Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de M. A...,
les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... a été embauchée le 1er octobre 2001 en contrat à durée indéterminée par la société Groupe Rocher Opérations en qualité d'employée de traitement des commandes. Elle exerçait les mandats de déléguée du personnel et de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Elle s'est vue prescrire un arrêt de travail du 29 août 2011 au 5 mai 2013 suite à une maladie professionnelle et a ensuite été reconnue travailleur handicapé à compter du 3 avril 2013. Déclarée inapte à son poste, elle a été affectée temporairement à un poste d'opératrice de saisie informatique des bons de commande. Souffrant d'un syndrome anxio-dépressif, elle a été de nouveau placée en arrêt maladie du 21 janvier 2015 au 30 juin 2015, puis déclarée définitivement inapte à son poste le 2 juillet 2015. Par courrier du 18 novembre 2015, la SAS Groupe Rocher Operations a sollicité l'inspection du travail pour obtenir l'autorisation de procéder au licenciement de l'intéressée pour inaptitude. L'inspecteur du travail a rejeté cette demande par décision du 21 janvier 2016. Par lettres des 24 février et 18 mars 2016, Mme D... a demandé à son employeur la rupture conventionnelle de son contrat de travail pour mener un projet professionnel. Par courrier du 10 mai 2016, la SAS Groupe Rocher Operations a alors adressé à l'inspection du travail une demande d'autorisation de rupture conventionnelle du contrat de travail de la requérante. Par décision du 3 juin 2016, l'inspecteur du travail a fait droit à cette demande. Suite au recours hiérarchique de Mme D... à l'encontre de cette décision, la ministre chargée du travail a retiré sa précédente décision implicite de rejet, annulé la décision de l'inspecteur du travail et autorisé la rupture conventionnelle du contrat de travail de l'intéressée par décision du 20 janvier 2017. Par sa requête visée ci-dessus, Mme D... relève appel du jugement du 4 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la décision du 20 janvier 2017 de la ministre chargée du travail, ainsi que de la décision de l'inspecteur du travail du 3 juin 2016.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, et d'une part, en vertu des dispositions des articles R. 2421-4 et R. 2421-11 du code du travail, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de rupture conventionnelle d'un contrat de travail d'un salarié protégé doit, quel que soit le motif de la demande, procéder à une enquête contradictoire. En revanche, aucune règle ni aucun principe ne fait obligation au ministre chargé du travail, saisi d'un recours hiérarchique sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du même code, de procéder lui-même à cette enquête contradictoire. Il en va toutefois autrement si l'inspecteur du travail n'a pas lui-même respecté les obligations de l'enquête contradictoire et que, par suite, le ministre annule sa décision et statue lui-même sur la demande d'autorisation.
3. D'autre part, le ministre chargé du travail, saisi sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du code du travail, d'un recours contre une décision autorisant ou refusant d'autoriser la rupture conventionnelle d'un salarié protégé, doit mettre le tiers au profit duquel la rupture contestée a créé des droits - à savoir, respectivement, l'employeur ou le salarié protégé - à même de présenter ses observations, notamment par la communication de l'ensemble des éléments sur lesquels le ministre entend fonder sa décision. Toutefois, cette communication n'est ni spontanée, ni systématique, elle doit seulement permettre d'informer suffisamment les intéressés de leur droit d'accès aux différentes pièces. C'est seulement lorsque le tiers concerné manifeste ensuite son souhait d'accéder aux pièces et éléments, que le ministre doit satisfaire à cette demande en permettant à l'intéressé de les lire lui-même, de les avoir en main ou d'en obtenir copie.
4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, par courriel du 20 octobre 2016, l'administration du travail a communiqué le mémoire de l'employeur à Mme D... et à son conseil, en précisant que le mémoire était accompagné de quarante-sept pièces, trop volumineuses pour leur être adressées et qui étaient mises à leur disposition sur place. La requérante ne soutient ni même n'allègue avoir manifesté, suite à ce courriel, son souhait d'accéder aux pièces et éléments en question. Par suite, Mme D..., qui a été mise en mesure de prendre connaissance de ces éléments, n'est pas fondée à soutenir que le principe du contradictoire aurait été méconnu.
5. En deuxième lieu, et d'une part, il résulte des dispositions, alors applicables, de l'article L. 2421-3 du code du travail que : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un délégué du personnel ou d'un membre élu du comité d'entreprise titulaire ou suppléant, d'un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'un représentant des salariés au comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 2421-9 du même code : " l'avis du comité d'entreprise est exprimé au scrutin secret après audition de l'intéressé ". Saisie par l'employeur d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé auquel s'appliquent ces dispositions, il appartient à l'administration de s'assurer que la procédure de consultation du comité d'entreprise a été régulière. Elle ne peut légalement accorder l'autorisation demandée que si le comité d'entreprise a été mis à même d'émettre son avis en toute connaissance de cause, dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d'avoir faussé sa consultation. D'autre part, ces articles se trouvant dans la section I du chapitre Ier du titre II du livre IV du code du travail, leurs dispositions sont applicables, en vertu de l'article L. 1237-15 du code du travail, à la procédure de demande d'autorisation de rupture conventionnelle dont doit être saisi l'inspecteur du travail pour des salariés protégés.
6. Il ressort des pièces du dossier que le comité d'établissement a été consulté le 21 avril 2016 sur le projet de rupture conventionnelle du contrat de travail de Mme D.... Il ressort des mentions du procès-verbal de cette réunion que ce projet de rupture a donné lieu à un avis majoritairement favorable de cinq voix favorables et deux abstentions. Mme D..., qui était présente lors de l'examen de son dossier, ne fait valoir aucune circonstance particulière tenant au déroulement de la séance du comité qui l'aurait empêchée de s'exprimer en toute liberté pour exposer d'éventuelles observations. Enfin, le procès-verbal précité mentionne également que : " Les membres du comité d'établissement n'ayant pas de question à poser à la Direction ou à Mme D..., il est procédé au vote à bulletins secrets (...) ", ce qui implique qu'au moment du vote, le comité d'entreprise a été mis à même d'émettre son avis en toute connaissance de cause, dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d'avoir faussé sa consultation. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les décisions contestées seraient entachées d'irrégularité en raison de son absence d'audition lors de la réunion du comité d'entreprise en méconnaissance de l'article R. 2421-9 du code du travail.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 2421-10 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " La demande d'autorisation de licenciement d'un délégué du personnel, d'un membre du comité d'entreprise ou d'un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement qui l'emploie. Elle est accompagnée du procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise. (...) "
8. En l'espèce, il est contant que la décision de l'inspecteur du travail du 3 juin 2016 vise le procès-verbal du comité d'établissement, ce qui atteste que l'inspecteur du travail avait à sa disposition le procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise au moment de prendre sa décision. La circonstance que ce procès-verbal aurait été adressé après la demande d'autorisation de la rupture conventionnelle, est sans incidence sur la régularité de la procédure, dès lors que cette communication est intervenue avant que l'inspecteur du travail ne prenne sa décision.
9. En quatrième lieu, et d'une part, aux termes de l'article L. 123711 du code du travail : " L'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties. Elle résulte d'une convention signée par les parties au contrat. Elle est soumise aux dispositions de la présente section destinée à garantir la liberté du consentement des parties ". Aux termes de l'article L. 1237-13 du même code : " La convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui ne peut pas être inférieur à celui de l'indemnité prévue à l'article L. 1234-9. Elle fixe la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l'homologation. A compter de la date de sa signature par les deux parties, chacune d'entre elles dispose d'un délai de quinze jours calendaires pour exercer son droit de rétractation. Ce droit est exercé sous la forme d'une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception par l'autre partie. ". Aux termes de l'article L. 123715 du même code : " Les salariés bénéficiant d'une protection mentionnée aux articles L. 24111 et L. 24112 peuvent bénéficier des dispositions de la présente section. Par dérogation aux dispositions de l'article L. 23714, la rupture conventionnelle est soumise à l'autorisation de l'inspecteur du travail dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre Ier du livre IV, à la section 1 du chapitre Ier et au chapitre II du titre II du livre IV de la deuxième partie. Dans ce cas, et par dérogation aux dispositions de l'article L. 123713, la rupture du contrat de travail ne peut intervenir que le lendemain du jour de l'autorisation. (...) ". D'autre part, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque la rupture conventionnelle du contrat de travail de l'un de ses salariés est envisagée, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la rupture conventionnelle n'est pas entachée de fraude et si le salarié à librement consenti à cette rupture.
10. Contrairement à ce qui est allégué par Mme D..., aucune disposition législative ou réglementaire n'interdit aux parties de conclure une rupture conventionnelle lorsque le salarié est handicapé ou déclaré inapte, sauf cas de fraude ou de vice du consentement. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que la mise en oeuvre de la procédure de rupture conventionnelle, initiée à la demande de l'intéressée, qui a motivé sa demande du 24 février 2016 par le souhait de concrétiser un " projet personnel ", aurait eu pour objet d'éviter une procédure de licenciement pour inaptitude et le versement des indemnités y afférentes ou d'exonérer l'employeur de ses obligations de reclassement. En effet, suite à la reconnaissance de son inaptitude, l'intéressée s'est vu proposer le 3 février 2016 et le 29 février 2016, après consultation des délégués du personnel, plusieurs propositions de reclassement, dont des postes de gestionnaire de données de base, de gestionnaire transport Europe et d'opérateur de conditionnement et d'assistant administratif ou d'assistante commerciale de Région. Si la requérante soutient qu'elle n'était pas à l'aise avec l'outil informatique, il n'est pas contesté que la société a organisé à son bénéfice une formation aux outils bureautiques du 7 au 11 mars 2016. De même, la circonstance que ces postes étaient éloignés de son domicile ne saurait induire une absence de caractère précis et sérieux desdites propositions. Dans ces conditions, alors même que l'inspecteur du travail avait refusé le 21 janvier 2016 le licenciement pour inaptitude de Mme D... en se fondant sur l'absence d'avis du médecin du travail sur les offres de reclassement, l'intéressée n'est pas fondée à soutenir que les décisions contestées seraient entachées d'une fraude ou d'un détournement de procédure.
11. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la rupture conventionnelle en cause serait entachée d'un vice de consentement. En effet, la requérante a pris l'initiative de la procédure de rupture conventionnelle, en adressant à son employeur une demande en ce sens, par deux courriers des 24 février et 18 mars 2016. Suite à ces demandes, Mme D... a été convoquée à deux entretiens préparatoires à la signature de la convention de rupture, les 17 mars et 7 avril 2016. Elle n'a pas, suite à ces entretiens, exercé son droit de rétractation comme l'y autorisent les dispositions de l'article L. 1237-13 du code du travail précité, après la signature du formulaire de rupture du 22 avril 2016. Enfin, aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que Mme D... aurait demandé la rupture conventionnelle suite à des pressions de son employeur ayant généré un syndrome anxio-dépressif, de nature à altérer son consentement. Par suite, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que la rupture conventionnelle serait entachée d'un vice de consentement.
12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'xaminer la fin de non-recevoir opposée par la société Groupe Rocher Operations, que Mme D... n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du 4 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SAS Groupe Rocher Operations, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme D... demande au titre des frais liés au litige. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D... la somme réclamée par la SAS Groupe Rocher Operations au titre des mêmes frais.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la SAS Groupe Rocher Operations tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., à la société Groupe Rocher Opérations et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 23 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président,
- M. Coiffet, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 12 novembre 2020.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
O. GASPON
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°19NT01395