Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 15 octobre 2020 sous le numéro 20PA02959, le préfet de la Seine-Saint-Denis, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. F... D... devant le tribunal administratif de Montreuil.
Il soutient que :
- le tribunal, qui n'a pas visé le mémoire en défense, auquel était joint l'avis du collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration, reçu le 3 septembre 2019, après la clôture de l'instruction mais avant l'audience, a entaché son jugement d'irrégularité ;
- l'avis du collège des médecins du 5 avril 2019, dont le tribunal s'est abstenu de prendre connaissance, est complet et régulier ; c'est à tort que le tribunal, pour annuler l'arrêté, a retenu que la régularité de cet avis n'était pas établie ;
- la signataire de l'arrêté disposait d'une délégation de signature régulière ;
- l'arrêté est suffisamment motivé ;
- l'hémophilie peut être soignée en Algérie ;
- le refus de titre de séjour n'étant pas illégal, l'obligation de quitter le territoire n'est pas dépourvue de base légale ;
- le requérant ne justifie pas d'une vie privée et familiale en France ;
- son renvoi en Algérie ne l'exposerait pas à des traitements inhumains ou dégradants.
II. Par une requête, enregistrée le 12 novembre 2020 sous le numéro 20PA03346, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2001817 du 1er octobre 2020 du tribunal administratif de Montreuil.
Il soutient que les conditions fixées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont en l'espèce remplies.
Par une décision du 8 janvier 2021, le bureau de l'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris a accordé à M. D... l'aide juridictionnelle totale.
Par un mémoire, enregistré le 25 février 2021, M. F... D..., représenté par
Me A... B..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour, ou à défaut de réexaminer sa demande, dans le délai d'un mois sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1500 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le mémoire reçu le jour de l'audience a bien été visé ;
- le tribunal n'était pas tenu de rouvrir l'instruction, s'agissant de la production d'une pièce que détenait le préfet et qu'il avait tardé à produire en dépit des demandes du tribunal ;
- l'avis du collège des médecins produit par le préfet ne correspond pas exactement à celui dont il a eu connaissance par l'Office ;
- en l'absence de signatures sécurisées, il existe un doute sur sa validité, et sur la régularité de la procédure suivie ;
- l'arrêté n'est pas suffisamment motivé ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen personnalisé du dossier ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de faire usage de son pouvoir discrétionnaire de régularisation compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce tenant à son état de santé, à ses attaches familiales et à son parcours scolaire ;
- il ne pourra pas bénéficier en Algérie du suivi médical de qualité qu'appelle son état de santé alors qu'il est inclus en France dans un protocole de thérapie génique inexistant en Algérie ;
- le séjour de son frère, également hémophile, amputé de la jambe, a été régularisé ;
- le refus de titre de séjour porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ;
- son parcours scolaire ne lui a valu que des éloges ;
- l'obligation de quitter le territoire, fondée sur un refus de titre de séjour illégal, méconnait l'article L. 511-4-10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ;
- la décision fixant le pays de renvoi est fondée sur une obligation de quitter le territoire illégale et méconnait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- l'arrêté du 27 décembre2016, relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R.313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E...,
- et les observations de Me C... pour M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. F... D..., ressortissant algérien, est né le 17 octobre 2000. Entré en France le 29 aout 2017, il a déposé le 17 octobre 2018 une demande de certificat de résidence algérien pour un motif tiré de son état de santé auprès du préfet de la Seine-Saint-Denis. Par un arrêté du 7 janvier 2020, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant son pays de destination. Le préfet de la Seine-Saint-Denis relève appel du jugement du
1er octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté et demande qu'il soit sursis à son exécution.
2. Les requêtes nos 20PA03346 et 20PA02959 portant sur le même jugement et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur la requête 20PA02959 :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le préfet de la Seine-Saint-Denis a produit l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le 3 septembre 2020, soit postérieurement à la clôture de l'instruction. Ce mémoire de production est visé par le jugement attaqué, ce qui atteste que le tribunal en a pris connaissance. Par ailleurs, la production le jour même de l'audience de l'avis du collège des médecins du 5 avril 2019, qui avait été immédiatement transmis au préfet ainsi qu'en fait foi le bordereau de l'office, dont le requérant avait demandé la production le 11 février 2020 et le
23 juillet 2020, et que le tribunal avait jusque-là vainement réclamé par mesure d'instruction, ne constituait pas une circonstance de fait ou un élément de droit dont le préfet n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction. La production tardive de cette pièce étant exclusivement imputable aux lenteurs du défendeur, le tribunal n'était pas tenu d'en tenir compte et de rouvrir l'instruction. Le jugement attaqué n'est donc pas entaché d'irrégularité.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :
S'agissant du moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif et de la régularité de la procédure suivie par le collège des médecins :
4. L'existence d'un avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 5 avril 2019, transmis le jour même par le directeur de l'Office, est établie par les pièces du dossier. Il ressort de cet avis que le médecin qui a établi le rapport médical n'a pas siégé au sein du collège de médecins qui était composé des docteurs Pierrain, Audat et Douzon. Par ailleurs, il résulte de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 que l'avis est émis par le collège de médecins à l'issue d'une délibération pouvant prendre la forme soit d'une réunion, soit d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. La mention " Après en avoir délibéré, le collège des médecins de l'OFII émet l'avis suivant " figurant sur l'avis signé par les trois praticiens qui composent le collège fait foi jusqu'à preuve du contraire, laquelle n'est pas rapportée par M. D.... Il ne saurait se déduire, ni des menues différences qui existent entre le texte de l'avis transmis par le préfet et les captures d'écran de l'avis communiquées par l'Office français de l'immigration et de l'intégration au conseil de M. D..., ni de l'absence d'un protocole sécurisé de signatures électroniques, qu'il existerait un doute sérieux sur l'authenticité ou le sens de l'avis émis par le collège médical, ni qu'une irrégularité de procédure aurait privé M. D... d'une garantie. Dès lors, le préfet de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a retenu le moyen tiré du vice de procédure par annuler son arrêté du 7 janvier 2020.
5. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant la juridiction administrative.
S'agissant du moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation :
6. Il ressort des pièces du dossier que M. F... D... est affecté d'une hémophilie à très haut risque hémorragique dont les conséquences sont très invalidantes. En dépit de trois perfusions par semaine et de plusieurs essais de traitements différents, son état n'a pas connu d'amélioration ni même de stabilisation, et il est astreint à de fréquentes hospitalisations. S'il ressort des pièces du dossier que, de manière générale, le traitement de l'hémophilie peut être assuré en Algérie dans les centres médicaux de quelques grandes villes, aucun ne peut lui assurer la poursuite du protocole expérimental de thérapie génique (transfert du gêne F8) d'une durée de cinq ans pour lequel il a été retenu par l'hôpital Necker. Par ailleurs, il vit en France avec son père et son frère, tous deux en situation régulière, ce dernier également hémophile et amputé d'une jambe consécutivement à la dégradation des cartilages provoquée par le mal qui affecte sa famille. Ainsi, M. D... justifie d'attaches familiales fortes sur le territoire français. Enfin, en dépit d'un état de santé précaire et de fréquentes hospitalisations, le jeune F... D... s'est immédiatement investi dans ses études en classe de première, obtenu le baccalauréat avec mention et entamé avec succès des études supérieures de langues étrangères appliquées à l'université de Paris-Sorbonne. Les nombreuses attestations, notamment de ses professeurs, soulignent le sérieux et la volonté dont il fait preuve, ainsi que ses qualités de caractère et sa bonne intégration. Dès lors, dans les circonstances particulières de l'espèce, en refusant de régulariser son séjour, le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est manifestement mépris sur les conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par M. D..., que le préfet de la Seine-Saint-Denis n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté du
7 janvier 2020.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
8. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer à M. D... un certificat de résidence d'Algérien portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur la requête n° 20PA03346 :
9. Le présent arrêt statuant sur les conclusions de la requête du préfet de la Seine-Saint-Denis tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont privées d'objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, de mettre à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. D... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve que Me B... renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20PA03346 du préfet de la Seine-Saint-Denis.
Article 2 : La requête n°20PA02959 du préfet de la Seine-Saint-Denis est rejetée.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer à M. D... un certificat de résidence d'Algérien portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera au conseil de M. D..., Me B..., une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... D..., au ministre de l'intérieur, au préfet de la Seine-Saint-Denis et à Me A... B....
Délibéré après l'audience du 9 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- M. E..., président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Jayer, premier conseiller,
- Mme Mornet, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mars 2021.
L'assesseur le plus ancien,
M-D. JAYER Le président de la formation de jugement,
président-rapporteur,
Ch. E... Le rapporteur,
Ch. E...Le président,
M. E...
Le greffier,
A. DUCHER
Le greffier,
A. DUCHER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
5
N° 10PA03855
2
N° 20PA02959, 20PA03346