Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 19 février 2015, 17 avril 2015 et 5 janvier 2016, M.D..., représenté par Me Sevino, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1309613 du tribunal administratif de Paris du 4 juin 2014 ;
2°) d'annuler la décision du 13 septembre 2012 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant à substituer à son patronyme actuel le nom de " A... ", ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de procéder au réexamen de sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application de l'article 37 de la loi 10 juillet 1991 en contrepartie du renoncement à l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- la décision du ministre de la justice n'est pas suffisamment motivée ;
- il présente un intérêt légitime à demander la modification de son nom, dès lors que ce patronyme présente un caractère péjoratif, que le nom de " A... " est celui de sa grand-mère qui l'a élevée et qui est en voie d'extinction, qu'il a fait usage de son nom de façon ancienne et constante, notamment dans sa vie professionnelle, et qu'il souhaite transmettre ce nom à ses descendants ;
- le ministre de la justice a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 septembre 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris le 18 décembre 2014.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de MmeE...,
- les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public,
- et les observations de Me Sevino, avocat de M.D....
1. Considérant que, par requête publiée au Journal officiel de la République française du 5 février 2011, M. D...a sollicité le changement de son nom en "A..." ; que, par décision du 13 septembre 2012, le garde des sceaux, ministre de la justice a opposé un refus à sa demande ; qu'il a rejeté le recours gracieux formé par l'intéressé par décision du 26 novembre 2012 ; que le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. D... tendant à l'annulation de ces deux décisions ministérielles, par un jugement du 4 juin 2014 dont l'intéressé relève régulièrement appel ;
Sur la légalité externe de la décision attaquée :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 du décret du 20 janvier 1994 : " Le refus de changement de nom est motivé (...) " ; que la décision attaquée comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est ainsi suffisamment motivée conformément aux dispositions de ce texte ;
Sur la légalité interne de la décision attaquée :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / Le changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. / Le changement de nom est autorisé par décret. " ; que des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi ;
4. Considérant, en premier lieu, que M.D..., né en 1979, soutient que son patronyme comporte une consonance péjorative à l'origine de railleries pendant son enfance ; que toutefois le ministre de la justice n'a pas commis d'erreur d'appréciation en considérant que le patronyme de l'intéressé ne revêtait pas un caractère ridicule avéré au point de lui conférer un intérêt légitime justifiant qu'il soit dérogé aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que le risque d'extinction du nom de " A... ", qui était celui de la grand-mère du requérant, n'est pas établi par les pièces du dossier, dès lors que les actes de naissance et de décès de membres de sa famille portant ce nom, produits en première instance, ne permettent pas à eux seuls de démontrer qu'aucune branche collatérale de la famille ne serait susceptible de porter aujourd'hui le nom de " A... " ;
6. Considérant, en troisième lieu, que les quelques documents produits par l'intéressé ne sont pas non plus suffisants pour établir qu'il aurait fait un usage suffisamment long et constant du nom de " A... " dans sa vie personnelle et professionnelle ;
7. Considérant, en quatrième lieu, que si le requérant fait valoir que le nom de " A... " est celui de sa grand-mère qui l'a élevé et à laquelle il est particulièrement attaché, et fait état des difficultés relationnelles rencontrées avec son père, en produisant à l'appui de ses allégations un certificat médical établi le 1er juin 2015 par un psychiatre-psychothérapeute mentionnant l'importance pour M. D...de prendre ce nom et de pouvoir le transmettre à ses enfants dans sa construction identitaire, de tels motifs d'ordre essentiellement affectif ne peuvent être regardés, à eux seuls, en l'absence en particulier de manquements graves et avérés de son père à ses obligations parentales, comme constituant des circonstances exceptionnelles, de nature à caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil ;
8. Considérant qu'ainsi le requérant n'est pas fondé à soutenir que le garde des sceaux, ministre de la justice aurait entaché sa décision d'une erreur dans l'appréciation de son intérêt légitime à changer de nom ;
9. Considérant qu'en refusant dans ces circonstances d'autoriser le changement de nom sollicité par M.D..., le garde des sceaux, ministre de la justice n'a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte excessive au regard de l'intérêt public qui s'attache au respect des principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 13 septembre et 26 novembre 2012 par lesquelles le garde des sceaux, ministre de la justice a opposé un refus à sa demande de changement de nom ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de M. D...ne peuvent qu'être rejetées ; qu'il en va, par voie de conséquence, de même de ses conclusions à fin d'injonction ainsi que de celles présentées sur le fondement de de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...D...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 17 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
- Mme Pellissier, présidente,
- M. Diémert, président-assesseur,
- Mme Nguyên Duy, premier conseiller.
Lu en audience publique le 1er décembre 2016.
Le rapporteur,
P. NGUYÊN DUY La présidente,
S. PELLISSIER Le greffier,
M. B...La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA00763
CS