Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 1er juin 2018, MmeB..., représenté par MeC..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 mai 2018 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour, dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 15 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à MeC..., au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en l'absence de réponse par les premiers juges aux moyens tirés de ce que la décision portant refus de séjour est entachée d'un défaut d'examen de la situation personnelle, d'un vice de procédure tiré de la procédure déloyale de l'administration et d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) de la décision attaquée ;
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- la décision de refus de séjour est insuffisamment motivée, notamment en ne visant pas l'article L. 313-14 du CESEDA et n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;
- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors que le préfet ne lui a demandé de fournir des justificatifs de présence que sur les cinq dernières années alors qu'elle est en France depuis plus longtemps ;
- elle est entachée d'erreurs matérielles et d'erreur d'appréciation ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du CESEDA en ce que le préfet a opposé à la requérante une condition non prévue par les textes ;
- elle est entachée d'une erreur de droit, le préfet s'étant cru en situation de compétence liée du fait de l'avis défavorable émis par la DIRECCTE ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juin 2019, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Mme B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 18/011101 du 3 mai 2018 du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Pena a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. MmeB..., ressortissant ghanéenne née le 7 juin 1975, est entrée en France le
5 août 2009 selon ses déclarations. Elle a fait une première demande de titre de séjour le
16 mars 2011 puis à nouveau, le 28 mai 2013, en qualité d'" étranger malade ". Ses demandes ont été rejetées. Le 3 mai 2017, elle a sollicité son admission exceptionnelle au séjour en tant que salariée sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du CESEDA. Par un arrêté du
24 octobre 2017, le préfet de police a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme B...relève appel du jugement du 7 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 octobre 2017.
Sur la régularité du jugement :
2. Il résulte des termes mêmes du jugement attaqué, ainsi que le soutient MmeB..., que les premiers juges ont omis de répondre aux moyens tirés de ce que la décision portant refus de séjour est entachée d'un défaut d'examen de la situation personnelle, d'un vice de procédure tiré de la procédure déloyale de l'administration et d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette omission à statuer sur des moyens qui n'étaient pas inopérants a entaché d'irrégularité le jugement susvisé du tribunal administratif de Paris. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen d'irrégularité, il y a lieu d'annuler le jugement contesté et, par la voie de l'évocation, de statuer sur la demande de Mme B...présentée en première instance et reprise en appel.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
3. En premier lieu, l'arrêté contesté comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Il indique ainsi notamment que Mme B..." a sollicité son admission exceptionnelle au séjour en tant que salariée dans le cadre des dispositions de l'article L. 313-14 du CESEDA " et mentionne sa situation personnelle et familiale. Par suite, la circonstance que le préfet de police n'a pas mentionné tous les éléments factuels de la situation personnelle de l'intéressée, notamment le fait qu'elle ait fait part d'une situation d'anxiété post-traumatique, n'est pas de nature à entacher d'insuffisance de motivation ou de défaut d'examen de la situation personnelle ledit arrêté.
4. En deuxième lieu, si la requérante soutient qu'en se limitant à lui demander des justificatifs uniquement sur les cinq dernières années de sa présence en France, alors qu'elle était en mesure de fournir des preuves de sa présence sur le territoire sur les huit dernières années, le préfet l'aurait induite en erreur, il ressort de la lecture de l'arrêté que le préfet a retenu le 5 août 2009 comme date d'entrée en France de Mme B...et qu'il indique que cette durée de résidence habituelle ne saurait être regardée comme un motif exceptionnel ou une considération humanitaire. Ainsi, l'intéressée n'établit pas que sa situation résulterait d'un comportement déloyal de l'administration préfectorale à son égard.
5. Si Mme B...soutient, en troisième lieu, que les services préfectoraux se sont abstenus de prendre en considération son intégration professionnelle ainsi que la réalité de ses rémunérations, il ressort des termes de l'arrêté contesté que le préfet ne s'est pas fondé sur ce terrain pour lui refuser le titre sollicité, mais sur l'absence de motifs exceptionnels ou de considérations humanitaires. Par conséquent, les moyens tirés de ce que la décision portant refus de séjour serait entachée d'erreurs matérielles et d'erreur d'appréciation ne peuvent qu'être écartés.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article
L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut- être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. (...) ".
7. En présence d'une demande de régularisation présentée sur le fondement de l'article L. 313-14 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention
" vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Dans cette dernière hypothèse, un demandeur qui justifierait d'une promesse d'embauche ou d'un contrat de travail ne saurait être regardé, par principe, comme attestant, par là-même, des " motifs exceptionnels " exigés par la loi. Il appartient, en effet, à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment, si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger, ainsi que les caractéristiques de l'emploi auquel il postule, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel que par exemple, l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour.
8. Si Mme B...soutient qu'elle est présente de façon ininterrompue sur le territoire français depuis huit ans, qu'elle y travaille comme auxiliaire parentale depuis 2013, qu'elle parle couramment le français et qu'elle a fixé ses attaches personnelles en France, ces circonstances ne peuvent toutefois être regardées en elles-mêmes comme des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels justifiant qu'il lui soit délivré un titre de séjour " salarié " sur le fondement de l'article L. 313-14 précité. Ainsi, c'est sans commettre d'erreur de droit, ni d'erreur manifeste d'appréciation que le préfet de police a pu opposer un refus à sa demande de titre de séjour.
9. En cinquième lieu, il ne ressort ni des termes de la décision attaquée, ni d'aucune pièce du dossier, que le préfet de police se serait cru à tort lié par l'avis défavorable rendu par la DIRECCTE sur la situation de MmeB..., ni qu'il aurait regardé cet avis comme faisant obstacle à l'attribution d'un titre de séjour en application de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. En sixième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. MmeB..., célibataire et sans charge de famille, n'établit pas être dépourvue de toutes attaches dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de 34 ans et où résident ses parents et ses soeurs. Elle ne démontre pas davantage une particulière insertion dans la société française nonobstant sa situation professionnelle. Dès lors, l'arrêté contesté n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale, une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
12. En premier lieu, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français, Mme B...excipe de l'illégalité de la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que cette exception d'illégalité ne peut qu'être écartée.
13. En second lieu, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation au regard de la situation personnelle de MmeB..., soulevés à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français, doivent être écartés pour les mêmes motifs que précédemment exposés.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par Mme B...devant le tribunal administratif de Paris ne peut qu'être rejetée, de même que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées à la Cour à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 7 février 2018 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme B...devant le Tribunal administratif de Paris et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 5 février 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Bernier, président assesseur,
- Mme Pena, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 19 février 2019.
Le rapporteur,
E. PENALe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
A. DUCHER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 18PA01864