Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 10 septembre 2018, M. et Mme A... et M. et Mme I..., représentés par Me L..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1701760 du 19 juin 2018 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler les décisions du 27 décembre 2016 par lesquelles le maire de la commune de Vincennes a exercé le droit de préemption sur les lots n° 26, 27 et 30, d'une part, et 26, 28 et 29, d'autre part, de l'immeuble sis 3 rue de la Fraternité ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Vincennes une somme de 1 000 euros à leur verser au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la commune ne pouvait légalement préempter alors qu'elle était informée que le tribunal de grande instance de Créteil avait déclaré parfaite la vente à leur profit et que le protocole transactionnel signé en octobre 2016 lui avait été communiqué ; la société IRE ne pouvait être regardée comme propriétaire du bien, seul autorisé à déposer une déclaration d'intention d'aliéner par l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme et les articles 544 et 1599 du code civil ;
- les décisions de préemption litigieuses ont pour effet un enrichissement sans cause de la commune qui s'approprie, sans contrepartie, le bénéfice des frais de justice et d'avocat engagés par les parties dans la procédure judiciaire pour des montants très significatifs, ainsi que celui de la réalisation de travaux de création d'une verrière, aménagement non inclus dans le prix de vente.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 septembre 2019, la commune de Vincennes, représentée par Me J..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de M. et Mme A... et M. et Mme I... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par les appelants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- et les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A... et M. et Mme I... ont signé deux promesses de vente avec la société IRE le 30 juillet 2010, modifiées par deux avenants du 30 mars 2011, relatives à l'acquisition, au sein d'une copropriété sise 3 rue de la Fraternité à Vincennes, respectivement des lots n° 28 et 29 et d'une moitié indivise du lot n° 26 pour M. et Mme A... et des lots n° 27 et 30 et d'une moitié indivise du lot n° 26 pour M. et Mme I..., ces lots étant constitués de locaux à aménager à usage de logement et de parking. A la suite de l'envoi des décisions d'intention d'aliéner, la commune de Vincennes a décidé, par deux décisions du 22 juin 2011, de ne pas préempter ces deux biens. Le 19 septembre 2011, la société IRE a fait assigner les époux A... et les époux I... devant le tribunal de grande instance de Créteil afin d'obtenir la nullité des promesses unilatérales de vente. Par un jugement du 13 mai 2014, le tribunal de grande instance de Créteil l'a déboutée de sa demande et a ordonné la vente forcée des biens, outre le versement de dommages et intérêts et de frais de procédure. Par un arrêt du 17 décembre 2015, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement en tant qu'il rejette la demande de la société IRE relative à la nullité de la vente et renvoyé les parties à une médiation pour que soit réglée la question des modalités d'acquisition et celle des dommages et intérêts. Cette médiation a abouti à la signature d'un protocole d'accord transactionnel entre les requérants et la société IRE en octobre 2016. Le notaire en charge de la vente a, à la suite de la signature de ce protocole, adressé le 28 octobre 2016 à la commune, deux déclarations d'intention d'aliéner portant sur les biens précités. Par deux décisions du 27 décembre 2016, le maire de la commune de Vincennes a exercé le droit de préemption de la commune aux conditions mentionnées dans ces déclarations d'intention d'aliéner sur les deux biens dont M. et Mme A... et M. et Mme I... s'étaient portés acquéreurs. Les requérants font appel du jugement du 19 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande d'annulation de ces décisions de préemption du 27 décembre 2016.
2. En premier lieu, l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme dispose : " Toute aliénation visée à l'article L. 213-1 est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. Cette déclaration comporte obligatoirement l'indication du prix et des conditions de l'aliénation projetée (...). Lorsque la contrepartie de l'aliénation fait l'objet d'un paiement en nature, la déclaration doit mentionner le prix d'estimation de cette contrepartie. Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption (...) ". Il résulte de ces dispositions que la réception d'une déclaration d'intention d'aliéner ouvre à l'autorité titulaire du droit de préemption mentionnée à l'article L. 213-1 du code de l'urbanisme la possibilité d'exercer légalement ce droit, alors même, sauf lorsque le code de l'urbanisme en dispose autrement, qu'elle aurait renoncé à en faire usage à la réception d'une précédente déclaration d'intention d'aliéner du même propriétaire portant sur la vente du même immeuble aux mêmes conditions.
3. Il ressort des pièces du dossier que des déclarations d'intention d'aliéner ont été notifiées à la commune par le notaire en charge de la vente le 28 octobre 2016, déclarations à la suite desquelles la commune a décidé, par les décisions en litige du 27 décembre 2016, d'exercer ce droit aux prix déclarés par la société IRE, vendeuse. Si ces nouvelles déclarations d'intention d'aliéner ont été adressées à la commune à la suite d'une procédure engagée devant le juge civil et de la conclusion, le 15 octobre 2016, d'un protocole transactionnel à la suite d'une médiation proposée par un arrêt de la cour d'appel de Paris confirmant le jugement du tribunal de grande instance de Créteil du 13 mai 2014 en tant qu'il déboutait la société venderesse de sa demande tendant à ce que soit prononcée la nullité des deux promesses de vente du 30 juillet 2010 et de leurs avenants du 30 mars 2011 pour dol et vil prix, il est constant qu'aucune de ces décisions judiciaires n'avait constaté que la vente était parfaite, si bien que la société IRE était encore, contrairement à ce qui est soutenu, le propriétaire des biens immobiliers et donc habilitée par l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme comme par le code civil, à déclarer son intention d'aliéner. Le protocole d'accord transactionnel signé le 15 octobre 2016, transmis par le notaire au maire de la commune de Vincennes en même temps que les déclarations d'intention d'aliéner, prévoyait d'ailleurs expressément, dans ses articles 8 et 9, qu'il était conclu sous réserve de l'absence d'exercice de son droit de préemption par la mairie de Vincennes et deviendrait caduc dans le cas contraire. Par suite, le moyen tiré de ce que le maire de Vincennes ne pouvait légalement considérer la société IRE, déclarante, comme propriétaire des biens proposés doit être écarté.
4. En second lieu, les requérants soutiennent que la commune de Vincennes a bénéficié, du fait des décisions attaquées, d'un enrichissement sans cause au motif que, par ce biais, elle s'approprie le bénéfice de travaux qu'ils ont engagés préalablement à la vente, pour un montant de 33 507 euros, ainsi que les frais de justice et d'avocat qu'ils ont exposés pour défendre leurs droits lors du contentieux qui les a opposés à la société venderesse. Toutefois, la circonstance que le prix d'aliénation déclaré ne correspondrait pas à la valeur réelle du bien immobilier à la date de la déclaration d'intention est sans incidence sur la légalité de la décision de la commune de préempter au prix déclaré par le vendeur. Le moyen tiré de l'enrichissement sans cause de la commune de Vincennes ne peut en tout état de cause qu'être écarté.
5. Il résulte de tout ce qui précède que les appelants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande. La requête d'appel ne peut qu'être rejetée, y compris les conclusions tendant à la condamnation de la commune de Vincennes, qui n'est pas partie perdante, à prendre en charge les frais de procédure sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge des appelants la somme que la commune de Vincennes demande au titre des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme A... et de M. et Mme I... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Vincennes formées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3: Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., à Mme F... E... épouse A..., à M. H... I..., à Mme G... E... épouse I... et à la commune de Vincennes.
Délibéré après l'audience du 24 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme K..., présidente de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. C..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 21 novembre 2019.
Le rapporteur,
A. C... La présidente,
S. K... La greffière,
M. B...
La République mande et ordonne au préfet du Val-de-Marne en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA03036