Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 6 juillet 2017 et le 24 juillet 2017, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1702401/2-2 du 29 mai 2017 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a annulé son arrêté du 19 janvier 2017 au motif de la méconnaissance du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il a suffisamment établi que Mme B...a organisé la reconnaissance de son fils par un ressortissant français afin d'obtenir un titre de séjour ;
- les moyens soulevés par Mme B...devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à Mme B..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- l'accord franco-camerounais du 24 janvier 1994 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Pellissier a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que MmeB..., ressortissante camerounaise née en mai 1982, est entrée en France selon ses dires en mars 2009 ; qu'elle a sollicité, en dernier lieu en novembre 2016, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par un arrêté du 19 janvier 2017, le préfet de police a opposé un refus à sa demande, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination ; que, par jugement du 29 mai 2017 dont le préfet fait régulièrement appel, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 19 janvier 2017 au motif que le préfet de police avait méconnu les dispositions de l'article L. 313-11 (6°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, enjoint au préfet de police de délivrer à Mme B... un titre de séjour et mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros à Mme B...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Paris :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée " ; qu'aux termes de l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. / Cette obligation ne cesse pas de plein droit lorsque l'enfant est majeur. " ;
3. Considérant que si un acte de droit privé opposable aux tiers est, en principe, opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé ; que ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers ; que tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application de ces principes ; que, par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français ou de procéder, le cas échéant, à son retrait ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme B..., entrée en France selon ses dires le 3 mars 2009, est mère d'un enfant, C..., né en août 2001 au Cameroun et qui vit en France avec elle depuis 2012 au moins ; que cet enfant a été reconnu, le 28 mai 2009, par M. E..., ressortissant français avec lequel Mme B...entretenait alors une relation ; que l'enfant s'est ainsi vu délivrer un certificat de nationalité française le 8 octobre 2012 ; que pour refuser de délivrer un titre de séjour à Mme B... sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de police a estimé, en s'appuyant sur un faisceau d'indices, que la reconnaissance de cet enfant était frauduleuse ; qu'il a, à ce titre, retenu que le père allégué était revenu postérieurement sur ses déclarations, que l'intéressée n'établissait pas l'antériorité de la relation avec ce ressortissant français au moment de la conception de cet enfant, qu'il n'y avait pas de communauté de vie avec le père à cette date ni après la naissance ou la reconnaissance de l'enfant, et qu'il n'est pas démontré qu'il entretiendrait des liens avec celui-ci, ni qu'il contribuerait à son entretien et à son éducation ;
5. Considérant que le préfet de police produit en appel la note des services de la Direction du renseignement de la préfecture de police et le rapport de la Mission " Sécurité dans la délivrance des titres " de la direction de la police générale relatifs à la situation de Mme B... ; qu'il ressort ainsi des pièces du dossier que Mme B... a déclaré avoir formé avec M. E... des projets de vie commune " notamment dans le but d'obtenir la nationalité française " pour son fils ; que leur relation a duré, toujours selon ses dires, de mai 2009 à juin 2010, faisant suite à son entrée en France ; que les déclarations de M. E... coïncident avec celles de Mme B... ; qu'il soutient toutefois que sa compagne lui avait caché être en situation irrégulière et qu'il a le sentiment d'avoir été abusé ; qu'il est également revenu sur sa reconnaissance de paternité dans le cadre de l'enquête administrative, par attestation du 21 février 2013 versée au dossier ; que la requérante ne conteste pas que M. E... n'est pas le père biologique de son fils et ne soutient pas avoir de communauté de vie avec lui, ni qu'il participe à l'entretien ou à l'éducation de l'enfant ; que les éléments ainsi énoncés sont suffisamment précis et concordants pour caractériser l'existence d'une fraude ; que, dans ces conditions, le préfet de police apporte la preuve, qui lui incombe, de ce que la reconnaissance de l'enfant de Mme B... par un ressortissant français a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française pour l'enfant et d'un titre de séjour à la mère ; que le préfet a pu, sans commettre d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation, refuser pour ce motif de délivrer à Mme B...le titre de séjour qu'elle sollicitait ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la méconnaissance des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 précitées pour annuler les décisions contestées ; qu'il appartient toutefois à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif de Paris ;
Sur les autres moyens invoqués en première instance :
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
7. Considérant, en premier lieu, que le préfet de police, après avoir visé les textes sur lesquels il se fonde, et en particulier le 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article L. 511-1 de ce même code, a exposé de façon précise, ainsi qu'il l'a été indiqué au point 5, les raisons pour lesquelles il estimait que Mme B... ne pouvait se prévaloir de sa qualité de parent d'enfant français pour obtenir un titre de séjour ; qu'ainsi le préfet de police, qui a procédé à un examen particulier et circonstancié de la situation de MmeB..., a suffisamment motivé sa décision, laquelle comporte les motifs de droit et de fait sur lesquels elle se fonde ; qu'il n'était pas, notamment, tenu de faire référence à la convention franco-camerounaise du 24 janvier 1994 dont l'arrêté ne faisait pas application ;
8. Considérant, en deuxième lieu, que Mme B... ayant sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le seul fondement des dispositions de l'article L. 313-11 (6°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance par le préfet des dispositions des articles L. 313-11 (7°) et L. 313-14 du même code ;
9. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; que, pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine ;
10. Considérant que Mme B... fait valoir être entrée en France début 2009, y résider avec son fils né en 2001 et être la mère d'un deuxième enfant, né le 21 juillet 2016 en France de père inconnu ; que l'intéressée se présente comme célibataire et ne soutient pas résider avec l'un des pères de ses enfants ; que rien n'indique que la cellule familiale ne puisse se reconstituer à l'étranger, dès lors notamment qu'il n'est pas soutenu que l'enfant C...entretiendrait des liens avec M. E... qui l'a reconnu ; que, s'il n'est pas contesté que la requérante réside habituellement sur le territoire français depuis sept ans à la date de l'arrêté attaqué et y dispose d'un logement propre depuis juin 2014, elle n'établit ni même n'allègue aucune intégration particulière ou l'exercice actuel d'une activité professionnelle, mais se borne à faire état d'une année de travail environ en 2012-2013 et de l'obtention, en 2015, d'un diplôme d'aide médico-psychologique ; que, si ses soeurs et son frère résident actuellement en France, l'intéressée n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine, le Cameroun, où elle a vécu jusqu'à l'âge de vingt-sept ans et où réside au moins son père ; que, dans ces conditions, la décision en litige n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme B... une atteinte disproportionnée au but poursuivi et n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'elle n'est, pour les mêmes motifs, pas entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de l'intéressée ;
11. Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale " ; qu'il résulte de ces dispositions que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant ;
12. Considérant que si le jeune C...est scolarisé en France depuis septembre 2012 et était inscrit en classe de seconde à la date de la décision litigieuse, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ne pourrait poursuivre ses études au Cameroun, pays où il a vécu jusqu'à l'âge de onze ans et où la cellule familiale pourrait se reconstituer, dès lors qu'il est constant qu'il n'entretient pas de relations avec M. E...qui l'a reconnu ; que, dans ces conditions, l'arrêté contesté n'a pas pour effet de séparer l'intéressée de ses enfants ; que, dès lors, le refus de séjour opposé à Mme B... ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
13. Considérant que les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de ce que la décision en litige serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux évoqués aux points 9 et 10 ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 19 janvier 2017, lui a enjoint de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et a mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, le versement d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°1702401/2-2 du 29 mai 2017 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande de Mme B...devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...B...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 4 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Pellissier, présidente de chambre,
- M. Legeai, premier conseiller,
- Mme Nguyên Duy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 31 mai 2018.
L'assesseur le plus ancien,
A. LEGEAILa présidente de chambre
rapporteur
S. PELLISSIER Le greffier,
M. A...La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA02248