Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 16 novembre 2020, le 25 janvier 2021 et le 18 mars 2021, Mme B..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 2 septembre 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 juin 2020 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de lui remettre une attestation de demande d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation ;
4°) de condamner l'Etat au paiement de la somme de 2 000 euros à verser à son conseil, sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le préfet de Maine-et-Loire n'a pas délivré l'information prévue par l'article 4 du règlement n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 en temps utile, dès l'introduction de sa demande d'asile lors de son passage dans la structure de pré-accueil ;
- l'administration a pris les empreintes de l'appelante sans lui délivrer d'informations sur ces données, contrairement à ce que prévoit l'article 13 du règlement général sur la protection des données ;
- les conditions de l'entretien Dublin prévues par l'article 5 du règlement n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 n'ont pas été respectées ;
- il existe une contradiction entre les mesures d'urgences sanitaires et le transfert dont elle fait l'objet, car la région de Madrid, région vers laquelle elle devrait être transférée, fait l'objet de mesures de confinement ;
- sa demande d'asile doit être examinée en France, en application de l'article 17-1 du règlement n° 604/2013/UE du 26 juin 2013, dès lors qu'elle souffre de problèmes de santé qui auraient dû conduire l'administration à se désigner responsable de sa demande d'asile et qu'elle bénéficie d'une prise en charge médicale auprès du CHU de Nantes ;
- il n'existe aucune garantie d'une prise en charge en Espagne nécessitant un suivi médical régulier du fait notamment de la situation sanitaire ;
- elle n'a pas bénéficié d'une prise en charge adaptée à son arrivée sur le territoire espagnol.
Par des mémoires en défense, enregistré le 9 décembre 2020 et le 5 février 2021, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Mme B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 octobre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante guinéenne, est entrée irrégulièrement sur le territoire français le 15 mars 2020 selon ses déclarations. Elle a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique le 4 juin 2020. La consultation du fichier " Eurodac " a fait apparaître que ses empreintes digitales avaient été enregistrées en Espagne le 30 janvier 2020 et qu'elle avait franchi irrégulièrement la frontière espagnole dans les douze mois précédant la date de dépôt de sa demande d'asile. Les autorités espagnoles ont été saisies le 5 juin 2020 d'une demande de prise en charge sur le fondement de l'article 13-1 du règlement (UE) n° 604/2013. Ces dernières ont fait connaître leur accord le 11 juin 2020. Le préfet de Maine-et-Loire a alors décidé de transférer Mme B... aux autorités espagnoles et de l'assigner à résidence par deux arrêtés du 22 juin 2020. Par sa requête visée ci-dessus, Mme B... relève appel du jugement du 2 septembre 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 juin 2020 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 visé ci-dessus : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; /b) des critères de détermination de l'État membre responsable (...); /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert;/e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Enfin selon les dispositions de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) " ;
3. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme B... s'est vu remettre, le 4 juin 2020, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile dans les services de la préfecture, et à l'occasion de son entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées ainsi que les informations utiles prévues par l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013. Ces documents, dont les pages de garde ont été signées par l'intéressée, sont rédigés en langue française que celle-ci a déclaré comprendre, ainsi qu'en atteste le recueil d'informations signé par Mme B.... La requérante a également reçu le guide du demandeur d'asile en langue française. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été privée d'une garantie au motif que l'information qui lui a été donnée par les services préfectoraux aurait dû l'être dès son passage dans la structure de pré-accueil et que son droit à l'information énoncé à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 aurait été méconnu.
5. En deuxième lieu, l'article 13 du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données dispose que : " 1. Lorsque des données à caractère personnel relatives à une personne concernée sont collectées auprès de cette personne, le responsable du traitement lui fournit, au moment où les données en question sont obtenues, toutes les informations suivantes : / a) l'identité et les coordonnées du responsable du traitement et, le cas échéant, du représentant du responsable du traitement ; / b) le cas échéant, les coordonnées du délégué à la protection des données ; / c) les finalités du traitement auquel sont destinées les données à caractère personnel, ainsi que la base juridique du traitement ; / d) lorsque le traitement est fondé sur l'article 6, paragraphe 1, point f), les intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers ; / e) les destinataires ou les catégories de destinataires des données à caractère personnel, s'ils existent ; et / f) le cas échéant, le fait que le responsable du traitement a l'intention d'effectuer un transfert de données à caractère personnel vers un pays tiers ou à une organisation internationale, et l'existence ou l'absence d'une décision d'adéquation rendue par la Commission ou, dans le cas des transferts visés à l'article 46 ou 47, ou à l'article 49, paragraphe 1, deuxième alinéa, la référence aux garanties appropriées ou adaptées et les moyens d'en obtenir une copie ou l'endroit où elles ont été mises à disposition ; / 2. En plus des informations visées au paragraphe 1, le responsable du traitement fournit à la personne concernée, au moment où les données à caractère personnel sont obtenues, les informations complémentaires suivantes qui sont nécessaires pour garantir un traitement équitable et transparent : / a) la durée de conservation des données à caractère personnel ou, lorsque ce n'est pas possible, les critères utilisés pour déterminer cette durée ; b) l'existence du droit de demander au responsable du traitement l'accès aux données à caractère personnel, la rectification ou l'effacement de celles-ci, ou une limitation du traitement relatif à la personne concernée, ou du droit de s'opposer au traitement et du droit à la portabilité des données ; / c) lorsque le traitement est fondé sur l'article 6, paragraphe 1, point a), ou sur l'article 9 point a), l'existence du droit de retirer son consentement à tout moment, sans porter atteinte à la licéité du traitement fondé sur le consentement effectué avant le retrait ; / d) le droit d'introduire une réclamation auprès d'une autorité de contrôle ; (...) 4. Les paragraphes 1, 2 et 3 ne s'appliquent pas lorsque, et dans la mesure où, la personne concernée dispose déjà de ces informations ".
6. A la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 13 du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. La méconnaissance de cette obligation d'information dans une langue comprise par l'intéressé ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles la France transfère un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande. Dans ces conditions, la circonstance que Mme B... n'aurait pas reçu l'information prévue par ces dispositions avant le relevé de ses empreintes est sans incidence sur la légalité de la décision portant transfert auprès des autorités espagnoles.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".
8. Les services de la préfecture de la Loire-Atlantique, et en particulier les agents recevant les étrangers au sein du guichet unique des demandeurs d'asile, doivent être regardés comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013, de " personne qualifiée en vertu du droit national " pour mener l'entretien prévu à cet article. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a été reçue en entretien par un agent de la préfecture de la Loire-Atlantique le 4 juin 2020. Le procès-verbal d'entretien mentionne que l'entretien a été mené par un agent habilité de la préfecture de la Loire-Atlantique et ce procès-verbal est signé par l'agent en question, ce qui est suffisant pour établir que l'entretien a été mené par une personne qualifiée au sens du droit national. En outre, il ressort des termes même de cet entretien que l'intéressée a été interrogée de manière approfondie sur son parcours personnel durant son entretien individuel. Aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que les conditions de l'entretien, tenant notamment aux garanties de confidentialité, n'auraient pas été respectées. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision du préfet de Maine-et-Loire méconnaîtrait les dispositions sus rappelées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
9. En quatrième lieu, les considérations relatives au contexte de pandémie du fait du virus de la Covid-19 sont, contrairement à ce que soutient Mme B..., sans incidence sur la légalité de l'arrêté contesté mais relèvent de son exécution, le préfet disposant en tout état de cause, selon les cas, d'un délai de six à dix-huit mois pour ce faire. Dans ces conditions, la circonstance que les autorités espagnoles et françaises ont adopté des mesures de confinement et de couvre-feu et que les transferts en direction de l'Espagne seraient interrompus est sans incidence sur la légalité de l'arrêté portant transfert.
10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoit en principe qu'une demande d'asile est examinée par un seul État membre et que cet État est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre, soit de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un État membre, soit de la clause humanitaire définie par le paragraphe 2 de ce même article 17 du règlement. Cette faculté laissée à chaque État membre par l'article 17 de ce règlement est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
11. Enfin, en se bornant à faire état de sa particulière vulnérabilité découlant de son parcours migratoire et de son état de santé caractérisé par des douleurs au bras et aux yeux et des maux de ventre chroniques, alors qu'il n'est pas établi par les pièces médicales produites que l'état de santé de Mme B... ferait obstacle à son transfert vers l'Espagne et qu'elle ne pourrait recevoir, dans ce pays, le suivi médical nécessaire, Mme B... ne fait valoir aucune circonstance particulière lui ouvrant le bénéfice des dispositions précitées. Par suite, le moyen selon lequel la décision attaquée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nantes du 2 septembre 2020.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt, qui conclut au rejet des conclusions à fin d'annulation de la requête, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par la requérante ne peuvent être accueillies.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme B... demande au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 30 avril 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 mai 2021.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
O. GASPON
Le greffier,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT03561