Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 13 décembre 2018, la société UniCredit Bank AG, représentée par Me C...D...et Me A...B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 novembre 2018 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;
3°) de condamner l'Etat au paiement des intérêts moratoires conformément à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le seuil de 250 millions d'euros fixé par l'article 235 ter ZAA du code général des impôts doit être interprété, au regard du principe de territorialité de l'impôt sur les sociétés, comme s'appliquant au seul chiffre d'affaires réalisé en France ;
- l'interprétation retenue par l'administration est contraire au principe de non-discrimination contenu dans la convention fiscale entre la France et l'Allemagne ;
- elle méconnaît le principe de liberté d'établissement énoncé à l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- elle méconnaît les stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention.
Le président de la 2ème chambre de la Cour a, en application des dispositions de l'article R. 611-8 du code de justice administrative, dispensé la présente requête d'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la convention entre la France et la République fédérale d'Allemagne tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, du 21 juillet 1959 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Magnard,
- et les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société UniCredit Bank AG a été assujettie au titre des exercices 2013 à 2015 à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés en application de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts. Par la présente requête, elle relève appel du jugement du
13 novembre 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en restitution de cette contribution.
2. Aux termes du I de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts : " Les redevables de l'impôt sur les sociétés réalisant un chiffre d'affaires supérieur à
250 millions d'euros sont assujettis à une contribution exceptionnelle égale à une fraction de cet impôt calculé sur leurs résultats imposables, aux taux mentionnés à l'article 219 (...)./(...) / Le chiffre d'affaires mentionné au premier alinéa du présent I s'entend du chiffre d'affaires réalisé par le redevable au cours de l'exercice ou de la période d'imposition, ramené à douze mois le cas échéant, et pour la société mère d'un groupe (...), de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe ". Aux termes du premier alinéa du I de l'article 209 du même code : " (...) les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, de ceux mentionnés aux a, e, e bis et e ter du I de l'article 164 B ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ".
3. En premier lieu, en application de l'article 235 ter ZAA précité, l'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés repose sur la qualité de redevable de l'impôt sur les sociétés et sur la réalisation d'un chiffre d'affaires annuel d'au moins
250 millions d'euros. Si la territorialité de l'impôt sur les sociétés résultant de l'article 209 du code général des impôts limite les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés à ceux réalisés en France, sous réserve des stipulations des conventions internationales relatives aux doubles impositions, elle n'a ni pour objet ni pour effet de limiter le chiffre d'affaires pris en compte pour apprécier le seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle à celui réalisé en France. Par suite, il n'y a pas lieu, pour l'application desdites dispositions du code de général des impôts, de retenir, pour apprécier le seuil de déclenchement de l'imposition, le seul chiffre d'affaires qui se rattache aux bénéfices soumis en France à l'impôt sur les sociétés conformément à l'article 209 de ce code et aux stipulations de la convention fiscale franco-allemande susvisée applicable au cas d'espèce.
4. En deuxième lieu, la société requérante soutient que le principe de liberté d'établissement issu des articles 49 et 54 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne impose que l'établissement stable français d'une société étrangère et la société française filiale d'une société étrangère soient traités de manière identique et qu'en retenant, pour apprécier le seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle, le chiffre d'affaires de la société étrangère dans le premier cas et celui de la société française dans le second cas, les dispositions de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts sont à l'origine d'une différence de traitement entre l'établissement stable et la filiale d'une société étrangère et, par suite, d'une restriction à la liberté d'établissement compromettant le principe de libre choix de la forme juridique de son établissement secondaire par une société étrangère.
5. Aux termes du premier alinéa de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre ". Aux termes du premier alinéa de l'article 54 du même traité : " Les sociétés constituées en conformité de la législation d'un Etat membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union sont assimilées, pour l'application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des Etats membres ". Le principe de liberté d'établissement, qui découle de ces stipulations, s'oppose à l'application de toute réglementation nationale qui, en restreignant la possibilité pour les opérateurs économiques établis dans un Etat membre de choisir librement la forme juridique appropriée pour l'exercice de leurs activités dans un autre Etat membre, interdit, gêne ou rend moins attrayant l'exercice de la liberté d'établissement. Toutefois, l'existence d'une différence entre les chiffres d'affaires à prendre en compte pour l'appréciation du seul seuil d'assujettissement à cette contribution, et non pour la détermination de son assiette, selon que les sociétés étrangères exercent des activités en France dans le cadre d'une succursale ou dans le cadre d'une filiale, qui est la conséquence nécessaire de l'absence de personnalité propre de la succursale, ne constitue pas, par elle-même, une entrave à la liberté d'établissement et le libre choix laissé aux opérateurs économiques par l'article 49, premier alinéa, deuxième phrase, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de retenir la forme juridique qu'ils estiment la plus appropriée pour l'exercice de leurs activités dans un autre Etat membre implique seulement, pour l'Etat membre d'accueil, qui demeure libre de déterminer le fait générateur de l'impôt, l'assiette imposable ainsi que le taux d'imposition qui s'appliquent aux différentes formes d'établissements des sociétés y opérant, d'accorder aux sociétés non-résidentes un traitement qui ne soit pas discriminatoire par rapport aux établissements nationaux comparables. Au regard de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, une société établie dans un autre Etat membre ayant une filiale ou une succursale en France est traitée de manière identique à une société établie en France ayant une filiale ou une succursale en France ou dans un autre Etat membre. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce qu'il existerait une différence de traitement selon le lieu d'établissement de la société ou selon la structure juridique de l'établissement secondaire de cette société qui serait de nature à compromettre le libre choix de la forme juridique de son établissement secondaire par une société étrangère, ne peut qu'être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes du paragraphe 4 de l'article 21 de la convention fiscale franco-allemande : " L'imposition d'un établissement stable qu'une entreprise d'un Etat contractant a dans l'autre Etat contractant n'est pas établie dans cet autre Etat d'une façon moins favorable que l'imposition des entreprises de cet autre Etat qui exercent la même activité ".
7. Au regard de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, une société établie en République fédérale d'Allemagne disposant d'un établissement stable en France est traitée de manière identique à une société établie en France et y exerçant la même activité dès lors que, dans l'une ou l'autre de ces situations, le seuil d'assujettissement à cette contribution s'apprécie au regard du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise et que, par ailleurs, seul le bénéfice réalisé en France est retenu pour l'assiette de l'impôt. D'autre part, la société requérante ne saurait utilement soutenir qu'elle se trouve placée dans une situation plus défavorable que celle qui serait la sienne si son activité était exercée en France par l'intermédiaire d'une filiale, et non d'une succursale, dès lors que le principe de non-discrimination n'implique pas que les différentes structures susceptibles d'être choisies par les opérateurs pour exercer leurs activités économiques soient soumises à un seul et même traitement fiscal alors, de surcroît, que la filiale et la succursale françaises d'une société résidente ne font pas elles-mêmes l'objet d'un traitement similaire. Par suite, le moyen tiré de ce que l'administration aurait fait une application des dispositions de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts contraire au principe de non discrimination résultant de l'article 21 de la convention fiscale franco-allemande ne peut qu'être écarté.
8. Enfin, aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette même convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens (...) ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 de la convention, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.
9. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la différence de chiffres d'affaires à prendre en compte selon que la société étrangère exerce son activité en France par l'intermédiaire d'une succursale ou d'une filiale est la conséquence nécessaire de l'absence de personnalité propre de la succursale et ne peut être regardée comme étant, en elle-même, à l'origine d'une discrimination prohibée. Dès lors, le moyen tiré de ce qu'il existerait, de ce fait, une différence de traitement à l'origine d'une discrimination prohibée par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin de décharge et de versement des intérêts moratoires doivent être rejetées. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que la requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société UniCredit Bank AG est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société UniCredit Bank AG.
Copie en sera adressée et au ministre de l'action et des comptes publics et au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.
Délibéré après l'audience du 12 juin 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- M. Magnard, premier conseiller.
Lu en audience publique le 26 juin 2019.
Le rapporteur,
F. MAGNARDLe président,
I. BROTONS
Le greffier,
P. LIMMOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°18PA03906