Par une requête enregistrée le 7 mai 2019, la société Dagon Service Ltd, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 7 mars 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 19 avril 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Centre Val de Loire a prononcé à son encontre une amende administrative d'un montant de 5 000 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'un des deux auteurs des contrôles des 18 octobre et 6 novembre 2017 et du rapport du 20 novembre 2017 était incompétent territorialement ;
- elle avait régularisé le manquement au titre duquel a été prise la sanction lorsque le rapport définitif a été rendu par l'inspection du travail ; en l'absence de manquement, et conformément aux dispositions de l'article L.8115-1 du code du travail, l'administration ne pouvait prononcer à son encontre une amende ;
- le tribunal a, à tort, répondu à l'argument avancé par surcroit tiré de la récente consécration par le législateur du droit à l'erreur ; elle n'entend pas substituer l'application de ce droit nouvellement consacré à celle du cadre réglementaire prescrit par ces dispositions du code du travail ; elle voulait simplement souligner qu'elle n'était pas avisée de la situation, son activité et son siège social se trouvant au Royaume-Uni, et qu'elle avait fait preuve de diligence et de réactivité ;
- la sanction infligée n'est pas fondée dès lors qu'elle ne peut être considérée comme responsable du manquement, ayant dans le contrat de mise à disposition de ses salariés à la société " Les Bergerons ", délégué l'obligation d'hygiène et de sécurité à cette dernière société, entreprise utilisatrice ; elle n'avait pas connaissance de la violation des dispositions du code du travail ;
- alors qu'il s'agit de son premier manquement, qu'elle n'était pas informée du manquement et qu'elle a fait preuve de bonne foi en régularisant, elle peut invoquer le droit à l'erreur prévu à l'article L. 123-1 du code des relations entre le public et l'administration.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2020, la ministre chargée du travail conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens présentés par la société Dagon Service Ltd ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet, président-assesseur,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., substituant Me A..., représentant la société Dagon Service Ltd.
Considérant ce qui suit :
1. Lors d'un contrôle réalisé le 18 octobre 2017 au sein de l'exploitation agricole dénommée la société " Les Bergerons ", les agents de contrôle de l'unité départementale du Cher ont constaté la présence de dix salariés de nationalité polonaise détachés par la société Dagon Service Ltd et plusieurs manquements aux règles d'hygiène, de restauration et d'hébergement. Par un courrier du 27 octobre 2017, cette société de travail temporaire domiciliée en Grande-Bretagne a été informée par les inspecteurs du travail qu'il avait été constaté que les sanitaires étaient sales et ne permettaient pas le maintien de l'hygiène, que les salles d'eau n'étaient pas chauffées et présentaient des fuites d'eau, que les réserves d'eau chaude étaient insuffisantes, que le réfectoire n'était pas chauffé et ne disposait pas de fenêtres sur l'extérieur et que les salariés ne disposaient pas de l'espace minimum requis dans les dortoirs ; il était enfin indiqué à la société qu'elle devait, afin d'éviter des poursuites pénales ultérieures, mettre fin à ces manquements avant le 2 novembre 2017. Lors d'un second contrôle effectué, le 6 novembre 2017, les inspecteurs du travail ont constaté la conformité des dortoirs et du réfectoire mais la persistance de différents manquements s'agissant des installations sanitaires. Le 16 novembre 2017, la société Dagon Service Ltd a communiqué à l'administration un contrat d'entretien des locaux en question conclu avec une société privée. Après mise en oeuvre de la procédure contradictoire prévue par les dispositions de l'article L. 8115-5 du code du travail, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Centre-Val de Loire a prononcé, par une décision du 19 avril 2018, une amende administrative d'un montant de 5 000 euros à son encontre. Cette décision est intervenue au motif que les hébergements que les salariés - que la société Dagon Service Ltd a détachés auprès de la société " Les Bergerons " - occupaient n'étaient pas conformes aux dispositions de l'article R. 4228-27 du code du travail.
2. Le recours gracieux de la société Dagon Service Ltd formé le 22 juin 2018 à l'encontre de cette décision a été rejeté par une décision du 12 juillet 2018. Cette société a, le 12 septembre 2018 saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 19 avril 2018. Elle relève appel du jugement du 7 mars 2019 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 8122-10 du code du travail : " I. - Dans chaque unité de contrôle mentionnée au 1° de l'article R. 8122-3, l'agent de contrôle de l'inspection du travail exerce ses missions sur le territoire d'une section. Il peut, lorsqu'une action le rend nécessaire, intervenir sur le reste du territoire de l'unité départementale à laquelle est rattachée l'unité de contrôle où il est affecté. (...) ". La décision contestée du 19 avril 2018 est fondée sur le rapport du 20 novembre 2017, signé par Mme C... et M. D..., auteurs des contrôles effectués les 18 octobre et 6 novembre 2017. Les pièces versées en première instance établissent que ces agents ont été respectivement affectés à la section 1 de l'unité départementale de contrôle du Cher, dont dépend la commune de La Chapelle d'Angillon sur laquelle est située l'exploitation de la SARL " Les Bergerons ", et à la section 2 de cette unité départementale de contrôle. L'instruction établit également que les contrôles en litige se sont déroulés dans le cadre d'une action collective de contrôle du secteur arboricole qui, ainsi que le permettent les dispositions précitées de l'article R. 8122-10 du code du travail, nécessitait comme c'est le cas en l'espèce le travail commun d'inspecteurs du travail appartenant à deux sections différentes rattachées à l'unité départementale de contrôle à laquelle ils étaient tous deux affectés. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence territoriale de l'un des auteurs des contrôles et signataire du rapport adressé au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi doit être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 8115-1 du code du travail, dans sa version applicable : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : (...) 5° Aux dispositions prises pour l'application des obligations de l'employeur relatives aux installations sanitaires, à la restauration et à l'hébergement prévues au chapitre VIII du titre II du livre II de la quatrième partie, ainsi qu'aux mesures relatives aux prescriptions techniques de protection durant l'exécution des travaux de bâtiment et génie civil prévues au chapitre IV du titre III du livre V de la même partie pour ce qui concerne l'hygiène et l'hébergement " et aux termes de l'article R. 4228-27 du même code : " La surface et le volume habitables, au sens de l'article R. 111-2 du code de la construction et de l'habitation, des locaux affectés à l'hébergement des travailleurs ne peuvent être inférieurs à 6 mètres carrés et 15 mètres cubes par personne. Les parties de locaux d'une hauteur inférieure à 1,90 mètre ne sont pas comptées comme surface habitable. Ces locaux sont aérés de façon permanente. Ils sont équipés de fenêtres ou autres ouvrants de surface transparente donnant directement sur l'extérieur et munis d'un dispositif d'occultation. Le travailleur doit pouvoir clore le logement et y accéder librement ".
5. La société Dagon Service Ltd soutient qu'ayant, après le premier contrôle opéré le 18 octobre 2017, régularisé sa situation quant aux manquements relevés, la décision contestée prononçant à son encontre une amende d'un montant de 5 000 euros est, au regard des dispositions du code du travail, sans fondement, aucun manquement n'ayant été relevé lors du second contrôle du 6 novembre 2017.
6. S'il résulte du rapport rédigé à l'issue du contrôle effectué le 6 novembre 2017 que les dortoirs des salariés détachés étaient désormais conformes, à cette date, à la réglementation et qu'ainsi la société avait remédié aux seuls manquements retenus par l'administration à l'issue du contrôle du 18 octobre 2017, cette circonstance ne fait toutefois pas disparaitre la réalité du manquement aux règles d'hygiène qui affectait les salariés depuis leur détachement au sein de l'exploitation agricole, la société " Les Bergerons ", notamment en ce qui concernait l'état de propreté des sanitaires du bloc de chantier mobile demeuré non conforme lors de la contre visite du 6 novembre 2017. Les circonstances selon lesquelles la société n'était pas avisée de la situation, son activité et son siège social se trouvant au Royaume-Uni, et qu'elle a fait preuve de diligence demeurent à cet égard sans incidence. La société Dagon Service Ltd n'est, par suite, pas fondée à soutenir que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Centre Val de Loire aurait fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 8115-1 du code du travail en décidant le 19 avril 2018 de prononcer à son encontre une amende administrative.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article L.4231-1 du code du travail : " Tout maître d'ouvrage ou tout donneur d'ordre, informé par écrit, par un agent de contrôle mentionné à l'article L. 8271-1-2 du présent code, du fait que des salariés de son cocontractant ou d'une entreprise sous-traitante directe ou indirecte sont soumis à des conditions d'hébergement collectif incompatibles avec la dignité humaine, mentionnées à l'article 225-14 du code pénal, lui enjoint aussitôt, par écrit, de faire cesser sans délai cette situation. / A défaut de régularisation de la situation signalée, le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre est tenu de prendre à sa charge l'hébergement collectif des salariés, dans des conditions respectant les normes prises en application de l'article L. 4111-6 du présent code ou, le cas échéant, de l'article L. 716-1 du code rural et de la pêche maritime. / (...). "
8. La société Dagon service Ltd soutient que sa responsabilité au regard des manquements constatés ne saurait être retenue dès lors qu'elle a dans le contrat de mise à disposition des salariés détachés fait peser sur la société utilisatrice donneur d'ordre, la société Les Bergerons, par une délégation de pouvoir valable, l'obligation de respecter les règles d'hygiène et de sécurité requises par la loi et prévues pour le travail effectué par les salariés.
9. Il résulte cependant clairement des dispositions de l'article L. 8115-1 du code du travail, citées au point 4, que, en cas de manquement par l'employeur à ses obligations relatives aux installations sanitaires, à la restauration et à l'hébergement prescrites par ce même code, une amende est prononcée à son encontre, y compris lorsque ses salariés sont mis à disposition d'une autre société. Au cas d'espèce, il est constant que la société Dagon Service Ltd a mis les salariés qu'elle avait elle-même recrutés à disposition de l'exploitation agricole, la Sarl " Les Bergerons ", entreprise utilisatrice. La société requérante, entreprise de travail temporaire, ne saurait, en conséquence, en sa qualité d'employeur des salariés en question, s'exonérer des obligations découlant des dispositions du code du travail et soutenir que seule la société " Les Bergerons " serait responsable des manquements constatés. Elle ne saurait, à cet égard, utilement invoquer la circonstance que la société " Les Bergerons " ne lui aurait pas, en méconnaissance des dispositions de l'article L.4231-1 du code du travail, rappelées au point 7, enjoint de se conformer à la réglementation.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Dagon Service Ltd n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Dagon Service Ltd demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Dagon Service Ltd est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié la société Dagon Service Ltd et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2020.
Le rapporteur
O. COIFFETLe président
O. GASPON
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19NT01734 2