Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 juin 2019, M. C..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif du 18 mars 2019 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 1er mars 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de procéder à un nouvel examen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision de transfert est insuffisamment motivée et révèle un défaut d'examen de sa situation personnelle au regard notamment du risque lié au transfert ;
- l'arrêté a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 dès lors qu'il n'est pas établi qu'il aurait reçu une information complète sur ses droits dès le début de la procédure ;
- les dispositions de l'article 5 du même règlement ont été méconnues dans la mesure où il n'a pas été en mesure de faire part de ses craintes en cas de retour au Cameroun ; il n'est pas établi que l'entretien a été mené par une personne qualifiée et dans le respect des règles de confidentialité ;
- cette décision est contraire aux stipulations des articles 4 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français à destination du Cameroun ;
- le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions des articles 17 du règlement du 26 juin 2013 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu des attaches qu'il a nouées en France et de ses problèmes de santé ;
- la décision d'assignation à résidence est insuffisamment motivée ;
- l'illégalité de la décision de transfert entaché d'illégalité la décision d'assignation à résidence ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il est contraint de se présenter chaque jour entre 9 h et 11h au commissariat central de Nantes ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à sa liberté d'aller et de venir ainsi qu'à son droit au recours effectif.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 septembre 2019, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.
Il indique que M. C... doit être regardé comme étant en fuite et soutient que les moyens soulevés par l'intéressé ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juin 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant camerounais, relève appel du jugement du 18 mars 2019 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er mars 2019 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a décidé son transfert aux autorités belges, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que de l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne l'arrêté de transfert aux autorités belges :
2. En premier lieu, l'arrêté contesté indique les considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet s'est fondé. Il précise en outre que le 3 octobre 2018, les autorités belges ont fait connaître leur accord de reprise de M. C... sur le fondement du d) du paragraphe 1 de l'article 18, sa demande d'asile ayant été rejetée. Si le requérant soutient que cette décision ne vise pas la décision d'obligation de quitter le territoire belge dont il a fait l'objet, il n'établit pas, en tout état de cause, en avoir informé le préfet. Par suite, cette décision est suffisamment motivée et ne révèle aucun défaut d'examen de sa situation personnelle et familiale.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 visé ci-dessus : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable (...) ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert;/e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Enfin selon les dispositions de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) " ;
4. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. C... s'est vu remettre, le 21 septembre 2018, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile dans les services de la préfecture de la Loire-Atlantique, et à l'occasion de son entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, et qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées. Ces documents, dont les pages de garde ont été signées par l'intéressé le jour de son entretien, sont rédigés en français, langue que l'intéressé a déclaré comprendre ainsi que cela ressort des termes du compte-rendu de l'entretien individuel sur lequel il a également apposé sa signature. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été privé d'une garantie au motif que l'information qui lui a été donnée par les services préfectoraux aurait dû l'être avant la tenue de son entretien. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information du demandeur d'asile énoncé à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
7. Il ressort des pièces du dossier, que l'entretien individuel dont a bénéficié M. C... a été conduit par un agent qualifié de la préfecture de la Loire-Atlantique, lequel a apposé sa signature sur le compte rendu de cet entretien. Les dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 n'imposent pas que le nom de l'agent de la préfecture figure sur le résumé de l'entretien. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté litigieux aurait été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du
26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) 2. Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
9. Par les pièces qu'il produit M. C... n'établit pas l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Belgique alors que ce pays est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, si le requérant soutient qu'il risque de subir des traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi dans son pays d'origine par les autorités belges dans la mesure où il a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire de ce pays, il ne justifie ni de l'existence de cette décision, ni de son caractère définitif, ni de l'impossibilité dans laquelle il se trouverait de faire valoir auprès des autorités belges tout élément nouveau relatif à l'évolution de sa situation personnelle et à la situation qui prévaut dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles 3 du règlement du 26 juin 2013 et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que celui tiré de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent qu'être écartés.
10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".
11. M. C..., qui lors de son entretien individuel a déclaré avoir une femme, dont il serait divorcé, et des enfants restés au Cameroun, se prévaut du pacte civil de solidarité qu'il a conclu le 18 janvier 2019 avec une ressortissante française avec laquelle il s'est installé à Rezé. Il est toutefois constant que cette relation présente un caractère récent compte tenu du fait qu'il a lui-même déclaré être entré en France le 10 juin 2018. Si l'intéressé indique en outre souffrir de varices et avoir fait l'objet d'une intervention chirurgicale en ambulatoire le 6 décembre 2018 pour cette affection, il ne justifie pas de la nécessité de poursuivre des soins au-delà des six jours mentionnés sur les documents médicaux qu'il produits. Dans ces conditions, le requérant n'établit pas qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et en prononçant son transfert aux autorités belges, le préfet de la Loire-Atlantique aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par suite ce moyen ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
12. En premier lieu, la décision d'assignation à résidence de M. C... comporte les considérations de droit et fait sur lesquelles elle est fondée. Elle est par suite, suffisamment motivée.
13. En deuxième lieu, la décision de remise aux autorités belges n'étant affectée d'aucune des illégalités invoquées par M. C..., le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision, invoqué à l'appui des conclusions dirigées contre la décision d'assignation à résidence, ne peut qu'être écarté.
14. En troisième lieu, M. C... a formé, dans le délai de recours applicable, un recours contentieux contre les décisions de remise et d'assignation devant le tribunal administratif de Nantes, puis a relevé appel du jugement rendu devant la présente cour. Il a pu, au cours de ces procédures, faire valoir l'ensemble des éléments nécessaires à l'appréciation de sa situation. Dans ces conditions, et en dépit de la circonstance qu'il n'a disposé que d'un délai de quarantehuit heures pour contester ces deux décisions, il n'est pas fondé à soutenir que la décision litigieuse porterait atteinte à son droit à un recours effectif.
15. En quatrième lieu, si la décision portant obligation quotidienne de pointage au commissariat central de Nantes, entre 9 h et 11 h, à l'exception des samedis, dimanches et jours fériés, prise à l'égard de M. C... apporte des restrictions à l'exercice de certaines de ses libertés, et en particulier de sa liberté d'aller et venir, elle n'apparaît pas, compte tenu de ses modalités d'exécution et en l'absence de circonstances particulières propres à la situation de l'intéressé, comme entachée d'une erreur manifeste au regard des buts poursuivis.
16. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur le surplus des conclusions :
17. Les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. C... et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet de ses conclusions principales.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre de l'intérieur. Une copie sera transmise au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 11 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 septembre 2020.
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT02473