Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 septembre 2020, le ministre de l'intérieur demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Nantes du 30 juillet 2020.
Il soutient que :
- les ajouts constatés sur les actes de naissance doivent être considérés comme dénués de force probante et portent atteinte à l'intégrité supposée des jugements supplétifs ;
- les certificats de non-appel ne peuvent être régulièrement délivrés par la juridiction à l'origine du jugement et la transcription ne peut être régulièrement faite par des tiers ;
- le passeport de l'enfant C... a été établi avant l'intervention du jugement supplétif ;
- la possession d'état n'est pas établie ;
- le père déclaré par la requérante à l'OFPRA n'est pas celui mentionné sur les jugements supplétifs, ce qui confirme le caractère frauduleux de ceux-ci ;
- aucune délégation de l'autorité parentale n'est produite au dossier.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 octobre 2020, Mme B... F..., représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et ce que soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la requête n° 20NT03050, enregistrée au greffe de la cour le 28 septembre 2020, par laquelle le ministre de l'intérieur a demandé l'annulation du même jugement.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. E... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article R. 811-15 du code de justice administrative : " Lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ". Aux termes de l'article R. 222-25 du même code : " Les affaires sont jugées soit par une chambre siégeant en formation de jugement, soit par une formation de chambres réunies, soit par la cour administrative d'appel en formation plénière, qui délibèrent en nombre impair. / Par dérogation à l'alinéa précédent, le président de la cour ou le président de chambre statue en audience publique sur les demandes de sursis à exécution mentionnées aux articles R. 811-15 à R. 811-17. ".
2. Mme F..., ressortissante congolaise née le 27 juin 1986 à Kinshasa (République Démocratique du Congo), s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée sur le territoire français le 20 mai 2016. Ses enfants allégués, Sylviana Yabele Gbunga et C... Pombo N'Sambi, ressortissants congolais respectivement nés le 17 mai 2004 et le 28 mars 2013 à Kinshasa, ont sollicité la délivrance de visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugiée. Par une décision du 22 mai 2019, les autorités consulaires françaises en République Démocratique du Congo ont rejeté leurs demandes. Par une décision implicite née le 1er octobre 2019, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours contre la décision consulaire. Mme F... a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de la décision de la commission de recours. Par un jugement du 30 juillet 2020, le tribunal administratif a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 1er octobre 2019, refusant de délivrer aux jeunes Sylviana Yabele Gbunga et C... Pombo N'Sambi des visas de long séjour et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Le ministre de l'intérieur demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Nantes du 30 juillet 2020.
3. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans (...) / II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". Aux termes de l'article L. 411-3 de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France ".
4. La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.
5. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
6. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
7. En l'espèce, il ressort du courrier de communication des motifs daté du 28 octobre 2019 que pour rejeter la demande de visa litigieuse, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est notamment fondée sur les motifs tirés de ce que les documents d'état-civil produits relevaient d'une intention frauduleuse.
8. Le moyen énoncé dans la requête tiré de ce que Mme F... a déclaré, dans son formulaire de demande d'asile en 2015, M. G... comme étant le père des enfants, quand les noms figurant sur les jugements supplétifs sont M. A... pour Sylviana et M. H... pour C..., ce qui révèlerait le caractère frauduleux des jugements supplétifs, paraît, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement.
9. En conséquence, il y a lieu de faire droit à la requête du ministre de l'intérieur tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Nantes du 30 juillet 2020.
10. Par suite, les conclusions présentées par Mme F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Jusqu'à ce qu'il ait été statué sur le fond de l'instance n° 20NT3050, il sera sursis à l'exécution du jugement du 30 juillet 2020 du tribunal administratif de Nantes.
Article 2 : Les conclusions de Mme F... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme B... F....
Lu en audience publique, le 27 octobre 2020.
Le président-rapporteur,
T. E...Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT03045