Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 19 août 2019, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1904121/8 du 17 juin 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la requête de M. A....
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a retenu, pour annuler l'arrêté portant transfert aux autorités suédoises, qu'il avait commis une erreur manifeste dans l'application de l'article 17 du règlement 604/2013 ;
- les autres moyens de première instance ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à M. A... qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Par une décision du 11 octobre 2019, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris a accordé à M. A... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. F... A..., ressortissant afghan né en août 1997, s'est présenté au guichet unique des demandeurs d'asile à Paris le 3 janvier 2019 où il a effectué une demande de protection internationale. L'examen dactyloscopique et l'entretien dont il a bénéficié en préfecture ayant révélé qu'il avait, le 4 novembre 2015, sollicité l'asile en Suède et les autorités suédoises ayant accepté de le reprendre en charge, le préfet de police a, par arrêté du 14 février 2019, ordonné son transfert aux autorités suédoises responsables de l'examen de sa demande d'asile. Le préfet de police fait régulièrement appel du jugement du 17 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. L'article 18 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dispose : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ". L'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
3. M. A... a produit en première instance la décision du 15 décembre 2017 par laquelle l'office suédois des migrations a rejeté sa demande tendant à bénéficier du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire, la décision du tribunal des migrations du 17 octobre 2018 qui rejette son recours dirigé contre la décision de l'office des migrations, enfin une décision du 4 décembre 2018 de la cour d'appel des migrations rendant applicable la décision du 15 décembre 2017 de l'office des migrations et soutenu que son retour en Suède signifiait son renvoi en Afghanistan, où il risque de subir, du fait de la situation de violence généralisée dans ce pays et de son appartenance à la minorité hazara, des traitements inhumains et dégradants . Toutefois, l'arrêté du préfet de police a pour seul objet de renvoyer l'intéressé en Suède, pays responsable de l'examen de sa demande d'asile, et non dans son pays d'origine, alors que la Suède, Etat membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut de réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. M A... ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Suède dans la procédure d'asile ou que les juridictions suédoises n'auraient pas traité sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. En outre, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que les autorités suédoises, alors même que la demande d'asile de M. A... a été définitivement rejetée, n'évalueront pas, avant de procéder à un éventuel éloignement de l'intéressé, les risques auxquels il serait exposé en cas de retour en Afghanistan alors que la Suède a accepté le 29 janvier 2019 sa reprise en charge.
4. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a annulé l'arrêté du 14 février 2019 au motif que sa décision de remettre M. A... aux autorités suédoises était entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard du pouvoir qui lui est conféré par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013. Il y a lieu pour la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par M. A....
Sur les autres moyens soulevés par M. A... en première instance :
5. En premier lieu, l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui (...) constituent une mesure de police (...) ". L'article L. 211-5 du même code dispose : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". L'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ".
6. L'arrêté contesté vise le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et indique que l'examen des empreintes digitales effectué lorsque M. A... s'est présenté le 3 janvier 2019 à la préfecture de police pour demander l'asile en France a révélé qu'il avait déjà déposé une demande de protection internationale en Suède le 4 novembre 2015 et que les autorités suédoises ont accepté le 29 janvier 2019 de reprendre en charge M. A... sur le fondement de l'article 18 (1) d) du règlement n° 604/2013. Cet arrêté qui permet de déterminer les motifs du transfert de M. A... aux autorités suédoises est ainsi suffisamment motivé, alors même qu'il indique que la demande de reprise en charge aurait été adressée sur le fondement de l'article 18 (1) b) du règlement n° 604/2013. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation de l'arrêté en litige doit être écarté. En outre, il ne ressort ni des termes de cet arrêté ni des pièces du dossier que le préfet ne se serait pas livré à un examen complet de la situation personnelle de l'intéressé.
7. En deuxième lieu, l'article 4 du règlement n° 604/2013 susvisé du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dispose : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...). 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".
8. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la copie de la première page de ces brochures signée par M. A..., que celui-ci s'est vu remettre le 3 janvier 2019 les brochures " A " et " B ", contenant les informations sur la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen des demandes d'asile prévues par l'article 4 du règlement du 26 juin 2013, ainsi que le guide du demandeur d'asile et la brochure prévue par l'article 29 du règlement (UE) 603/2013 comprenant toutes informations utiles sur le système " Eurodac " concernant la prise d'empreintes digitales,, en langue dari, qu'il a déclaré comprendre. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 et de l'article 29 du règlement n° 603/2013 manquent en fait et doivent être écartés.
9. En troisième lieu, l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dispose : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé (...) ".
10. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du résumé de cet entretien, dûment signé par M. A..., que celui-ci a bénéficié d'un entretien individuel le 3 janvier 2019 auprès de la préfecture de police. Cet entretien a été mené par un agent du 12ème bureau de la préfecture de police, identifié par des initiales, avec l'assistance d'un interprète en langue dari. En l'absence de tout élément contraire versé au dossier, cet agent doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 14 février 2019, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. A... en procédure normale dans un délai de quinze jours et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me C... en cas d'admission de M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Il y a lieu d'annuler les articles 2 à 4 de ce jugement et de rejeter la demande de M. A... en toutes ses conclusions.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2 à 4 du jugement n° 1904121/8 du 17 juin 2019 du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les conclusions à fin d'annulation, d'injonction et d'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 formées en première instance par M. A... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. F... A....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme E..., présidente de chambre,
- M. D..., premier conseiller,
- M. Platillero, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 décembre 2019.
Le rapporteur,
A. D...La présidente,
S. E...La greffière,
M. B...La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 19PA02747