Par une requête enregistrée le 13 novembre 2018, la société " Cargill France ", représentée par la société d'avocats Capstan, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 13 septembre 2018 ;
2°) d'annuler la décision du 2 août 2017 de l'inspectrice du travail de la 5ème section d'inspection du travail de la Manche ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens.
Elle soutient que :
- la décision du 2 août 2017 est illégale en raison du non-respect par l'inspecteur du travail du principe du contradictoire ;
- l'appréciation du motif économique doit se faire au niveau du groupe Cargill et le motif économique du licenciement est fondé ;
- elle n'était pas en mesure de transmettre à l'inspecteur du travail ses résultats définitifs pour l'année 2017 ainsi que les résultats de la seule activité " Cargill Texturizing Solutions " (CTS) ;
- la sauvegarde de la compétitivité doit s'apprécier sur plusieurs années ;
- le reclassement de Mme C... était impossible, elle n'avait pas l'obligation de proposer à Mme C... le poste d'opérateur biopolymères au titre du reclassement interne que l'intéressée a refusé et elle ne pouvait pas se voir proposer un poste de maîtrise.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 avril 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête et s'en rapporte à ses écritures de première instance.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société " Cargill France " ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société " Cargill France ", membre du groupe Cargill, spécialisée dans la fourniture de services et de produits agroalimentaires industriels et financiers, comprend sept sites industriels sur le territoire français, dont l'établissement CTS à Baupte. Le 6 juillet 2017, le directeur de l'établissement de Baupte a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier pour motif économique Mme C..., spécialiste achat et déléguée du personnel. Par une décision du 2 août 2017, l'inspectrice du travail de la 5ème section d'inspection du travail de la Manche a refusé de délivrer l'autorisation sollicitée. Par la requête visée ci-dessus, la société
" Cargill France " demande à la cour l'annulation du jugement du 13 septembre 2018 du tribunal administratif de Caen ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 2 août 2017.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, le moyen selon lequel la décision du 2 août 2017 serait illégale en raison du non-respect par l'inspecteur du travail du principe du contradictoire sera rejetée par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
3. En second lieu, aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ".
4. D'une part, contrairement à ce qui est soutenu par la société, il ressort des pièces du dossier que le poste d'opérateur laboratoire biopolymères appartient à la catégorie " ouvrier ", coefficient 175, alors que le poste de spécialiste achats occupé par Mme C... appartient à la catégorie " employé ", coefficient 205. S'agissant d'un " emploi d'une catégorie inférieure ", ce dernier devait être proposé à l'intéressée, conformément aux dispositions citées au point 3. En outre, il n'est pas établi que Mme C... aurait refusé ledit poste si la société n'avait pas,
elle-même, indiqué à l'intéressée qu'elle ne pouvait occuper ce poste, faute de capacité physique suffisante, alors même qu'il n'est ni soutenu ni même allégué par la requérante que des aides à la manutention ne pouvaient être envisagées afin de réduire les contraintes physiques excipées.
5. D'autre part, il n'est pas contesté qu'un poste d'agent de maîtrise, relevant de la même catégorie " employé " que l'emploi de Mme C..., était disponible sur son site d'affectation mais ne lui a pas été proposé. Si la société Cargill France soutient que ce poste nécessitait des compétences techniques relatives au " management de la qualité " qui ne pouvaient être acquises au moyen d'une simple formation d'adaptation, elle n'apporte aucun élément probant au soutien de ses allégations, alors qu'il ressort des pièces du dossier que deux autres postes d'agent de maîtrise, situés sur deux autres sites, ont été proposés à Mme C... alors qu'ils nécessitaient, pour l'un, la maîtrise de la langue italienne, pour l'autre, trois ans d'expérience sur un poste de gestionnaire de relation clients export, compétences dont Mme C... était dépourvue. Si la société fait également valoir que le poste d'agent de maîtrise était occupé par une salariée intérimaire afin de pourvoir à des remplacements pendant les congés d'été, il ressort des pièces du dossier que cette intérimaire est restée en fonction de manière continue entre le 26 septembre 2016 et fin décembre 2017 et que l'occupation de ce poste par un intérimaire était justifiée par une attente de recrutement. Enfin, aucun élément ne permet d'affirmer que Mme C... n'aurait pas été en mesure de réaliser les tâches administratives attachées au poste en question. Dans ces conditions, ainsi que l'a relevé le tribunal, en ne proposant pas à Mme C... le poste d'agent de maîtrise disponible sur son site d'affectation, la société " Cargill France " a également manqué à son obligation de reclassement et l'inspecteur du travail pouvait, pour ce seul motif, refuser de délivrer l'autorisation de licencier
Mme C....
6. Il résulte de ce qui précède que la société " Cargill France " n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société " Cargill France " demande au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société " Cargill France " est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société " Cargill France ", à Mme B... C... et à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 29 novembre 2019, où siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 décembre 2019.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
H. LENOIR
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°18NT04006