Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 mai 2020, M. B..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros, somme majorée des intérêts à compter de la date de la première demande d'indemnisation avec capitalisation des intérêts échus ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a considéré sa requête tardive ;
- il doit être déclaré recevable dès lors que les dispositions transitoires du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016, ayant pour effet de modifier l'article R. 421-3 du code de justice administrative, sont illégales dans la mesure où l'autorité investie du pouvoir règlementaire ne pouvait que prévoir que ce décret ne s'appliquait qu'à des situations juridiques nées à compter de son entrée en vigueur, c'est-à-dire qu'à des réclamations indemnitaires reçues par l'administration à partir du 1er janvier 2017 ;
- les dispositions du décret du 2 novembre 2016 sont illégales car elles méconnaissent le principe général du droit de sécurité juridique ; elles remettent en cause une situation juridique établie qui auparavant n'avait de limite que la prescription quadriennale et sont applicables aux réclamations préalables indemnitaires réceptionnées avant sa publication et son entrée en vigueur ; au moment de l'introduction de son action devant l'administration ainsi que de l'intervention de la décision, il ne pouvait se voir opposer aucun délai de forclusion ; en cas de disposition transitoire impliquant une rétroactivité des règles de procédure, l'administré doit pouvoir disposer d'un délai raisonnable à compter de la décision de rejet née du silence de l'administration ;
- il doit être déclaré recevable dès lors que les dispositions du décret doivent être interprétées à l'aune du principe de sécurité juridique et son recours ne peut qu'être enfermé dans un délai raisonnable d'un an à compter de l'entrée en vigueur du décret du 2 novembre 2016 ;
- l'administration n'ayant pas accusé réception de sa demande conformément à l'article R. 112-5 du code des relations entre le public et l'administration, sa requête présentée avant le 31 décembre 2019 est recevable ;
- il excipe de l'illégalité de l'article L. 112-2 du code des relations entre le public et l'administration, qui rend inapplicable aux agents de l'administration les règles relatives à la délivrance d'un accusé de réception, dès lors que cet article méconnaît le principe d'égalité devant la loi dans la mesure où aucune différence de traitement n'est justifiée ;
- sur le fond, la responsabilité de l'Etat est engagée pour faute car il a été exposé, pendant ses années d'activité en tant qu'ouvrier d'Etat à la direction des constructions navales, à l'inhalation de poussières d'amiante sans protection adaptées ni information des risques encourus ;
- compte tenu de la perte d'espérance de vie, il est fondé à demander la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice moral et la somme de 15 000 euros au titre de ses troubles subis dans les conditions d'existence.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 février 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. B... la somme de 2000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ancien ouvrier d'Etat qui a travaillé au sein de la direction des constructions navales de 1968 à 1999 en qualité d'ajusteur-mécanicien-monteur, a sollicité auprès du ministre de la défense, par réclamation du 23 septembre 2015, reçue le 28 septembre 2015, l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de son exposition aux poussières d'amiante. A la suite du silence gardé par l'administration sur sa demande, il a saisi, le 22 mars 2017, le tribunal administratif de Rennes d'une demande indemnitaire. Il relève appel de l'ordonnance du 2 mars 2020 par laquelle le président de la 4ème chambre de ce tribunal a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable en raison de sa tardiveté.
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. ". Aux termes de l'article R. 421-2 du même code : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet (...) ". L'article R. 421-3 du même code, dans sa rédaction applicable antérieurement à l'entrée en vigueur du décret du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative, disposait que " l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet : / 1° En matière de plein contentieux (...) ". Il en résultait que lorsqu'une personne s'était vue tacitement opposer un refus susceptible d'être contesté dans le cadre d'un recours de plein contentieux, ce recours n'était enfermé, en l'état des textes alors en vigueur, dans aucun délai, sauf à ce que cette décision de refus soit, sous forme expresse, régulièrement notifiée à cette personne, un délai de recours de deux mois courant alors à compter de la date de cette notification.
3. Tout d'abord, le décret du 2 novembre 2016 a supprimé le 1° de l'article R. 421-3 du code de justice administrative à compter du 1er janvier 2017 et a prévu que les nouvelles dispositions de cet article s'appliqueraient aux requêtes enregistrées à partir de cette date. Il en résulte que, s'agissant des décisions implicites relevant du plein contentieux, la nouvelle règle selon laquelle, sauf dispositions législatives ou réglementaires qui leur seraient propres, le délai de recours de deux mois court à compter de la date à laquelle elles sont nées, est applicable aux décisions nées à compter du 1er janvier 2017. S'agissant, en revanche, des décisions nées avant le 1er janvier 2017, les dispositions de l'article 35 de ce décret, qui fixe les conditions de son entrée en vigueur, n'ont pas pour objet et n'auraient pu légalement avoir pour effet de déroger au principe général du droit selon lequel, en matière de délai de procédure, il ne peut être rétroactivement porté atteinte aux droits acquis par les parties sous l'empire des textes en vigueur à la date à laquelle le délai a commencé à courir. Il s'ensuit que, s'agissant des refus implicites nés avant le 1er janvier 2017 relevant du plein contentieux, le décret du 2 novembre 2016 n'a pas fait courir le délai de recours contre ces décisions à compter de la date à laquelle elles sont nées mais a fait courir un délai franc de recours de deux mois à compter du 1er janvier 2017, soit jusqu'au 2 mars 2017. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le décret du 2 novembre 2016 aurait porté illégalement atteinte aux droits acquis résultant d'une situation constituée avant l'entrée en vigueur de ce décret.
4. Ensuite, M. B... soutient que le décret du 2 novembre 2016 méconnaît le principe de sécurité juridique en remettant en cause une situation juridique antérieurement régie par la seule prescription quadriennale en cas de décision implicite de rejet de la réclamation indemnitaire préalable. Toutefois, si la prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est assurée par la seule application des règles de prescription dans le cadre d'un recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique lorsque le délai de recours prévu par les dispositions du code de justice administrative n'est pas opposable, il n'implique pas qu'aucune règle de forclusion ne puisse indéfiniment être opposée à une décision de refus implicite antérieure au 1er janvier 2017.
5. Si M. B... soutient qu'un délai raisonnable de recours doit être accordé, soit à compter de la décision de rejet née du silence de l'administration, soit à compter de l'entrée en vigueur du décret du 2 novembre 2016, applicable à compter du 1er janvier 2017 aux requêtes enregistrées à compter de cette date, il ne le peut utilement dès lors que le délai raisonnable n'a été conçu que pour le cas où la condition d'opposabilité du délai règlementaire de droit commun de deux mois, tenant à l'information sur les voies et délais de recours, n'est pas remplie, hypothèse qui ne s'applique pas dans le cadre des relations entre l'administration et ses agents en vertu de l'article L. 112-2 du code des relations entre le public et l'administration qui rend inapplicable aux agents les règles relatives à la délivrance d'un accusé de réception.
6. Enfin, M. B... invoque la contrariété au principe d'égalité de l'article L. 112-2 du code des relations entre le public et l'administration, dont il résulte que ne sont pas applicables aux relations entre l'administration et ses agents les dispositions des articles L. 112-3 et L. 112-6 du même code, qui prévoient, respectivement, que " toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception (...) " et que " les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation (...) ". Toutefois, à l'exception des cas où, en application de l'article 61-1 de la Constitution, une question prioritaire de constitutionnalité est présentée par mémoire distinct, il n'appartient pas au juge administratif de connaître de la question de la conformité d'une loi à la Constitution. En tout état de cause, la nature des relations qu'un agent employé par une personne publique entretient, en cette qualité, avec son employeur, est différente de celle entretenue par l'administration avec le public, y compris l'agent en sa qualité de citoyen ou d'usager. En excluant l'application aux relations entre l'administration et ses agents des dispositions des articles L. 112-3 et L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration, qui ont pour objet de régir les relations du public avec l'administration, sans viser à intervenir dans les relations entre l'administration et ses agents, les dispositions de l'article L. 112-2 du même code ne procèdent dès lors pas de distinctions injustifiées entre les administrés et les agents de l'administration et assurent aux justiciables des garanties propres à chacune des différentes natures de litiges qui sont susceptibles de les opposer à l'administration. Par suite, le moyen doit être écarté.
7. M. B... a adressé une demande indemnitaire préalable au ministre des armées qui l'a réceptionnée le 28 septembre 2015. Le silence gardé par l'administration sur sa demande a fait naître le 28 novembre 2015 une décision implicite de rejet relevant du plein contentieux. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le délai de recours de deux mois a commencé à courir à compter du 1er janvier 2017 pour se terminer le 2 mars 2017 et était donc expiré à la date du 22 mars 2017 à laquelle sa demande a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Rennes.
8. Il s'ensuit que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée par laquelle le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable. Par conséquent, sa requête, y compris ses conclusions relatives aux frais liés au litige, doit être rejetée.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 19 février 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président assesseur,
- Mme C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mars 2021.
Le rapporteur,
F. C...Le président,
O. GASPON
Le greffier,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01444 2
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