Procédure devant la Cour :
Par un recours et un mémoire enregistrés les 7 février 2017 et 12 juin 2018, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 1520486/1-2 du 4 novembre 2016 du Tribunal administratif de Paris et de décider que
M. A...sera rétabli au titre de l'année 2012 au rôle de l'impôt sur le revenu à raison de l'imposition dont la décharge a été ordonnée par les premiers juges.
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- le versement d'une pension alimentaire n'a pas à être pris en compte pour renverser la présomption de charge partagée entre les parents divorcés ou séparés d'un enfant mineur en résidence alternée ;
- M. A...n'apporte pas la preuve qu'il supporte, à titre principal ou exclusif, les charges financières concernant ses enfants en garde alternée ;
- l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du Premier protocole additionnel à cette convention n'ont pas été méconnus.
Par des mémoires en défense enregistrés les 14 mai et 18 juin 2018, M.A..., représenté par la SCP Hélène Didier et François Pinet, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la requête du ministre de l'action et des comptes publics est tardive ;
- les moyens soulevés par le ministre de l'action et des comptes publics ne sont pas fondés.
Par une ordonnance n°17PA00467 du 2 juillet 2018, a été transmise au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 193 ter et 194 du code général des impôts, posée par M.A....
Par une décision n° 2018-753 QPC du 14 décembre 2018, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la question prioritaire de constitutionnalité posée par M.A....
Par ordonnance du 8 janvier 2019, la clôture d'instruction a été fixée
au 23 janvier 2019.
Vu la décision n° 2017/009934 du 16 février 2017 par laquelle le bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris a accordé à M. A...le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à 55%.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la décision du conseil constitutionnel n° 2018-753 QPC du 14 décembre 2018 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Magnard,
- les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public,
- et les observations orales de M.A....
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., qui a obtenu la garde alternée de ses trois enfants par un jugement de divorce daté du 18 décembre 2007, a été imposé sur ses revenus de l'année 2012 sur la base d'un quotient familial égal à 2,5 parts. Par une proposition de rectification du 29 novembre 2013, l'administration a réintégré à son revenu imposable de l'année 2012 les pensions alimentaires mises à sa charge par le jugement de divorce et déduites par M.A.... M. A...a alors demandé au Tribunal administratif de Paris que sa cotisation primitive d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2012 soit recalculée en prenant en compte une majoration de son quotient familial dès lors qu'il supporterait, à titre principal ou exclusif, les charges financières relatives à ses trois enfants en garde alternée. Le ministre de l'action et des comptes publics relève appel du jugement n°1520486/1-2 du 4 novembre 2016 par lequel le Tribunal administratif de Paris a fixé à 3,5 parts le quotient familial de M. A...et a déchargé l'intéressé de sa cotisation d'impôt sur le revenu de l'année 2012 à hauteur de la réduction d'impôt procédant de ce nouveau quotient familial.
Sur la fin de non-recevoir opposée au recours du ministre :
2. Le recours présenté par le ministre de l'action et des comptes publics devant la Cour a été enregistrée le 7 février 2017, soit dans le délai d'appel de deux mois dont il disposait à compter de l'expiration du délai de deux mois imparti au service auquel a été notifié, le 4 novembre 2016, le jugement du tribunal, pour lui transmettre ledit jugement et le dossier de l'affaire, en vertu des dispositions de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales. La fin de non-recevoir opposée par M. A...au recours du ministre de l'action et des comptes publics ne peut donc qu'être écartée.
Sur les conclusions du recours du ministre :
3. Aux termes de l'article 193 ter du code général des impôts : " A défaut de dispositions spécifiques, les enfants ou les personnes à charge s'entendent de ceux dont le contribuable assume la charge d'entretien à titre exclusif ou principal nonobstant le versement ou la perception d'une pension alimentaire pour l'entretien desdits enfants ". Aux termes du I de l'article 194 du même code " (...) En cas de résidence alternée au domicile de chacun des parents et sauf disposition contraire dans la convention homologuée par le juge, la décision judiciaire ou, le cas échéant, l'accord entre les parents, les enfants mineurs sont réputés être à la charge égale de l'un et de l'autre parent. Cette présomption peut être écartée s'il est justifié que l'un d'entre eux assume la charge principale des enfants. Lorsque les enfants sont réputés être à la charge égale de chacun des parents, ils ouvrent droit à une majoration de :/ a) 0,25 part pour chacun des deux premiers (...) lorsque par ailleurs le contribuable n'assume la charge exclusive ou principale d'aucun enfant (...) ". Il résulte des dispositions précitées, à la lumière des travaux préparatoires de la loi de finances rectificative pour 2002 dont elles sont issues, que le versement ou la perception d'une pension alimentaire ne doit pas, en vertu de l'article 193 ter, être pris en compte pour apprécier la charge d'entretien qui est assumée par chaque parent. Il en va notamment ainsi, en cas de résidence alternée, lorsque l'un d'entre eux entend écarter la présomption prévue par le I de l'article 194 au motif qu'il assume la charge principale d'un enfant. C'est par suite à tort que les premiers juges ont estimé que les dispositions de l'article 193 ter du code général des impôts excluant la prise en compte des pensions alimentaires pour la détermination des enfants ou des personnes à charge ne sont applicables qu'en l'absence de " dispositions spécifiques " et n'autorisaient pas l'administration à exclure les pensions alimentaires versées par M. A...pour la détermination des enfants à charge au sens des dispositions de l'article 193 ter du code précité. Et c'est en conséquence à tort qu'ils ont, pour ce motif, accordé la réduction de la cotisation primitive d'impôt sur le revenu à laquelle M. A...a été assujetti au titre de l'année 2012.
4. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...tant devant le Tribunal administratif de Paris que devant elle.
5. Aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette même convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens (...) ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 de la convention, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.
6. Contrairement aux assertions de M.A..., les contribuables dont l'enfant est en garde alternée et qui contribuent à l'éducation ou à l'entretien de cet enfant sous la forme du versement d'une pension alimentaire ne sont pas dans une situation analogue ou comparable à ceux qui prennent directement en charge les dépenses d'éducation ou d'entretien de cet enfant. Les parents conservent d'ailleurs la possibilité, dans la décision judiciaire, la convention homologuée par le juge, ou tout autre accord, à condition qu'il soit cosigné par les deux parents, de préciser lequel d'entre eux supporte effectivement la charge d'entretien de l'enfant à titre principal, permettant ainsi que la majoration de quotient familial soit attribuée intégralement au parent concerné. En tout état de cause, l'attribution à l'un des parents de la majoration de quotient familial vise à tenir compte du fait qu'il assume la charge principale de l'enfant en s'acquittant directement des dépenses nécessaires à son entretien. La fixation d'une pension alimentaire à la charge de l'un des parents a pour objet d'équilibrer les contributions des parents à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Cette pension alimentaire tient compte des besoins de ce dernier au regard des ressources de ses deux parents. En excluant cette pension alimentaire pour apprécier si l'un des parents assume la charge principale de l'enfant, le législateur a entendu tenir compte de ce que cette pension opère un transfert de revenus dans le but de permettre au parent qui la reçoit de faire face aux besoins de l'enfant pour la charge qui lui incombe. Par ailleurs, l'attribution de cette majoration de quotient familial à parts égales entre les parents, séparés ou divorcés, d'un enfant en résidence alternée, résulte du fait qu'ils sont réputés s'acquitter à parts égales des dépenses liées à son entretien. Dès lors, en excluant également dans ce cas la prise en compte de la pension alimentaire versée par l'un des parents pour rapporter la preuve qu'il assume la charge principale de l'enfant, le législateur s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il existerait, de ce fait, une différence de traitement à l'origine d'une discrimination prohibée par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
7. M.A..., qui a obtenu la garde alternée de ses enfants par un jugement de divorce du 18 décembre 2007, a été initialement imposé, conformément aux éléments mentionnés dans sa déclaration de revenus 2012, selon un quotient familial de 2,5 parts. Il lui appartient, à l'appui de sa demande tendant au bénéfice de la majoration de son quotient familial, d'établir qu'il supporte, à titre principal ou exclusif, les charges financières relatives à ses enfants en garde alternée. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la pension alimentaire versée à
son ex-épouse ne saurait être prise en compte à cet égard. La déclaration sous-seing privé établie par M. A...et son ex-épouse pour les besoins de la cause le 3 septembre 2015, ne saurait, alors même qu'elle comporterait des mentions rétroactives ou que le conciliateur fiscal lui aurait donné sur sa portée des informations trompeuses, être regardée comme un accord au sens des dispositions précitées du I de l'article 194 du code général des impôts opposable à l'administration fiscale au titre de l'année 2012.
8. L'instruction administrative du 20 janvier 2004, codifiée à la documentation de base sous la référence 5 B-3-04, et l'instruction administrative du 7 janvier 2014, codifiée sous la référence BOI-IR-LIQ-10-10-10-10, ne contiennent en tout état de cause aucune interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il a été fait application dans le présent arrêt.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a fixé à 3,5 parts le quotient familial de M. A...et a déchargé l'intéressé de sa cotisation d'impôt sur le revenu de l'année 2012 à hauteur de la réduction d'impôt procédant de ce nouveau quotient familial. Il y a lieu de prononcer le rétablissement des impositions dont les premiers juges ont prononcé la décharge. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que M. A...demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 1520486/1-2 du 4 novembre 2016 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La part de cotisation primitive d'impôt sur le revenu à laquelle M. A...a été assujetti au titre de l'année 2012 et dont les premiers juges ont prononcé la décharge est remise à la charge de M.A....
Article 3 : Les conclusions de M. A...présentées devant la Cour sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et
à M. B...A....
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.
Délibéré après l'audience du 13 mars 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- M. Magnard, premier conseiller,
Lu en audience publique le 28 mars 2019.
Le rapporteur,
F. MAGNARDLe président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA00467