Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée sous le n° 19NT02548 enregistrée le 1er juillet 2019, la préfète d'Ille-et-Vilaine demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée du 27 juin 2019 quant à l'ensemble de son dispositif ;
2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Rennes par M. C....
Elle soutient que :
- c'est à tort que le premier juge, qui a commis une erreur de fait, a estimé qu'il n'avait pas contesté les allégations de M. C... ;
- c'est également à tort que le premier juge a estimé que l'Italie présentait des défaillances systémiques dans ses conditions d'accueil et de traitement des demandes d'asile ; les éléments que M. C... a produit à l'appui de ses allégations ne sont pas suffisants pour renverser la présomption selon laquelle sa demande d'asile sera effectivement examinée en Italie, dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ; il ne démontre pas davantage qu'il serait personnellement exposé à des risques de traitement inhumains ou dégradants en Italie ; le premier juge ne pouvait se fonder sur le récit que M. C... a livré à l'audience ; les empreintes ont été enregistrées auprès des autorités italiennes en catégorie 1 ce qui signifie qu'il a expressément formulé une demande d'asile auprès de ces autorités ; le fait qu'un accord de prise en charge ne soit pas explicite mais naisse du silence gardé par les autorités regardées comme responsables, ce que permet le règlement de Dublin, assurent au demandeur, contrairement à ce que retient le jugement attaqué, les mêmes droits et garanties que ceux émanant d'un accord explicite ;
- le tribunal administratif a commis une erreur de droit en lui enjoignant d'autoriser l'intéressé à déposer une demande d'asile en France.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2019, M. C..., représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens soulevés par la préfète d'Ille-et-Vilaine ne sont pas fondés.
II. Par une requête enregistrée sous le n° 19NT02549, le 1er juillet 2019, la préfète d'Ille-et-Vilaine demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement susvisé de la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes du 27 juin 2019.
Elle reprend les mêmes moyens que dans l'instance n° 19NT02548, lesquels paraissent, selon lui, sérieux en l'état de l'instruction.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 août 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- et les observations de Me B... représentant M. A... C....
Considérant ce qui suit :
1. La préfète d'Ille-et-Vilaine relève appel du jugement du 27 juin 2019 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes a, d'une part, annulé ses arrêtés du 19 juin 2019 par lesquels elle a décidé la remise de M. A... C... aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a assigné à résidence et, d'autre part, lui a enjoint d'autoriser l'intéressé à solliciter l'asile en France, de lui délivrer un récépissé en qualité de demandeur d'asile dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 800 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur la requête n° 19NT02548 :
2. D'une part, aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...) La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, l'article 17 du même règlement dispose que : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité ".
3. D'autre part, si un Etat membre de l'Union européenne appliquant le règlement dit " Dublin III " est présumé respecter ses obligations découlant de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, cette présomption peut être renversée en cas de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans cet Etat membre, l'empêchant de prendre en charge le demandeur d'asile sans lui faire courir le risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants. Il appartient au juge administratif de rechercher si, à la date d'édiction de la décision litigieuse et eu égard aux éléments produits devant lui et se rapportant à la procédure d'asile appliquée dans l'Etat membre initialement désigné comme responsable au sens de ces dispositions, il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités de ce même Etat membre du demandeur d'asile, ce dernier n'aurait pu bénéficier d'un examen effectif de sa demande d'asile, notamment en raison d'un refus opposé à tout enregistrement des demandes d'asile ou d'une incapacité structurelle à mettre en oeuvre les règles afférentes à la procédure d'asile, ou si la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile dans ce même Etat était telle qu'un renvoi à destination de ce pays aurait exposé l'intéressé, de ce seul fait, à un risque de traitement prohibé par les dispositions et stipulations précitées.
4. Si M. C... a évoqué en première instance les conditions de son départ du Mali en mars 2017 alors qu'il était âgé de 18 ans et les conditions de sa prise en charge pendant plus d'un an dans un camp pour migrants à Milan, évoquant des conditions sanitaires difficiles et affirmant n'avoir fait l'objet d'aucune prise en charge administrative ni bénéficié d'aucune assistance juridique, linguistique ou médicale et, qu'il a, ce qui lui était loisible de faire, rappelé à l'audience ces différents éléments et exprimé des propos qui ne révélaient pas de contradictions apparentes, il n'établit toutefois par aucun élément que ces circonstances exposeraient sa demande d'asile, qui a été présentée le 9 août 2017 en Italie ainsi que l'atteste la consultation du fichier Eurodac, à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par ailleurs, la circonstance que l'Italie, qui doit être regardée comme ayant implicitement accepté la demande de transfert formulée par les autorités françaises, n'a pas confirmé expressément qu'elle reconnaissait sa qualité d'Etat responsable, demeure sans incidence sur la légalité de la décision de remise contestée. Enfin, si lors de la présence en France de M. C... a été diagnostiquée une hépatite B chronique nécessitant un suivi médical régulier mais sans qu'il soit relevé de complications graves liées à cette pathologie, cette circonstance ne permet pas à elle seule de démontrer que son état de santé le placerait dans une situation de particulière vulnérabilité imposant, même en l'absence de réponse expresse des autorités italiennes à la demande de prise en charge garantissant que ces autorités aient effectivement pris en compte l'état de santé du requérant, d'instruire sa demande d'asile en France. Par suite, la préfète d'Ille-et-Vilaine est fondée à soutenir que c'est à tort que le premier juge a, pour ce motif tiré de la méconnaissance de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 mentionné au point 2, annulé les arrêtés contestés du 19 juin 2019.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Rennes.
6. En premier lieu, il ressort des pièces versées au dossier par l'administration en première instance, que M. C... a déclaré, dans sa demande d'asile ainsi qu'au cours de l'entretien individuel en préfecture le 28 mars 2019, comprendre le français et qu'il a certifié sur l'honneur par sa signature, à l'issue de cet entretien, que " le guide du demandeur d'asile et l'information sur les règlements communautaires " lui ont été remis. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir qu'il n'aurait pas reçu, dès le début de la procédure, une information complète sur ses droits en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le moyen sera écarté comme manquant en fait.
7. En second lieu, ni le nombre mentionné comme " très important " par M. C..., de personnes sollicitant l'asile en Italie, sans d'ailleurs que le requérant ne précise la période à laquelle ces constatations auraient été effectuées, ni la référence à un rapport de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) d'août 2016, non actualisé en 2019, évoquant la saturation du système d'accueil des migrants en Italie et la dégradation des conditions d'accueil qui en résulte, dont il s'est prévalu en première instance, ne suffisent, par eux-mêmes, à caractériser des défaillances systémiques dans les conditions d'accueil et l'examen des demandes d'asile en Italie, Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le Protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 mentionné au point 2 doit également être écarté.
8. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 7, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté du 19 juin 2019 décidant sa remise aux autorités italiennes méconnaitrait, eu égard aux conditions de sa prise en charge pendant un an en Italie et à son état de santé, les dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
9. Compte tenu de ce qui précède, la préfète d'Ille-et-Vilaine est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes a annulé ses arrêtés du 19 juin 2019 par lesquels elle a décidé la remise de M. A... C... aux autorités italiennes et lui a enjoint d'autoriser l'intéressé à solliciter l'asile en France en lui délivrant un récépissé en qualité de demandeur d'asile.
10. Compte tenu également de ce qui précède, le premier juge a fait une appréciation manifestement exagérée des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, en conséquence, d'annuler le versement au conseil de M. C... de la somme de 800 euros mis à la charge de l'Etat par l'article 4 du jugement attaqué.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. C... demande devant la cour au titre des frais liés au présent litige.
Sur la requête n° 19NT02549 :
12. Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la préfète d'Ille-et-Vilaine tendant à ce qu'il soit sursis à exécution du jugement n° 1903154 du 27 juin 2019 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1903154 du 27 juin 2019 du tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. C... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 19NT02549 de la préfète d'Ille-et-Vilaine.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... C....
Une copie sera transmise à la préfète d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 11 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. D..., président-assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 novembre 2019.
Le rapporteur
O. D...Le président
H. Lenoir
La greffière,
E. Haubois
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Nos 19NT02548, 19NT02549 2