Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 11 août 2020, M. B..., représenté par Me David, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1710100 du 12 mars 2020 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler la décision du 5 septembre 2017 par laquelle le Garde des Sceaux, ministre de la justice, a décidé le maintien de son inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser Me David sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique.
Il soutient que :
- l'article R. 711-3 du code de justice administrative a été méconnu, le sens des conclusions du rapporteur public qui lui a été communiqué avant l'audience étant imprécis ;
- le jugement n'est pas signé en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- la décision contestée est entachée d'incompétence, la décision de délégation de signature dont se prévaut l'administration n'étant pas signée ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, faute d'être justifiée par des éléments actualisés ;
- la commission des détenus particulièrement signalés était irrégulièrement composée ;
- la décision contestée n'était pas suffisamment motivée ;
- elle est dépourvue de base légale.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 avril 2021 et le 23 juillet 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête de M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 22 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Doré,
- et les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., condamné en dernier lieu le 27 novembre 2003 par la cour d'assises spéciale de Paris à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une période de sûreté de vingt-deux ans en raison de son appartenance à une organisation criminelle et de sa participation à des attentats terroristes, est incarcéré depuis le 6 novembre 1995 et inscrit au répertoire des détenus particulièrement signalés depuis 1996. Par une décision du 5 septembre 2017, le garde des sceaux, ministre de la justice, a, après avis de la commission locale des détenus particulièrement surveillés, décidé du maintien de son inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés. M. B... fait appel du jugement du 12 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ". La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par ces dispositions, a pour objet de les mettre en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.
3. En indiquant aux parties qu'elle conclurait, lors de l'audience prévue le 12 mars 2020 devant le tribunal administratif de Melun, au " rejet au fond " de la requête, la rapporteure publique les a informées du sens de ses conclusions en indiquant les éléments du dispositif de la décision qu'elle comptait proposer à la formation de jugement d'adopter. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le jugement aurait été rendu au terme d'une procédure irrégulière.
4. En second lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".
5. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été signé conformément aux prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée au requérant ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
6. En premier lieu, en vertu du décret du 27 juillet 2005 susvisé, le directeur de l'administration pénitentiaire, a reçu délégation à l'effet de signer, au nom du Garde des Sceaux, ministre de la justice, dans la limite de ses attributions, tous actes, arrêtés et décisions à l'exclusion des décrets. Par un arrêté du 15 juin 2017 régulièrement publié au Journal officiel de la République française, le directeur de l'administration pénitentiaire par intérim,
M. E... A... a, ainsi qu'il y était autorisé, subdélégué sa signature aux fins de signer ces mêmes décisions au profit de M. D... F..., directeur des services pénitentiaires, adjoint au chef du bureau de gestion de la détention et des missions extérieures, signataire de la décision attaquée. Si le requérant fait valoir, par voie d'exception, que cet arrêté du 15 juin 2017 est entaché d'un vice de forme en ce qu'il ne comporte pas la signature du directeur de l'administration pénitentiaire par intérim, il ressort des pièces du dossier que ce moyen manque en fait. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article D. 276-1 du code de procédure pénale : " En vue de la mise en œuvre des mesures de sécurité adaptées, le ministre de la justice décide de l'inscription et de la radiation des détenus au répertoire des détenus particulièrement signalés dans des conditions déterminées par instruction ministérielle ". Aux termes de l'article 1.1.1 de la circulaire ministérielle du 15 octobre 2012 relative au répertoire des détenus particulièrement signalés publiée au bulletin officiel du ministère de la justice n° 2012-10 du 31 octobre 2012, prise pour la mise en œuvre de ces dispositions : " Les critères d'inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés sont liés au risque d'évasion et à l'intensité de l'atteinte à l'ordre public que celle-ci pourrait engendrer ainsi qu'au comportement particulièrement violent en détention de certains détenus. / Les personnes détenues susceptibles d'être inscrites au répertoire des DPS sont celles : / 1) appartenant à la criminalité organisée locale, régionale, nationale ou internationale ou aux mouvances terroristes, appartenance établie par la situation pénale ou par un signalement des magistrats, de la police ou de la gendarmerie ; / 2) ayant été signalées pour une évasion réussie ou un commencement d'exécution d'une évasion (...) / 3) susceptibles de mobiliser les moyens logistiques extérieurs d'organisations criminelles nationales, internationales ou des mouvances terroristes (...) ; / 4) dont l'évasion pourrait avoir un impact important sur l'ordre public en raison de leur personnalité et/ou des faits pour lesquels elles sont écroués ; / 5) susceptibles d'actes de grandes violences, ou ayant commis des atteintes graves à la vie d'autrui (...) ".
8. M. B... a été condamné à la réclusion à perpétuité pour sa participation à un groupe terroriste ayant commis plusieurs attentats meurtriers au cours de l'année 1995. Malgré l'ancienneté des faits pour lesquels M. B... a été condamné, il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant ait entendu rompre tout lien avec la mouvance terroriste. Il ressort au contraire des motifs de la décision contestée qu'il a tenté, en 2009 et 2010, d'entrer en contact avec un membre du groupement islamique armé, depuis lors condamné pour sa participation aux préparatifs d'évasion d'un membre du groupe terroriste auquel appartenait M. B.... De même, il ne conteste pas qu'en 2014, l'exploration de son matériel informatique a permis de découvrir l'installation de logiciels prohibés permettant l'effacement de toute trace de connexion. Dans ces conditions, les liens de M. B... avec une organisation terroriste de dimension internationale disposant de moyens logistiques sont de nature à établir l'existence du risque d'évasion allégué par le ministre de la justice, alors qu'une telle évasion qui, si elle devait survenir, ne pourrait qu'avoir des répercussions importantes sur l'ordre public, eu égard à la nature et de la gravité des faits à l'origine de la condamnation de l'intéressé, ainsi que de leur importante médiatisation. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de maintenir M. B... au répertoire des détenus particulièrement signalés serait entachée d'une erreur d'appréciation doit être écarté.
9. En troisième lieu, la circulaire du 15 octobre 2012 prévoit la composition de la commission des détenus particulièrement signalés qui comprend " le chef d'établissement pénitentiaire ou son représentant, qui préside ; le procureur de la République, ou son représentant ; le préfet ou son représentant, en cas de nécessité ; le directeur inter-régional des services pénitentiaires ou son représentant ; un représentant de chacun des services de police exerçant leurs activités dans le ressort du tribunal ; le commandant du groupement de gendarmerie départemental ou son représentant ; le délégué local du renseignement pénitentiaire ; le juge d'instruction, s'agissant des personnes prévenues ; le juge de l'application des peines, s'agissant des personnes condamnées ; le juge de l'application des peines de Paris en charge des condamnés pour affaires de terrorisme ainsi que le parquet de l'exécution des peines de Paris s'agissant des personnes détenues pour des faits de nature terroriste ". Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
10. Il ressort des pièces du dossier que l'ensemble des membres de la commission des détenus particulièrement signalés a donné son avis, par ailleurs unanime, sur le maintien de M. B... au répertoire des détenus particulièrement signalés, à l'exception des " représentants de chacun des services de police exerçant leurs activités dans le ressort du tribunal ". Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette irrégularité ait exercé une influence sur le sens de la décision prise par le ministre de la justice, ni qu'elle ait privé l'intéressé d'une garantie, intéressé qui avait en outre été informé de l'avis de la commission locale et avait pu formuler des observations.
11. En dernier lieu, M. B... reprend en appel, sans apporter aucun élément de fait ou de droit nouveau au regard de ses écritures de première instance, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la décision du 5 septembre 2017 et de son absence de base légale, résultant de l'incompétence du pouvoir règlementaire pour édicter le régime applicable aux détenus particulièrement surveillés. Il y a lieu, dès lors, d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 5 septembre 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a maintenu son inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés.
Sur les frais liés au litige :
13. Il résulte de ce qui précède que les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence, être rejetées, l'Etat n'ayant pas la qualité de partie perdante à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 30 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,
- M. Gobeill, premier conseiller,
- M. Doré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 octobre 2021.
Le rapporteur,
F. DORÉLe président,
S. DIÉMERT
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA02243