Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 février 2015 et le 1er avril 2016, M. A..., représenté par MeC..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1410468/3-1 du 30 décembre 2014 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 6 mai 2014 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement ;
3°) de supprimer, en application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative, un passage des écritures de la société Grand Hôtel Intercontinental Paris ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier tant sur la forme que sur le fond dès lors que le Tribunal a considéré à tort : qu'il n'avait pas été privé d'une garantie alors que le principe du contradictoire a été méconnu ; que l'inspectrice a implicitement estimé que les faits étaient d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement ; que le non-respect du délai de 8 jours prévu par le code du travail était sans influence ; que la matérialité des faits est établie ; que leur gravité justifiait le licenciement ; que le passage du mémoire de l'employeur dont il a été demandé la suppression ne présente pas un caractère injurieux ou diffamatoire ;
- la décision attaquée est entachée d'illégalité pour les motifs développés en première instance; qu'en outre, elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Une mise en demeure a été adressée le 16 juin 2015 au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juillet 2015, le Grand Hôtel Intercontinental Paris, représenté par Me G..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge du requérant la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est régulier ; d'ailleurs, le requérant conteste en réalité son bien-fondé ;
- le caractère contradictoire de l'enquête a été respecté dès lors que l'intéressé a eu connaissance du nom des plaignantes et du contenu de leur témoignage ; la décision est suffisamment motivée quant à la gravité de la faute ; la méconnaissance du délai de prise de sa décision par l'inspecteur du travail est sans influence sur la légalité de celle-ci ; la matérialité des faits est établie ; ces derniers sont suffisamment graves pour justifier le licenciement ; le passage de son mémoire de première instance n'est ni injurieux ni diffamatoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Polizzi, rapporteur,
- les conclusions de M. Roussel, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., pour M.A....
1. Considérant que M. A..., premier barman au sein du Grand Hôtel Intercontinental depuis le 10 janvier 2005, était représentant de section syndicale ; que par une décision du 6 mai 2014, l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour raison disciplinaire ; que M. A... demande l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Paris qui a rejeté sa demande dirigée contre cette décision ; que si M. A... fait valoir que " le jugement est irrégulier sur la forme et dans son fond ", la formulation de ses moyens révèle qu'il n'entend contester que le bien-fondé de ce jugement ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ;
Sur la légalité externe :
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 2421-11 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. L'inspecteur du travail prend sa décision dans un délai de quinze jours, réduit à huit jours en cas de mise à pied. Ce délai court à compter de la réception de la demande d'autorisation de licenciement. Il n'est prolongé que si les nécessités de l'enquête le justifient. L'inspecteur avise de la prolongation du délai les destinataires mentionnés à l'article R. 2421-12. " ;
4. Considérant que le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément à ces dispositions impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné ; qu'il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance en temps utile de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation ; qu'il implique enfin que l'inspecteur mette à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation ; que c'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, d'une part, la demande d'autorisation de licenciement de M. A... était fondée sur les témoignages recueillis dans le cadre de l'enquête du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dont aucune disposition n'impose qu'elle soit réalisée de manière contradictoire ; que si M. A... n'a pas obtenu copie de ces témoignages, une reproduction substantielle de ceux-ci, en comportant tous les éléments pertinents ainsi que la mention du nom de leurs auteurs, figurait dans la demande d'autorisation de licenciement, dont copie lui a été adressée par l'inspecteur du travail ; que ce dernier l'a, au surplus, invité à consulter l'ensemble des témoignages produits par son employeur ; qu'ainsi, M. A... a été informé de manière détaillée de leur contenu, de telle sorte qu'il se trouvait parfaitement en mesure de présenter sa défense ; que ses réponses attestent, par ailleurs, de ce qu'il avait, malgré l'anonymisation de leurs déclarations, toujours identifié ses accusatrices ; que, d'autre part, l'inspecteur du travail n'a pas omis de communiquer à M. A... des éléments déterminants qu'il aurait recueillis au cours de son enquête, les témoignages supplémentaires n'apportant rien de plus par rapport aux faits déjà relatés par les victimes et les autres témoins ; que, dans ces conditions, le moyen tiré du caractère non contradictoire de l'enquête doit être écarté ;
6. Considérant, en deuxième lieu, qu'en vertu de l'article L. 2421-5 du code du travail, la décision de l'inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé doit être motivée ; qu'après avoir rappelé les faits qui étaient reprochés à M. A... et affirmé que leur réalité était établie, la décision attaquée relève que " ces faits fautifs sont de nature à justifier le licenciement " ; qu'ainsi, l'inspecteur du travail a implicitement mais nécessairement estimé que les faits étaient constitutifs d'une faute suffisamment grave pour justifier le licenciement de M. A... ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait insuffisamment motivée, faute pour l'inspecteur du travail de s'être prononcé sur la gravité des faits, doit être écarté ;
7. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article R. 2421-4 du code du travail : " (...) L'inspecteur du travail prend sa décision dans un délai de quinze jours, réduit à huit jours en cas de mise à pied. Ce délai court à compter de la réception de la demande d'autorisation de licenciement. Il n'est prolongé que si les nécessités de l'enquête le justifient (...) " ; qu'ainsi que l'a jugé le Tribunal, les circonstances, à les supposer établies, que les nécessités de l'enquête ne justifiaient pas la prolongation du délai de huit jours prévu par ces dispositions en cas de mise à pied et que l'enquête contradictoire n'a pas débuté dans ce délai sont sans influence sur la légalité de la décision attaquée ;
Sur la légalité interne :
8. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que quatre employées de l'hôtel ont attesté, de manière précise et circonstanciée, avoir été victimes, de la part de M. A..., de harcèlement résultant de la répétition de propos à caractère sexuel et de comportements et gestes inappropriés ; que ces attestations concordantes, réitérées à plusieurs reprises, notamment devant le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, sont corroborées par plusieurs témoignages ; que les assertions de M. A... quant au harcèlement moral dont il serait lui-même l'objet ont été écartées par ce comité et ne sont en rien établies ; que la circonstance qu'il n'avait pas autorité sur les jeunes femmes auteurs des témoignages est en l'espèce sans influence ; que M. A... n'est ainsi pas fondé à soutenir que la matérialité des faits n'est pas établie ;
9. Considérant, en deuxième lieu, que ces faits, graves et répétés, sont de nature à justifier le licenciement de M.A... ;
10. Considérant, enfin, que M. A... se borne, pour le surplus, à se référer, par l'effet dévolutif de l'appel, à ses écritures de première instance ; qu'il y a lieu, quant aux moyens relatifs à la compétence territoriale de l'inspecteur du travail et au lien du licenciement avec le mandat syndical, d'y répondre par adoption des motifs retenus par les premiers juges ;
Sur les conclusions tendant à la suppression d'un passage injurieux et diffamatoire :
11. Considérant que, en vertu des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative, les juges administratifs peuvent, dans les causes dont ils sont saisis, prononcer, même d'office, la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires ; qu'ainsi que l'a jugé le Tribunal, le passage dont la suppression est demandée par M. A...n'excède pas le droit à la libre discussion et ne présente pas un caractère injurieux ou diffamatoire ; que les conclusions tendant à sa suppression doivent par suite être rejetées ;
Sur les conclusions des parties tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné au paiement des frais exposés par M. A...et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme demandée par la société Grand Hôtel Intercontinental Paris sur le fondement de ces mêmes dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Grand Hôtel Intercontinental Paris présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et à la société Grand Hôtel Intercontinental Paris.
Délibéré après l'audience du 7 avril 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Polizzi, président assesseur,
- MmeF..., première conseillère,
Lu en audience publique, le 16 juin 2016.
Le rapporteur,
F. POLIZZILe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
M. E...La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 15PA00931