Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 8 février 2021, M. A..., représenté par Me Boudjellal, demande à la Cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 10 mars 2020 du préfet de la Seine-Saint-Denis ou à tout le moins la décision portant interdiction de retour sur le territoire français ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " ou à tout le moins de réexaminer sa situation et de le munir, durant l'instruction, d'une autorisation provisoire de séjour ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision n'est pas suffisamment motivée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- la décision est entachée d'un défaut d'examen et d'une erreur de droit, l'appréciation du préfet s'étant cristallisée en 2018 alors qu'il disposait de bulletins de salaire jusqu'en 2020 ;
- sa présence habituelle sur le territoire français étant établie pour les années 2010 et 2011, le préfet de la Seine-Saint-Denis aurait dû saisir la commission du titre de séjour en application des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a ainsi commis une erreur de fait et une erreur substantielle d'appréciation ;
- il est intégré du fait de sa longue présence en France et de son expérience professionnelle ;
- le préfet de la Seine-Saint-Denis a commis une erreur de droit en ne régularisant pas sa situation ;
- la décision méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- l'interdiction de retour, de nature à obérer toute admission au séjour, doit être annulée compte tenu des autres moyens soulevés précédemment.
La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Gobeill,
- et les observations de Me Boudjellal, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 10 mars 2020, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé d'octroyer un titre de séjour à M. A..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. M. A... relève appel du jugement n° 2003470 du 25 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa requête contre cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent [...] ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation [...] doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
3. La décision mentionne que M. A... présente une demande d'autorisation de travail en qualité de plongeur pour le compte de la SNC Le Royal Bagnolet, qu'il ne justifie pas d'une insertion professionnelle et effective depuis cette date et que les fiches de paie présentées entre décembre 2015 et octobre 2018 présentent une rémunération mensuelle nette en-deçà du salaire minimum interprofessionnel de croissance. Elle est ainsi suffisamment motivée quand bien même elle ne ferait pas mention des fiches de paie dont il a bénéficié depuis octobre 2018.
4. En deuxième lieu, d'une part, l'article 3 de l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 stipule que " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention ''salarié'' ". Le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne, signé le 28 avril 2008 stipule, à son point 2.3.3, que " le titre de séjour portant la mention ''salarié'', prévu par le premier alinéa de l'article 3 de l'accord du 17 mars 1988 modifié est délivré à un ressortissant tunisien en vue de l'exercice, sur l'ensemble du territoire français, de l'un des métiers énumérés sur la liste figurant à l'Annexe I du présent protocole, sur présentation d'un contrat de travail visé par l'autorité française compétente sans que soit prise en compte la situation de l'emploi (...) ". D'autre part, l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. / Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du présent article. ".
5. L'article L. 313-14 n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte, mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Il fixe ainsi, notamment, les conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien, au sens de l'article 11 de cet accord. Toutefois, si l'accord franco-tunisien ne prévoit pas, pour sa part, de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, il y a lieu d'observer que ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.
6. D'une part, si M. A... soutient qu'il réside habituellement en France depuis plus de dix ans à la date de la décision contestée, il ne l'établit pas en ne produisant, au titre de l'année 2010, qu'un avis d'imposition sur le revenu établi en 2011 et pour l'année 2011, un avis de réception d'un courrier, un relevé bancaire faisant état d'intérêts acquis sur un livret d'épargne et un avis d'imposition sur le revenu établi en 2012.
7. D'autre part, le préfet de la Seine-Saint-Denis a examiné, pour l'écarter, la faculté qui était la sienne de faire usage de son pouvoir de régularisation. Si M. A..., qui disposait d'une promesse d'embauche en 2016 en qualité de plongeur pour la SNC Le Royal Bagnolet, fait état, pour la période allant de décembre 2015 à juin 2018, de bulletins de salaire pour un emploi à temps partiel pour des salaires mensuels compris entre 576,97 euros et 645,37 euros et pour la période allant de juillet 2018 à mars 2020, de bulletins de salaire pour un emploi à temps complet pour ses salaires mensuels compris entre 1140,89 et 1190,45 euros, la faible durée totale de son expérience professionnelle ne saurait revêtir le caractère de circonstances exceptionnelles qui auraient justifié que le préfet de la Seine-Saint-Denis, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait arrêté son analyse à l'année 2018, fasse usage de son pouvoir de régularisation exceptionnel. Pour les mêmes motifs, il n'a pas entaché sa décision d'une erreur de droit, d'une erreur de fait ou d'un défaut d'examen.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
9. A supposer même que M. A... réside en France, où il est célibataire et sans charge de famille, depuis l'année 2009, ce qui n'est pas établi ainsi qu'il a été dit au point 6 du présent arrêt, il aurait alors, en tout état de cause, quitté son pays d'origine, où il n'est pas dépourvu d'attaches familiales dès lors qu'y résident ses parents et sa fratrie, à l'âge de 33 ans. Le préfet de la Seine-Saint-Denis n'a ainsi pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision attaquée a été prise. Il n'a donc pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. En quatrième lieu, il ne ressort pas de ce qui précède que la décision serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
11. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " III. ' L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. (...) / Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ". Il incombe à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace.
12. A supposer que M. A... ait entendu se prévaloir des dispositions précitées, il ressort des pièces du dossier qu'il n'établit pas l'ancienneté alléguée de sa présence en France où il est célibataire et sans charge de famille. Dans ces conditions, le préfet de la Seine-Saint-Denis pouvait prendre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'il dispose d'une promesse d'embauche en France.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 10 mars 2020. Ses conclusions à fin d'annulation ainsi que celles aux fins d'injonction et celles présentées au titre des frais de procès ne peuvent donc qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 13 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Diémert, président assesseur,
- M. Gobeill, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 février 2022.
Le rapporteur, Le président,
J.-F. GOBEILL J. LAPOUZADE
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA00645