famille bénéficiaires d'une protection internationale - Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d'origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale dans un Etat membre, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. ".
6. D'autre part, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes de l'article 5 de la même convention : " Droit à la liberté et à la sûreté - 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales (...) f) s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours ". Aux termes de l'article 6 de la même convention : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial (...) ". Aux termes de l'article 13 de la même convention : " Droit à un recours effectif - Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. ".
7. Mme B...ne soutient ni même n'allègue qu'un membre de sa famille aurait été admis à résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale dans un Etat membre. Quant au bénéfice de la clause humanitaire prévue par l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, celui-ci ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Si la requérante soutient que le préfet du Morbihan a méconnu les dispositions de cet article dès lors que l'arrêté contesté l'expose, en raison des modalités d'accueil des demandeurs d'asile en Pologne et d'instruction de leurs demandes, aux risques d'être confrontée à des atteintes au droit d'asile et de se voir infliger des traitements contraires aux stipulations des articles 3 et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale, il est toutefois constant que la Pologne, Etat membre de l'Union européenne, a ratifié la convention de Genève et ses protocoles additionnels et est signataire de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En faisant référence à diverses décisions juridictionnelles, une communiqué du défenseur des droits de juin 2012 ou à des rapports émanant d'organisations non gouvernementales mettant essentiellement en cause le traitement appliqué à des ressortissants tchétchènes, la requérante ne justifie pas de la réalité et du caractère personnel des risques allégués qui feraient obstacle à sa remise aux autorités polonaises. Par suite, Mme B...ne fait valoir aucune circonstance particulière justifiant que sa demande d'asile aurait dû être examinée par la France. En conséquence, le moyen tiré de ce que le préfet du Morbihan aurait méconnu les dispositions citées aux points 5 et 6 du présent arrêt doit être écarté.
8. Par ailleurs, si la requérante soutient que le préfet aurait dû prendre en compte le fait que le père de ses enfants vit à Vannes et " est présent pour ces enfants du mieux qu'il le peut ", elle n'apporte pas davantage qu'en première instance de justification ni de la réalité ni de l'intensité d'une vie familiale.
9. Il résulte de ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur le surplus des conclusions :
10. Les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par Mme B...et celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B...et au ministre de l'intérieur. Une copie en sera transmise au préfet du Morbihan.
Délibéré après l'audience du 16 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 3 décembre 2018.
Le rapporteur,
J. FRANCFORTLe président,
H. LENOIR
Le greffier,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 17NT039102