Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés sous le n°18BX00036 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux les 4 janvier 2018 et 22 mars 2019, l'ONIAM, représenté par Me de la Grange, demande :
1°) de confirmer le jugement du tribunal administratif de la Martinique en tant qu'il a statué sur la responsabilité, et de porter le montant de la condamnation solidaire du CHUM et de la SHAM à la somme de 44 453,75 euros, incluant la somme de 25 995,77 euros au titre de l'assistance par tierce personne, en remboursement des sommes versées à Mme D... et à ses ayants-droit, de condamner solidairement le CHUM et la SHAM à lui rembourser les frais d'expertise et de porter à la somme de 6 668,06 euros le montant de la pénalité légale, l'ensemble de ces sommes étant assorti des intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2013 ;
2°) de mettre à la charge solidaire du CHUM et de la SHAM la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement doit être confirmé en ce qu'il retient l'existence d'une faute de technique chirurgicale lors de l'intervention subie par Mme D... le 16 juillet 2004 ;
- cette faute, qui a entrainé des séquelles jusqu'au décès de la patiente, engage la responsabilité du CHUM à hauteur de 80 % ;
- le déficit fonctionnel temporaire doit être indemnisé à hauteur de 3 366 euros ;
- les souffrances endurées doivent être indemnisées à hauteur de 8 000 euros ;
- Mme D... ayant eu recours à une aide apportée par sa famille, l'assistance par tierce personne doit être indemnisée par une somme de 25 995,77 euros ;
- le jugement doit être confirmé s'agissant de l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent et du préjudice esthétique ;
- le préjudice d'agrément doit être réparé par une somme de 2 400 euros, ou a minima par la somme de 1 600 euros accordée par les premiers juges ;
- le CHUM et la SHAM doivent être condamnés à rembourser les frais de l'expertise ordonnée par la commission interrégionale de conciliation et d'indemnisation Guadeloupe-Martinique, soit 1 165,86 euros, et à verser une pénalité légale de 15 % en application des dispositions de l'article 1142-15 du code de la santé publique.
Par des mémoires enregistrés les 15 octobre 2018 et 5 novembre 2018, le CHUM et la SHAM, représentés par Me C..., demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures, de rejeter la requête de l'ONIAM.
Les défendeurs, qui se sont désistés par un acte enregistré le 5 novembre 2018 de leurs conclusions d'appel incident, présentées dans leur mémoire en défense du 15 octobre 2018, soutiennent que le tribunal a fait une juste appréciation des préjudices et que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 1er mars 2019, prise sur le fondement de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, le président de la section du contentieux du Conseil d'État a attribué à la cour administrative d'appel de Paris le jugement du dossier d'appel enregistré à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de Mme Pena, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... D..., alors âgée de quarante-quatre ans, a été victime le 5 juillet 2004 d'une chute à son domicile. Elle a été conduite aux urgences du CHU de Martinique (CHUM), où une fracture sous-trochantérienne du fémur droit a été diagnostiquée. Le 16 juillet 2004 a été réalisée une ostéosynthèse par clou gamma, et la patiente a regagné son domicile fin juillet 2004. Malgré la poursuite des soins et de la rééducation, un raccourcissement de quatre centimètres et un cal vicieux du fémur, avec rotation externe du squelette de cuisse de quarante-cinq degrés, ont été constatés dans les mois qui ont suivi. En raison de ces séquelles, Mme D... n'a pas pu reprendre son travail de couturière.
2. Le 4 avril 2007, Mme D... a saisi la commission interrégionale de conciliation et d'indemnisation (CICI) Guadeloupe-Martinique d'une demande d'indemnisation. Au vu d'un rapport remis le 17 mars 2008, la CICI, par un avis rendu le 17 juin 2008, a estimé que le CHUM avait commis une faute médicale et que la victime devait être indemnisée à hauteur de 80 % de ses préjudices. La SHAM, assureur du CHUM, ayant refusé d'indemniser Mme D..., l'ONIAM s'y est substitué sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique et a indemnisé l'intéressée, puis ses ayants-droit après son décès intervenu le 17 juin 2009, à hauteur de la somme totale de 44 453,75 euros. Subrogé dans leurs droits, l'ONIAM a vainement demandé à la SHAM et au CHUM de lui rembourser les indemnités versées.
3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
4. Les articles L. 1142-4 à L. 1142-8 et R. 1142-13 à R. 1142-18 de ce code organisent une procédure de règlement amiable confiée aux commissions régionales de conciliation et d'indemnisation. En vertu des dispositions de l'article L. 1142-14, si la commission, saisie par la victime ou ses ayants-droit, estime que la responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé est engagée, l'assureur qui garantit la responsabilité civile de celui-ci adresse aux intéressés une offre d'indemnisation. En application de l'article L. 1142-15 du même code, si l'assureur refuse de présenter une offre, l'ONIAM lui est substitué et l'acceptation de son offre vaut alors transaction au sens de l'article 2044 du code civil. Dans cette hypothèse, la transaction est opposable à l'assureur.
5. Il incombe dès lors au juge, saisi d'une action de l'ONIAM subrogé, à l'issue d'une transaction, dans les droits d'une victime à concurrence des sommes qu'il lui a versées, de déterminer si la responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé est engagée et, dans l'affirmative, d'évaluer les préjudices subis afin de fixer le montant des indemnités dues à l'office. Lorsqu'il procède à cette évaluation, le juge n'est pas lié par le contenu de la transaction intervenue entre l'ONIAM et la victime.
6. Le 15 mars 2016, l'ONIAM a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner solidairement le CHUM et la SHAM à lui verser la somme de 44 453,75 euros, à prendre en charge les dépens et à lui verser la somme de 6 668,06 euros au titre de la pénalité prévue au cinquième alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique. Par jugement du 24 octobre 2017 dont l'ONIAM relève appel, le tribunal au vu notamment du rapport d'expertise remis à CICI Guadeloupe-Martinique et de l'avis de cette dernière émis le 17 juin 2008, a jugé que les séquelles présentées par Mme D... après l'ostéosynthèse qu'elle a subie le 16 juillet 2004 au sein du CHUM étaient la conséquence d'un mauvais positionnement de la vis de verrouillage diaphysaire lors de cette intervention et que ce geste avait constitué une faute médicale de nature à engager la responsabilité du CHUM à hauteur de 80% des préjudices subis, les 20% restant étant imputables à l'évolution prévisible de sa fracture du col du fémur chez une patiente qui présentait des antécédents d'ostéoporose. Le tribunal a condamné solidairement le CHUM et la SHAM à verser à l'ONIAM la somme de 17 965,86 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 février 2016, ainsi que la somme de 1 680 euros au titre de l'article
L. 1142-15 du code de la santé publique, et il a rejeté le surplus de la demande.
7. En cause d'appel, l'ONIAM conclut à la réformation du jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses demandes. Le CHUM et la SHAM, qui par un mémoire enregistré le 5 novembre 2018, se sont désistés de leur appel incident, doivent être regardés comme concluant, dans le dernier état de leurs écritures, au rejet de la requête et à la confirmation du jugement.
Sur les préjudices :
8. L'état de santé de Mme A... D... a été consolidé le 28 octobre 2005, à l'âge de quarante-cinq ans. Elle est décédée le 17 juin 2009.
S'agissant des préjudices patrimoniaux permanents :
Quant à l'assistance par tierce personne après consolidation :
9. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, mentionnant que l'état de santé de Mme D... impliquait l'aide de sa famille, de l'avis de la CICI Guadeloupe-Martinique et d'une note médicale produite par l'ONIAM que la victime a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne à hauteur de deux heures par jour jusqu'au jour de son décès, soit durant 1 328 jours. Alors même que l'office ne produit pas de factures, une telle aide pouvant être apportée par l'entourage de la victime, il est fondé à demander le remboursement de l'indemnité versée au titre de ce poste de préjudice, soit 25 995,77 euros après application du taux de perte de chance.
S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux temporaires :
Quant au déficit fonctionnel temporaire :
10. Il résulte de l'expertise que le déficit fonctionnel temporaire dont a été atteinte Mme D... a été total durant six mois, puis partiel à 50 % durant six mois. Cependant, les suites normales de l'opération d'ostéosynthèse qu'elle a subie pour traiter sa fracture du col du fémur auraient occasionné un déficit fonctionnel temporaire total de trois mois. Dans ces conditions, et sur une base mensuelle de 500 euros, il sera fait une juste appréciation du préjudice exclusivement lié à la faute du CHUM en l'évaluant à la somme totale de 3 000 euros. Après application du taux de perte de chance de 80 %, l'ONIAM est donc fondé à réclamer à ce titre le remboursement de la somme de 2 400 euros.
Quant aux souffrances endurées :
11. L'expert a évalué le préjudice subi à ce titre par Mme D... à 3 sur une échelle allant de 0 à 7, en raison d'une mise en traction, d'un décubitus prolongé, de la perfusion, des injections et de la rééducation. Il en sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 4 000 euros. Après application du taux de perte de chance de 80 %, l'ONIAM est donc fondé à réclamer à ce titre le remboursement de la somme de 3 200 euros.
S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux permanents :
Quant au préjudice d'agrément :
12. Il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal aurait fait une appréciation insuffisante de ce chef de préjudice en allouant à l'ONIAM, après application du taux de perte de chance, la somme de 1 600 euros. Par suite, la demande de l'ONIAM à ce titre doit être rejetée.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la somme totale que le CHUM et la SHAM ont été solidairement condamnés par le tribunal administratif de Martinique à verser à l'ONIAM doit être portée à 41 561,63 euros.
Sur les intérêts :
14. Il y a lieu d'accorder les intérêts au taux légal à l'ONIAM, sur la somme mentionnée à l'article 13 du présent arrêt, à compter du 15 février 2016, date de réception de sa demande préalable par le CHUM, et non dès le 8 juillet 2013 comme il le demande, faute pour lui d'apporter la preuve de la réception par la SHAM de sa demande de remboursement des sommes versées à Mme D... et ses ayants-droit.
Sur l'application des dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique :
15. Aux termes des dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15% de l'indemnité qu'il alloue. ". Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner solidairement le CHUM et la SHAM à verser à l'ONIAM une somme égale à 10 % de l'indemnité accordée au point 13 du présent arrêt, sur le fondement des dispositions précitées, soit 4 156,16 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire du CHUM et de la SHAM le versement de la somme de 2 000 euros à l'ONIAM au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Il est donné acte du désistement du CHUM et de la SHAM de leurs conclusions d'appel incident.
Article 2 : La somme que le CHUM et la SHAM ont été solidairement condamnés à verser à l'ONIAM par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de la Martinique du 24 octobre 2017 est portée à 41 561,63 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 février 2016.
Article 3 : La somme que le CHUM et la SHAM ont été solidairement condamnés à verser à l'ONIAM par l'article 2 du jugement du tribunal administratif de la Martinique du 24 octobre 2017 est portée à 4 156,16 euros.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 24 octobre 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le CHUM et la SHAM verseront solidairement à l'ONIAM la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), au centre hospitalier universitaire de Martinique (CHUM), à la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à la caisse générale de sécurité sociale de Martinique et à la société MAAF.
Délibéré après l'audience publique du 5 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Jayer, premier conseiller,
- Mme B..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 19 novembre 2019.
Le rapporteur,
G. B... Le président de la formation de jugement,
Ch. BERNIER
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 18PA20036