Par un jugement n° 1809716/6-1 du 26 juin 2020, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 24 avril 2018.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 août 2020, la ville de Paris, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. et Mme D... ;
3°) de mettre à la charge solidaire de M. et Mme D... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur le certificat d'un psychiatre postérieur à la décision attaquée pour estimer que l'administration avait commis une erreur d'appréciation au regard des dispositions des articles R. 225-4 et R. 225-7 du code de l'action sociale et des familles ;
- les moyens soulevés par M. et Mme D... devant le tribunal ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 novembre 2020, M. et Mme D..., représentés par Me B..., concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la ville de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par la ville de Paris ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
La clôture de l'instruction a été fixée au 26 janvier 2021.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,
- les observations de Me A..., représentant la ville de Paris,
- et les observations de Me B..., représentant M. et Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme D..., mariés en 2002, ont obtenu un premier agrément en vue de l'adoption d'un enfant en 2007. Il a été renouvelé, pour cinq ans, le 20 septembre 2013. Par une décision du 24 avril 2018, le président du conseil de Paris, siégeant en formation de conseil départemental, a retiré cet agrément. La ville de Paris relève appel du jugement du 26 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 24 avril 2018.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 225-17 du code de l'action sociale et des familles : " Les personnes qui accueillent, en vue de son adoption, un enfant étranger doivent avoir obtenu l'agrément prévu aux articles L. 225-2 à L. 225-7. ". L'article L. 225-2 du même code, auquel renvoie l'article L. 225-7, dispose que : " Les pupilles de l'Etat peuvent être adoptés (...) par des personnes agréées à cet effet (...). / L'agrément est accordé pour cinq ans, dans un délai de neuf mois, par le président du conseil départemental, ou, en Corse, par le président du conseil exécutif après avis d'une commission dont la composition est fixée par voie réglementaire. ". Aux termes de l'article R. 225-4 du même code : " Avant de délivrer l'agrément, le président du conseil départemental doit s'assurer que les conditions d'accueil offertes par le demandeur sur les plans familial, éducatif et psychologique correspondent aux besoins et à l'intérêt d'un enfant adopté. (...) ". Enfin, l'article R. 225-7 de ce code prévoit que : " (...) / En cas de modification des conditions d'accueil constatées lors de la délivrance de l'agrément, notamment de la situation matrimoniale, ou en l'absence de déclaration sur l'honneur, le président du conseil départemental peut faire procéder à des investigations complémentaires sur les conditions d'accueil et, le cas échéant, retirer l'agrément. Lorsqu'il envisage de retirer l'agrément ou de le modifier, il saisit pour avis la commission prévue à l'article R. 225-9. ".
3. L'administration a été informée en février 2018 que M. D... avait entretenu une relation hors mariage avec une femme qui affirmait attendre un enfant de lui. Au regard de ces éléments nouveaux, susceptibles de modifier les conditions d'accueil de l'enfant telles qu'elles se présentaient lors de la délivrance de l'agrément, l'administration a procédé à des investigations complémentaires ainsi que le lui permettent les dispositions précitées de l'article R. 225-7 du code de l'action sociale et des familles. M. et Mme D..., entendus à plusieurs reprises, ont réaffirmé que la solidité de leur couple n'avait pas été entamée et qu'ils restaient déterminés à poursuivre leur démarche d'adoption, sans cependant parvenir à convaincre les services sociaux. Le retrait d'agrément décidé le 24 avril 2018, prononcé sur avis favorable de la commission d'agrément réunie le 10 avril 2018, se fonde sur la circonstance que le couple, qui s'apprêtait alors à accueillir une petite fille née en Chine, minimisait les difficultés et questionnements possibles au regard du nouveau contexte familial résultant de la naissance à venir de l'enfant de M. D....
4. Toutefois, d'une part, la " minimisation des questionnements possibles " est affirmée de manière péremptoire sans que cette affirmation soit corroborée par les pièces du dossier. Aucun élément ne vient ainsi étayer la conclusion de l'autorité territoriale selon laquelle le " positionnement " de M. et Mme D... serait révélateur de " relations complexes ". Il ne saurait se déduire des seules allégations, qui ont au demeurant varié dans le temps et qui traduisent un certain ressentiment, de la personne avec qui M. D... a entretenu une liaison, que la détermination du couple d'adoptants à accueillir un enfant et la qualité de l'accueil qui lui serait réservé auraient été remis en cause. D'autre part, les intimés ont produit à l'instance un rapport établi à leur demande par le docteur Roland Coutanceau, psychiatre, expert près de la cour d'appel de Paris, qui a estimé que M. et Mme D... lui paraissaient former un couple solide, qui avait discuté du changement de contexte familial et qui avait anticipé la formation de liens entre l'enfant biologique de M. D... et l'enfant adopté. Cet expert a été d'avis que M. et Mme D... avaient la capacité d'être des parents structurés et aimants, il a répondu de manière argumentée aux interrogations qu'avait pu faire naître la crise un temps traversée par le couple et il a écarté notamment le risque que l'enfant soit accueilli dans une famille instable et un environnement psychologiquement pathogène. Si un tel rapport, établi à la demande de M. et Mme D... le 6 juin 2018, postérieurement à la décision attaquée mais qui portait sur la vie familiale appréciée dans la durée, ne saurait, bien sûr, infirmer à lui seul les conclusions auxquelles était arrivée l'administration au terme d'une enquête administrative qui fut sérieuse et guidée par le souci de protéger l'enfant susceptible d'être adopté, il n'en constitue pas moins un élément que le juge peut prendre en compte pour se forger une opinion sur une question où l'appréciation est nécessairement délicate. En l'espèce, au vu de l'ensemble des pièces du dossier, compte tenu notamment de la solidité apparente de ce couple au sortir d'une période difficile et du travail réalisé pour prendre en compte les conditions nouvelles, en estimant que les conditions d'accueil offertes par M. et Mme D... sur les plans familial, éducatif et psychologique ne correspondaient plus aux besoins et à l'intérêt d'un enfant adopté, le président du conseil de Paris, a commis une erreur d'appréciation.
5. Il résulte de ce qui précède que la ville de Paris n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 24 avril 2018 par laquelle le président du conseil de Paris, siégeant en formation de conseil départemental, a retiré l'agrément en vue d'adoption dont bénéficiaient M. et Mme D....
Sur les frais liés au litige :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. et Mme D..., qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la ville de Paris et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la ville de Paris le versement de la somme de 1 500 euros à M. et Mme D....
DECIDE :
Article 1er : La requête de la ville de Paris est rejetée.
Article 2 : La ville de Paris versera la somme de 1 500 euros à M. et Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... D..., à Mme F... C... épouse D... et à la ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 18 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Jayer, premier conseiller,
- Mme E..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juin 2021.
Le rapporteur,
G. E...Le président de la formation de jugement,
Ch. BERNIER
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 20PA02442