Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 19 avril 2019 et un mémoire en réplique enregistré le 31 juillet 2020, Mme H..., représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris n° 1719505 en date du 15 février 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 7 juin 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande de changement de nom en celui de " G... ", ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux du 19 octobre 2017 ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de réexaminer sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle était mineure à la date du jugement ayant annulé la reconnaissance de paternité de M. G... ; son nom de famille lui a donc été retiré sans qu'elle ne puisse s'y opposer ; cette circonstance peut être prise en compte par le juge administratif ;
- elle a un intérêt légitime a changé de nom ;
- elle avait demandé la francisation de son nom en " G... " lors de sa demande de naturalisation ;
- le risque de confusion n'est pas caractérisé et trouve son origine dans le comportement de M. G... ;
- elle a porté le nom de " G... " de 7 ans à 24 ans et elle est toujours connue sous ce nom ;
- la décision contestée méconnaît le principe de sécurité juridique et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire enregistré le 21 juillet 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- si Mme H... a un intérêt légitime de à changer de nom, son refus est motivé par le choix du nom de " G... ", qui créé un risque de confusion ;
- les moyens de la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E...,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... H... est née le 28 juillet 1986 au Cameroun de l'union de sa mère, Mme F... B..., et d'un père non mentionné dans l'acte de naissance. A la suite d'une reconnaissance de paternité du 17 septembre 1993 et du mariage de sa mère en France avec M. C... G... le 24 septembre 1993, Mme D... H... a été inscrite à l'état civil sous le nom de G.... Par un jugement du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nantes du 19 juin 2001, le mariage a été dissous et, par un jugement de ce même tribunal du 18 décembre 2003, la reconnaissance de M. G... à l'égard de la fille de Mme B... a été annulée et la requérante, qui a alors perdu la nationalité française, s'est vue réattribuer son nom de naissance d'H.... Mme D... H... a été naturalisée française en 2015 mais sa demande de francisation de son nom en " G... " a été rejetée. Elle a alors demandé, le 10 août 2015, au garde des sceaux, ministre de la justice son changement de nom en G... sur le fondement de l'article 61 du code civil. Par une décision du 7 juin 2017, le ministre a rejeté cette demande. Son recours gracieux formé à l'encontre de cette décision a été rejeté par le ministre le 19 octobre 2017. Mme H... fait appel du jugement du 15 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.
2. Aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom (...) ". La volonté d'adopter un nom de nature à ôter ou à atténuer la consonance de son nom patronymique peut constituer un intérêt légitime au sens des dispositions précitées de l'article 61 du code civil.
3. En premier lieu, l'administration peut, en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
4. Si le garde des sceaux, ministre de la justice ne conteste plus que Mme H... se prévaut, compte tenu de la consonance étrangère de son nom patronymique, d'un intérêt légitime à changer de nom, il invoque, pour justifier sa décision de refus, un autre motif tiré de ce que le nom de substitution choisi par la requérante, " G... ", serait source de confusion, compte tenu de l'annulation de la reconnaissance de paternité de M. C... G... et de la rareté de ce nom de famille. Il résulte de l'instruction que le ministre aurait pris la même décision s'il s'était fondé sur ce motif. Cette substitution ne privant Mme H... d'aucune garantie procédurale, il y a lieu d'y faire droit.
5. Il ressort des pièces du dossier que le nombre de naissances pour le patronyme G... est extrêmement limité, puisque seules 54 naissances seraient survenues entre 1891 et 1950 et 9 entre 1966 et 1990. Dans ces conditions, le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à soutenir que le changement de nom sollicité serait susceptible d'entretenir une confusion avec la famille de M. C... G... en contradiction avec le jugement du tribunal de grande instance de Nantes du 18 décembre 2003, quand bien même M. C... G..., ayant effectué des reconnaissances de paternité mensongères, serait lui-même à l'origine de ce risque de confusion. Dès lors, Mme H... n'est pas fondée à soutenir que le motif tenant à l'existence d'un risque de confusion serait entaché d'une erreur de fait.
6. En deuxième lieu, Mme H... fait valoir qu'elle était mineure à la date du jugement du tribunal de grande instance de Nantes du 18 décembre 2003, qu'elle n'avait pas la possibilité de s'opposer à la réattribution de son nom de naissance et, qu'ignorant l'existence de ce jugement avant l'année 2010, elle a continué à faire usage du nom patronymique de G.... Elle fait également valoir qu'usant du nom de G... depuis l'âge de 7 ans, un changement de nom l'exposerait à de graves difficultés tenant notamment à ce que de nombreux documents lui ont été délivrés sous ce nom, en particulier ses diplômes, son dernier contrat de travail, son titre de propriété et ses documents administratifs. Toutefois, Mme H... n'apporte aucun élément de nature à justifier de la réalité des graves difficultés qu'elle rencontrerait en portant de son nom de naissance, notamment dans le cadre de sa recherche d'emploi ou pour obtenir une modification de ses documents administratifs. Dans ces conditions, alors que Mme H... n'a porté légalement le nom de G... que de l'âge de 7 à 17 ans et a, selon ses propres déclarations, appris dès 2010, alors qu'elle était âgée de 24 ans qu'elle s'était vue réattribuer son nom de naissance à la suite du divorce, survenu en 2001, entre sa mère et M. C... G..., les circonstances invoquées par la requérante ne suffisent pas, compte tenu du risque de confusion quant à la dévolution de ce nom patronymique, à caractériser l'existence d'un intérêt légitime de Mme H... à prendre le nom de G.... Le garde des sceaux, ministre de la justice n'a ainsi pas entaché la décision par laquelle il a refusé le changement de nom sollicité par la requérante d'une erreur d'appréciation dans l'application de l'article 61 du code civil.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Droit au respect de la vie privée et familiale. - 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " Si, en tant que moyen d'identification personnelle et de rattachement à une famille, le nom d'une personne concerne sa vie privée et familiale, les stipulations précitées ne font pas obstacle à ce que les autorités compétentes de l'État puissent en réglementer l'usage, notamment pour assurer une stabilité suffisante de l'état civil.
8. Compte tenu des circonstances de l'espèce exposées ci-dessus aux points 5 et 6, la décision attaquée n'a pas porté pas au droit de Mme H... au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte excessive au regard de l'intérêt public qui s'attache au respect des principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.
9. En quatrième lieu, Mme H... n'est pas fondée à se prévaloir du principe de sécurité juridique à l'encontre de la décision attaquée, laquelle n'a pas modifié le nom patronymique qui lui a été attribué par le jugement du tribunal de grande instance de Nantes du 18 décembre 2003.
10. Il résulte de ce qui précède que Mme H... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 7 juin 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande de changement de nom en celui de " G... ", ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux du 19 octobre 2017. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme H... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... H... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. E..., président de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. Gobeill, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 novembre 2020.
Le président-assesseur,
S. DIÉMERTLe président,
J. E...Le greffier,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19PA01376 2