Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 5 octobre 2018 et 24 septembre 2019, Mme A..., représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1618250/4-2 du 6 août 2018 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 23 juillet 2008 par laquelle la Ville de Paris a décidé d'exercer le droit de préemption en vue d'acquérir l'immeuble du 22 rue Nollet à Paris (75017) ;
3°) de mettre à la charge de la Ville de Paris une somme de 4 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable, dès lors qu'elle justifie d'un intérêt pour agir comme contribuable municipale et n'est pas tardive ;
- la décision litigieuse est entachée d'incompétence au regard des dispositions des articles L. 2122-19 et L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales ;
- la décision de préemption est entachée d'un vice de procédure dès lors que le maire d'arrondissement n'a pas donné son avis sur cette préemption conformément aux dispositions de l'article L. 2511-30 du code général des collectivités territoriales ;
- il n'est pas établi que l'administration a eu connaissance de l'avis du service des domaines avant de rendre sa décision ;
- la décision de préemption est insuffisamment motivée en méconnaissance de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme ;
- la décision litigieuse a été prise hors délai, dès lors qu'elle a été adressée au propriétaire du bien concerné et non à son notaire, qui disposait d'un mandat pour la réceptionner ;
- la décision de préemption est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle est intervenue pour la réalisation d'un projet qui n'entre pas dans les objectifs de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme ;
- à la date de la décision, la ville n'avait aucun projet suffisamment réel.
Par des mémoires en défense enregistrés les 17 septembre 2019 et 18 octobre 2019, la Ville de Paris, représentée par la SCP Foussard-Froger, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme A... à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête de première instance était irrecevable car tardive ;
- en qualité de contribuable local, Mme A... ne justifiait pas, à la date à laquelle elle a introduit son recours, d'un intérêt suffisant pour demander l'annulation d'une décision de préemption intervenue huit ans auparavant ;
- les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E...,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant Mme A... et de Me J..., représentant la Ville de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. En 2008, l'indivision F..., propriétaire, et la société Nedim, acquéreur, ont conclu une promesse de vente relative à l'immeuble sis 22 rue Nollet dans le 17ème arrondissement de Paris. Une déclaration d'intention d'aliéner établie par Me H... I..., notaire, a été adressée à la Ville de Paris et reçue le 27 mai 2008. Cette déclaration d'intention d'aliéner précisait que le prix de vente de l'immeuble avait été fixé à 3 360 000 euros, en ce compris 160 000 euros TTC de commission à la charge du vendeur, outre 120 556,80 euros de commission due par l'acquéreur. Par une décision datée du 23 juillet 2008, le maire de Paris a décidé d'exercer le droit de préemption au prix proposé. Le transfert de propriété a été constaté par acte notarié du 17 novembre 2008 et l'immeuble a été donné à bail à la régie immobilière de la Ville de Paris en janvier 2009. Mme A... épouse G..., agissant en qualité de contribuable parisien, a demandé le 18 octobre 2016 au tribunal administratif de Paris l'annulation de la décision du 23 juillet 2008 par laquelle la Ville de Paris a décidé d'exercer le droit de préemption en vue d'acquérir cet immeuble. Elle fait appel du jugement du 6 août 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
2. En premier lieu, l'article L. 2122-23 du code général des collectivités territoriales dispose : " (...) Sauf disposition contraire dans la délibération portant délégation, les décisions prises en application de celle-ci peuvent être signées par un adjoint ou un conseiller municipal agissant par délégation du maire dans les conditions fixées à l'article L. 2122-18. Sauf disposition contraire dans la délibération, les décisions relatives aux matières ayant fait l'objet de la délégation sont prises, en cas d'empêchement du maire, par le conseil municipal (...) ".
3. D'une part, l'article 2 de la délibération du 21 mars 2008 par laquelle le conseil de Paris a délégué à son maire, notamment, le pouvoir d'exercer, au nom de la commune, les droits de préemption définis par le code de l'urbanisme l'a autorisé à consentir, sur les matières ainsi déléguées, des délégations de signature " aux responsables des services de la Ville de Paris dans les conditions prévues à l'article L. 2511-27 du code général des collectivités territoriales ". Cet article autorise le maire de Paris à déléguer sa signature " au directeur général des services (...) de la Ville de Paris et aux responsables de services communaux ". Le maire de Paris a donc été expressément autorisé par la délibération prise sur le fondement de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales à déléguer sa signature aux responsables de services municipaux et la requérante n'est donc pas fondée à soutenir que seul le conseil municipal pouvait prendre la décision de préemption en cas d'empêchement du maire.
4. D'autre part, par un arrêté du 25 mars 2008 régulièrement publié au bulletin municipal officiel de la ville de Paris du 1er avril 2008, le maire a délégué sa signature à Mme L..., secrétaire générale de la mairie de Paris, qui est responsable d'un service communal au sens des dispositions précitées de l'article L. 2511-27 du code général des collectivités territoriales, pour signer notamment les décisions de préemption prévues par le code de l'urbanisme. Le moyen tiré de ce que Mme L... n'avait pas compétence pour signer la décision du 23 juillet 2008 contestée manque en fait et doit être écarté.
5. En deuxième lieu, le deuxième alinéa de l'article L. 2511-30 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors en vigueur, dispose : " Le maire d'arrondissement donne son avis sur tout projet d'acquisition ou d'aliénation d'immeubles ou de droits immobiliers situés dans l'arrondissement, ainsi que sur tout changement d'affectation d'un immeuble communal situé dans l'arrondissement. Il est informé des déclarations d'intention d'aliéner présentées en application du code de l'urbanisme pour des immeubles situés dans l'arrondissement. Le maire de la commune informe, chaque mois, le maire d'arrondissement de la suite réservée à ces déclarations d'intention d'aliéner ". Il ressort clairement de ces dispositions que le maire d'arrondissement doit seulement être informé des déclarations d'intention d'aliéner pour des immeubles situés dans l'arrondissement, puis de la suite qui leur a été donnée, sans qu'il soit requis qu'il donne son avis préalable sur l'exercice du droit de préemption. Il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que le maire du 17ème arrondissement a été informé le 8 juillet 2008 du dépôt de la déclaration d'intention d'aliéner concernant l'immeuble du 22 rue Nollet par le biais de l'application informatique dédiée. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 2511-30 du code général des collectivités territoriales manque en fait et doit être écarté.
6. En troisième lieu, l'article R. 213-21 du code de l'urbanisme alors applicable dispose : " Le titulaire du droit de préemption doit recueillir l'avis du service des domaines sur le prix de l'immeuble dont il envisage de faire l'acquisition dès lors que le prix ou l'estimation figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner ou que le prix que le titulaire envisage de proposer excède le montant fixé par l'arrêté du ministre chargé des finances prévu à l'article 3 du décret du 5 juin 1940 modifié (...) L'avis du service des domaines doit être formulé dans le délai d'un mois à compter de la date de réception de la demande d'avis. Passé ce délai, il peut être procédé librement à l'acquisition ". La Ville de Paris établit avoir saisi le 11 juin 2008 la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris (France domaine Paris) d'une demande d'avis sur la déclaration d'intention d'aliéner de l'immeuble du 22 rue Nollet et produit le courrier daté du 24 juin 2008 par lequel ce service lui a indiqué que le prix envisagé dans la déclaration d'intention d'aliéner pouvait être accepté. Si la décision du 23 juillet 2008 décidant la préemption au prix proposé ne vise pas cet avis, autre pièce du dossier n'est de nature à démontrer que la Ville de Paris, qui en tout état de cause a pris sa décision plus d'un mois après avoir saisi le service compétent, n'aurait pas reçu cet avis antérieurement à la décision de préemption. Le moyen tiré de ce que le maire de Paris n'aurait pas recueilli l'avis du service des domaines concernant le prix d'acquisition de l'immeuble préempté en méconnaissance des dispositions réglementaires précitées doit être écarté comme manquant en fait.
7. En quatrième lieu, l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme dispose : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 (...) / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé (...) Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en oeuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat ou, en l'absence de programme local de l'habitat, lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en oeuvre pour mener à bien un programme de construction de logements locatifs sociaux, la décision de préemption peut (...) se référer aux dispositions de cette délibération ". Il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit si, d'une part, elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. Lorsque la loi autorise la motivation par référence à un programme local de l'habitat ou à un programme de construction de logements locatifs sociaux, les exigences résultant de l'article L. 210-1 doivent être regardées comme remplies lorsque la décision de préemption se réfère à la délibération fixant le contenu ou les modalités de mise en oeuvre de ce programme et qu'un tel renvoi permet de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener au moyen de cette préemption. A cette fin, la collectivité peut soit indiquer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement du programme local de l'habitat ou du programme de construction à laquelle la décision de préemption participe, soit se borner à renvoyer à la délibération si celle-ci permet d'identifier la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement poursuivie, eu égard notamment aux caractéristiques du bien préempté et au secteur géographique dans lequel il se situe.
8. La décision de préemption litigeuse, d'une part, se réfère à la délibération DLH 2007-93 du 2 octobre 2007 par laquelle le conseil de Paris a défini un programme de réalisation de logements locatifs sociaux entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2010 et fixé le cadre des actions mises en oeuvre par la ville pour la réalisation de ce programme et, d'autre part, indique que le territoire du dix-septième arrondissement de Paris se caractérise par un taux de logement social de 10,23% et 5 478 demandes non satisfaites alors que le seuil de 20% de logements sociaux, imposé par la loi du 13 décembre 2000, porté à 25% par le projet de schéma directeur de la région Ile-de-France (SDAURIF), constitue un des objectifs de la politique municipale de l'habitat dans cet arrondissement et que l'acquisition vise à réaliser dans l'immeuble du 22 rue Nollet une vingtaine de logements sociaux. Dans ces conditions, la décision en cause expose suffisamment l'objet pour lequel le droit de préemption est exercé en l'espèce et est suffisamment motivée en application de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme.
9. En cinquième lieu, l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable, dispose : " Toute aliénation visée à l'article L. 213-1 est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien (...) Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption (...) ". Il résulte de ces dispositions que le propriétaire qui a décidé de vendre un bien susceptible de faire l'objet d'une décision de préemption doit savoir de façon certaine, au terme du délai de deux mois imparti au titulaire du droit de préemption pour en faire éventuellement usage, s'il peut ou non poursuivre l'aliénation entreprise. La réception de la décision par le propriétaire intéressé dans le délai de deux mois à la suite de sa notification constitue, par suite, une condition de la légalité de la décision de préemption.
10. Il ressort des pièces du dossier que la Ville de Paris a notifié la décision de préemption litigieuse par voie d'huissier, le 24 juillet 2008, au vendeur du bien, à l'adresse qu'il avait mentionnée dans la déclaration d'intention, et il n'est pas contesté que cette décision a été reçue par le propriétaire avant l'expiration du délai de deux mois suivant la réception de la déclaration d'intention d'aliéner. La circonstance que la décision de préemption n'a pas été reçue, dans le même délai, par le notaire chargé de la vente, qui disposait d'un mandat pour la réceptionner, n'a pas pour effet, en l'absence de toute disposition en ce sens alors applicable, de rendre cette décision illégale.
11. En sixième lieu, l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, auquel renvoient les dispositions précitées de l'article L. 210-1 de ce code, dispose : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre (...) une politique locale de l'habitat (...) / L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales (...) qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations ".
12. D'une part, comme dit précédemment, la Ville de Paris a adopté un programme de réalisation de logements locatifs sociaux par délibération du 2 octobre 2007. Ce programme prévoit la réalisation de 18 000 logements sociaux à Paris entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2010 et dispose que dans les arrondissements où la proportion de logements sociaux est inférieure à 25%, comme c'est le cas du dix-septième arrondissement, la ville saisira toute opportunité d'acquisition d'immeubles par voie de préemption en vue d'augmenter la part de logements sociaux dans le parc de logements. Dès lors, la décision litigieuse, qui prévoit l'acquisition de l'immeuble pour y réaliser une vingtaine de logements sociaux, entre dans le cadre de la mise en oeuvre de la politique de l'habitat et se rattache à l'un des objets énumérés par les dispositions précitées de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme. Elle répond à un intérêt général, alors même que les logements sociaux seront créés par transformation de logements existants.
13. D'autre part, la Ville de Paris a produit une étude de faisabilité de sa sous-direction de l'habitat, datée du 2 juillet 2008, dont il ressort que l'opération envisagée permettrait la réalisation, à un coût raisonnable, d'environ vingt-trois petits logements sociaux, programme qui était d'ailleurs réalisé depuis plusieurs années au jour de la saisine du tribunal administratif. Dès lors, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la décision critiquée n'aurait pas été prise en vue de la réalisation d'un projet suffisamment réel.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête de première instance, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête d'appel doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à la condamnation de la Ville de Paris, qui n'est pas partie perdante, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de Mme A... une somme de 1 500 euros à verser à la Ville de Paris sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Mme A... versera à la Ville de Paris une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... épouse G... et à la Ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 24 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme K..., présidente de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. E..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 21 novembre 2019.
Le rapporteur,
A. E...La présidente,
S. K...La greffière,
M. B...
La République mande et ordonne au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA03268