Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 octobre 2021 et 18 février 2022, Mme A..., représentée par Me Néraudau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif du 6 mai 2021 en tant qu'il concerne l'arrêté du 23 avril 2021 portant transfert aux autorités espagnoles ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui remettre une attestation de demandeur d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation dans les meilleurs délais ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- les stipulations des articles 4, 13 et 29 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ;
- les dispositions des articles 21 et 22 du règlement n° 604-2013 ont été méconnues ;
- les dispositions de l'article 17 du même règlement ont été méconnues ; ses empreintes n'ont pas été relevées lors de son transfert en Espagne ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de fait et révèle un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- la fragilité de sa situation ne lui a pas permis de se rendre aux convocations au pôle régional " Dublin " ; de plus, il n'est pas établi que les autorités espagnoles auraient été informées de sa " fuite ".
Par un courrier du 15 novembre 2021, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de soulever d'office un moyen d'ordre public tiré du non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête à fin d'annulation de la décision de transfert en raison de l'expiration du délai de six mois prévu au 1 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
En réponse au moyen d'ordre public soulevé, le préfet de Maine-et-Loire a produit des pièces, enregistrées le 17 novembre 2021, aux termes desquelles le délai de transfert a été reporté au 5 novembre 2022.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2022, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 septembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Gélard a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante guinéenne, relève appel du jugement du 6 mai 2021 du magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 avril 2021 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. D'une part, aux termes de l'article 29, paragraphe 1, du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à (...) dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".
3. D'autre part, l'article 9, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, tel que modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, dispose qu'il " incombe à l'État membre qui, pour un des motifs visés à l'article 29, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013, ne peut procéder au transfert dans le délai normal de six mois (...) d'informer l'Etat responsable avant l'expiration de ce délai ", à défaut de quoi " la responsabilité du traitement de la demande de protection internationale (...) incomb[e] à cet État membre ". Il résulte de cette disposition que, même lorsqu'un demandeur d'asile est en situation de fuite, au sens de l'article 29 paragraphe 2 du règlement (UE) n° 604/2013, et que cette situation a été constatée à l'intérieur du délai normal de transfert de six mois par l'Etat membre ayant émis une requête aux fins de reprise en charge de ce demandeur d'asile, cet Etat membre devient responsable de la demande d'asile lorsque, n'ayant pas procédé au transfert de l'intéressé dans le délai de six mois, il ne justifie pas avoir informé l'Etat membre responsable de la demande d'asile, à l'intérieur de ce délai, de la prolongation de celui-ci résultant de la situation de fuite.
4. Si Mme A... soutient qu'elle ne peut être considérée comme étant en fuite, dès lors la fragilité de sa situation ne lui a pas permis de se rendre aux convocations au pôle régional " Dublin ", les justificatifs dont elle se prévaut ne suffisent pas à établir la réalité de ses allégations. Par ailleurs le préfet de Maine-et-Loire justifie, par la production du courrier " validé et certifié par l'Unité Dublin " lors de sa transmission via Dublinet, ainsi que par celle de son courriel du 15 juillet 2021 à ce service, portant le numéro de référence Dublin du dossier de Mme A..., auquel cette pièce était jointe, que les autorités espagnoles ont été informées de la situation de fuite de l'intéressée. Par suite, le délai de transfert vers l'Espagne de cette dernière, qui a recommencé à courir le 6 novembre 2021 a été porté à dix-huit mois, par application de l'article 29 paragraphe 2 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il suit de là que l'exception de non-lieu à statuer soulevée par Mme A... ne peut qu'être écartée.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté de transfert aux autorités espagnoles :
5. En premier lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus par le premier juge, les moyens tirés de la violation des articles 4 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013, 13 et 29 du règlement n° 603-2013 du 26 juin 2013 et des moyens tirés de ce que le préfet n'aurait pas procédé à un examen de sa situation personnelle et entaché son arrêté d'une erreur de fait, que Mme A... réitère en appel, sans apporter de précisions nouvelles.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en œuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. Lors de son entretien individuel qui s'est tenu le 19 février 2021, Mme A... a déclaré avoir des problèmes aux yeux, au cou et de menstruation. Les ordonnances et résultats d'examens qu'elle produit attestent également de douleurs lombaires et d'un flexum irréductible et douloureux du coude gauche. La prescription d'antalgiques et d'antibiotiques ne suffisent toutefois pas à établir que l'intéressée serait atteinte d'une pathologie invalidante l'empêchant de voyager vers l'Espagne ainsi qu'en attestent d'ailleurs son précédent transfert vers ce pays puis son retour en France. De plus, le certificat du 3 mai 2021, s'il révèle, postérieurement à la décision attaquée, une situation préexistante, se borne à indiquer que la requérante souffre d'une " HTA labile persistante " dont le traitement nécessite une réadaptation, sans mentionner l'urgence de cette modification thérapeutique, laquelle pourra être réalisée en Espagne compte tenu des structures sanitaires de ce pays. Par suite, ces pièces médicales, prises dans leur ensemble, ne suffisent pas à établir que Mme A... présenterait une vulnérabilité particulière à raison de son état de santé. Dans ces conditions, la requérante n'établit pas qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et en prononçant son transfert aux autorités espagnoles, le préfet de Maine-et-Loire aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par suite ce moyen ne peut qu'être écarté.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 21 du règlement du 26 juin 2013 : " (...) 2. L'État membre requérant peut solliciter une réponse en urgence dans les cas où la demande de protection internationale a été introduite à la suite d'un refus d'entrée ou de séjour, d'une arrestation pour séjour irrégulier ou de la signification ou de l'exécution d'une mesure d'éloignement / La requête indique les raisons qui justifient une réponse urgente et le délai dans lequel une réponse est attendue. Ce délai est d'au moins une semaine. ". Aux termes de l'article 22 du même règlement : " (...) 6. Si l'État membre requérant a invoqué l'urgence conformément aux dispositions de l'article 21, paragraphe 2, l'État membre requis met tout en œuvre pour respecter le délai demandé. Exceptionnellement, lorsqu'il peut être démontré que l'examen d'une requête aux fins de prise en charge d'un demandeur est particulièrement complexe, l'État membre requis peut donner sa réponse après le délai demandé, mais en tout état de cause dans un délai d'un mois. Dans ce cas, l'État membre requis doit informer l'État membre requérant dans le délai initialement demandé qu'il a décidé de répondre ultérieurement. 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d'un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. ".
9. Il ressort des pièces du dossier que les autorités espagnoles ont été saisies par la France, le 25 février 2021, sur le fondement de l'article 21-2 précité du règlement du 26 juin 2013, d'une demande de prise en charge de Mme A.... L'intéressée avait en effet précédemment fait l'objet d'une mesure d'éloignement portant transfert vers l'Espagne, qui avait été exécutée le 14 septembre 2020. En application de ces dispositions, les autorités françaises ont sollicité une réponse urgente pour le 12 mars 2021. La circonstance, à la supposée établie, que l'Espagne, qui a exprimé son accord le 17 mars 2021, n'aurait pas au préalable informé la France qu'elle ne respecterait pas le délai imparti, est sans incidence sur la légalité de la décision contestée, laquelle au demeurant n'a été prise que le 23 avril 2021, dès lors que les autorités espagnoles ont accepté de prendre en charge l'intéressée et que cette dernière n'a été privée d'aucune garantie. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles 21 et 22 du règlement du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision portant transfert vers l'Espagne prise à son encontre.
Sur le surplus des conclusions :
11. Les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par Mme A... et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet de ses conclusions principales.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme N'Sira A... et au ministre de l'intérieur.
Une copie sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 25 février 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 mars 2022.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT02887