Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 14 février 2018 et 21 février 2019, le préfet d'Ille-et-Vilaine demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes du 29 janvier 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme C...A...devant le tribunal administratif de Rennes.
Il soutient que :
- Mme A...n'apporte aucun élément tendant à démontrer que l'absence du nom et de la qualité de l'agent ayant mené l'entretien a eu une influence sur la prise de décision ou qu'elle a été privée d'une garantie ;
- elle n'établit pas davantage que l'entretien n'aurait pas été établi par un fonctionnaire de la préfecture qualifié en vertu du droit national alors que le nom de l'agent figure sur l'attestation de demandeur d'asile remise à l'intéressée et que le compte-rendu de cet entretien précise qu'il a été réalisé par un " agent de guichet ".
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 janvier 2019, Mme C...A..., représentée par MeD..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés.
Mme C...A...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 avril 2018.
Par un courrier enregistré le 15 novembre 2018, le préfet d'Ille-et-Vilaine a indiqué, en réponse à une demande de la cour, que Mme C...A...était en fuite, de sorte que le délai d'exécution de la décision de réadmission au Portugal était prolongé jusqu'au 21 juin 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Gélard a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet d'Ille-et-Vilaine relève appel du jugement du 29 janvier 2018 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes a annulé ses arrêtés du 17 janvier 2018 portant remise de Mme C...A..., ressortissante angolaise, aux autorités portugaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile, l'assignant à résidence à Rheu, et l'astreignant, après avoir remis son passeport, à se présenter trois fois par semaine à la gendarmerie de Mordelles.
2. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
3. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'absence d'indication de l'identité de l'agent ayant conduit l'entretien individuel mentionné au point 2 aurait privé Mme A...de la garantie tenant au bénéfice de cet entretien et de la possibilité de faire valoir toutes observations utiles. Par ailleurs, aucun élément du dossier n'établit que cet entretien, qui a été assuré par un " agent de guichet " habilité de la préfecture, n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national et dans des conditions qui n'en auraient pas garanti la confidentialité. Dès lors, le préfet d'Ille-et-Vilaine est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a annulé les arrêtés litigieux sur le fondement de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013.
4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A...tant en appel que devant le tribunal administratif de Rennes.
Sur la légalité de l'arrêté portant remise aux autorités portugaises :
5. En premier lieu, l'arrêté portant remise de Mme A...aux autorités portugaises est signé par MmeB..., adjointe au chef du bureau de l'asile, qui a reçu délégation, par arrêté du 27 octobre 2017 du préfet d'Ille-et-Vilaine, régulièrement publié au recueil des actes administratifs n° 525 du 3 novembre 2017 de la préfecture, à l'effet de signer notamment les décisions de remise aux autorités d'autres Etats relatives aux primo arrivants demandeurs d'asile pour l'Ille-et-Vilaine en cas d'absence ou d'empêchement du chef de bureau de l'asile et du guichet unique. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de cet arrêté doit être écarté comme manquant en fait.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend (...)". Il ressort des pièces du dossier que Mme A...a bénéficié le 17 octobre 2017, pour le dépôt de sa demande d'asile, d'un entretien individuel organisé à la préfecture d'Ille-et-Vilaine. A cette occasion, ainsi qu'il résulte du compte-rendu de cet entretien, revêtu de sa signature, Mme A...s'est vu remettre tant le guide du demandeur d'asile qu'une information spécifique sur la mise en oeuvre du règlement Dublin III, rédigés en langue française, qu'elle a déclaré comprendre. Ces éléments viennent corroborer ceux résultant de " l'attestation de remise de dossier " établie par la préfecture et également signée par l'intéressée le même jour. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes du 2ème alinéa du 1 de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé : " Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif ("hit") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) n°603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement. ". Il ressort des pièces du dossier que Mme A...a sollicité l'asile auprès de la préfecture d'Ille-et-Vilaine le 17 octobre 2017. C'est donc au plus tôt à cette date que les autorités françaises ont consulté le fichier Eurodac. Il suit de là que le 31 octobre 2017, lorsque les autorités françaises ont saisi les autorités portugaises d'une demande de prise en charge de l'intéressée, le délai de deux mois prévu par les dispositions précitées de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 ne pouvait pas être expiré.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 22 du règlement (UE) du 26 juin 2013 susvisé, relatif à la réponse à une requête aux fins de prise en charge : " 1. L'Etat membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête (...)". Il ressort des pièces du dossier, et ainsi que cela a été dit au point 7, que la préfète d'Ille-et-Vilaine a saisi, le 31 octobre 2017, les autorités portugaises, d'une demande de prise en charge en application des dispositions de l'article 13 du règlement susvisé du 26 juin 2013. Le préfet produit la réponse des autorités portugaises en date du 22 décembre 2017 acceptant la prise en charge de MmeA.... Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le délai prévu à l'article 22 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 n'aurait pas été respecté.
9. En cinquième lieu, si Mme A...soutient qu'elle vit en France avec sa fille âgée de 14 mois, qu'elle s'efforce de reconstruire sa cellule familiale sur le territoire français et que le français est sa langue maternelle, il n'est pas contesté qu'elle n'est entrée en France que le 23 août 2017, à l'âge de 24 ans, munie d'un passeport revêtu d'un visa en cours de validité. L'intéressée, dont il n'est pas établi qu'elle disposerait d'autres attaches familiales que sa fille mineure, n'est par suite pas fondée à soutenir que la décision contestée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. En sixième lieu, l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dispose que : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait, en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de la demande d'asile de MmeA..., entaché la décision de transfert contestée d'une erreur manifeste d'appréciation ou méconnu les dispositions précitées du 2 de l'article 3 et du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, dans la mesure où il est constant que la demande de l'intéressée peut être traitée au Portugal dans le respect des règles de l'asile et des droits fondamentaux du demandeur.
11. En dernier lieu, aux termes du point 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". La circonstance que la fille de MmeA..., qui est née le 29 mai 2016 en Angola, a quitté son pays d'origine à l'âge de quatorze mois et qu'elle commencerait à retrouver un équilibre en France où elle séjourne depuis cinq mois ne suffit pas à établir que la décision contestée, qui n'a pas pour effet de séparer cette enfant de sa mère, porterait atteinte à l'intérêt supérieur de la fille de Mme A...et méconnaîtrait les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990.
Sur la légalité de l'arrêté portant assignation à résidence et l'astreignant, après avoir remis son passeport, à se présenter trois fois par semaine à la gendarmerie de Mordelles :
12. En premier lieu, l'arrêté contesté vise les dispositions applicables du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et rappelle la situation administrative de MmeA.... Il indique que l'intéressée bénéficie d'une domiciliation administrative et que son éloignement demeure une perspective raisonnable. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisante motivation de cette décision ne peut qu'être écarté. Par ailleurs, la circonstance que l'intéressée aurait toujours respecté ses convocations à la préfecture ne suffit pas à établir que le préfet d'Ille-et-Vilaine n'aurait pas procédé à un examen complet de sa situation personnelle.
13. En second lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.-L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : / 1° (...) fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 (...) ". Il est constant que le 22 décembre 2017, le préfet d'Ille-et-Vilaine a obtenu un accord explicite des autorités portugaises concernant la prise en charge de MmeA.... Il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que l'exécution de l'arrêté de transfert du 17 janvier 2018 pris à l'encontre de l'intéressée ne constituerait pas une perspective raisonnable d'éloignement. Dans les circonstances de l'espèce, l'assignation à résidence dont fait l'objet la requérante au 4 allée des Saules au Rheu et la fréquence des pointages prescrits à l'intéressée, fixée à trois par semaine à la gendarmerie de Mordelles, n'apparaissent pas entachés d'erreur manifeste au regard des buts poursuivis, alors même que Mme A...est accompagnée d'une enfant de vingt mois et qu'elle devrait emprunter les transports en commun pour s'y rendre.
14. Il résulte de ce qui précède que le préfet d'Ille-et-Vilaine est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes a annulé ses arrêtés du 17 janvier 2018 et lui a enjoint de statuer à nouveau sur le cas de Mme A...dans un délai de quinze jours.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement à Mme A...de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1800272 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes en date du 29 janvier 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme A...devant le tribunal administratif de Rennes ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme C...A.... Une copie sera transmise à la préfète d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2019 à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président- assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 30 avril 2019.
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 18NT00607