Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 décembre 2020, le préfet de police demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2018040 du 25 novembre 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de M. A... F... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le magistrat désigné a considéré que son arrêté était entaché d'une méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ordonné, au vu du motif d'annulation, la délivrance à l'intéressé d'une attestation de demande d'asile en procédure normale ;
- les autres moyens invoqués en première instance par M. A... F... ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à M. A... F... qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission ;
- le règlement (UE) n°603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... F..., ressortissant somalien né le 30 décembre 1993, a sollicité le
7 septembre 2020 son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du système " Eurodac " a révélé qu'il avait présenté une demande d'asile auprès des autorités finlandaises, les 13 mai 2015 et 10 décembre 2019, et auprès des autorités suédoises, le 11 février 2020.
Le 14 septembre 2020, le préfet de police a adressé à ces autorités une demande de reprise en charge de M. A... F... en application, respectivement, des dispositions du d) et du b) du 1° de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du
26 juin 2013. Le 18 septembre 2020, les autorités suédoises l'ont refusée. Le 17 septembre 2020, les autorités finlandaises l'ont en revanche acceptée, en application du c) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013. Par un arrêté du 20 octobre 2020, le préfet de police a décidé de leur remettre M. A... F.... Par un jugement du 25 novembre 2020 dont il est fait appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a admis M. A... F... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, a annulé l'arrêté contesté et a enjoint au préfet de police de délivrer à l'intéressé une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de dix jours à compter de la notification du jugement. Le préfet de police relève régulièrement appel de ce jugement.
Sur le motif d'annulation retenu par le magistrat désigné :
2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
3. Pour considérer que l'arrêté en litige méconnaissait les stipulations précitées, le premier juge s'est fondé sur les circonstances que la demande d'asile de M. A... F... avait été définitivement rejetée par une décision de l'office fédéral finlandais des migrations, que la situation actuelle dans le centre et le sud de la Somalie, région dont M. A... F... est originaire, devait être regardée, à la date de l'arrêté attaqué, comme une situation de violence aveugle d'intensité exceptionnelle et que les autorités finlandaises procédaient à des éloignements à destination de la Somalie de demandeurs d'asile dont la demande avait été rejetée définitivement, pour en déduire que la remise de l'intéressé à ces dernières aurait pour conséquence un renvoi en Somalie, où celui-ci s'exposerait à un risque réel de traitements inhumains ou dégradants. Toutefois, l'arrêté contesté a pour seul objet de renvoyer
M. A... F... en Finlande. Il n'implique pas, par lui-même, que l'intéressé soit automatiquement éloigné à destination de son pays d'origine. Par ailleurs, le système européen commun d'asile a été conçu de telle sorte qu'il est permis de supposer que l'ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux. Ainsi, il est présumé que la Finlande, Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, assure un traitement des demandeurs d'asile respectueux de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Cette présomption ne peut être renversée que s'il y a des raisons sérieuses de croire qu'il existe des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. A cet égard, M. A... F..., qui se borne à évoquer l'intensité continue et actuelle des attaques terroristes menées par des miliciens en Somalie, ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Finlande dans la procédure de traitement des demandes d'asile, ou que les autorités finlandaises ne traiteraient pas sa demande d'asile dans des conditions permettant le respect de l'ensemble des garanties exigées par le droit d'asile. En outre, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que M. A... F... ne pourrait pas faire valoir le cas échéant des éléments nouveaux pour solliciter des autorités finlandaises le réexamen de sa demande d'asile ni que ces autorités, alors même que la demande d'asile de l'intéressé aurait été définitivement rejetée, n'évalueraient pas, avant de procéder à un éventuel éloignement de ce dernier, les risques auxquels il serait exposé en cas de retour en Somalie.
4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a accueilli le moyen tiré de ce que l'arrêté méconnaitrait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler l'arrêté en litige.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... F... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur les autres moyens soulevés par M. A... F... :
6. En premier lieu, par arrêté n°2020-00799 du 1er octobre 2020, régulièrement publié au bulletin officiel de la ville de Paris du 10 mars 2020, le préfet de police a donné délégation à M. C... E..., attaché principal d'administration de l'Etat, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figure les arrêtés de transfert. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué doit être écarté.
7. En deuxième lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant d'un pays tiers qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision qui vise le règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 et mentionne les éléments de fait sur lesquels se fonde l'administration pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
8. L'arrêté prononçant le transfert de M. A... F... aux autorités finlandaises vise le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le règlement n° 1560/2003 portant modalité d'application du règlement n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable d'une demande d'asile ainsi que le règlement n° 603/2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales. Il relève le caractère irrégulier de l'entrée en France de M. A... F..., rappelle le déroulement de la procédure suivie lorsque l'intéressé s'est présenté devant les services de la préfecture de police et précise que la consultation du système Eurodac a révélé que celui-ci avait sollicité l'asile auprès des autorités suédoises le 11 février 2020 ainsi qu'auprès des autorités finlandaises le 13 mai 2015 et le 10 décembre 2019. Il précise également que ces dernières ont accepté, le 17 septembre 2020, de le reprendre en charge en application des dispositions du c) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 et qu'au regard des éléments de fait et de droit caractérisant sa situation, l'intéressé ne relève pas des dérogations prévues aux articles 3-2 ou 17 dudit règlement. Enfin, il ressort des mentions de l'arrêté attaqué que le préfet de police a examiné la situation de M. A... F... au regard des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a conclu à l'absence de risque personnel de nature à constituer une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsable de la demande d'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de transfert serait insuffisamment motivée doit être écarté. En outre, il ne résulte ni des termes de l'arrêté en litige ni des pièces du dossier que le préfet aurait entaché sa décision d'un défaut d'examen de la situation personnelle de l'intéressé.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) 604/2013 du
26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ". Il résulte de l'annexe X au règlement (CE) susvisé du 2 septembre 2003 que ladite brochure comprend une partie A intitulée " Informations sur le règlement de Dublin pour les demandeurs d'une protection internationale en vertu de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 " et une partie B intitulée " Procédure de Dublin - Informations pour les demandeurs d'une protection internationale dans le cadre d'une procédure de Dublin en vertu de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 ". En outre, en vertu de l'article L. 111-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lorsqu'un étranger fait l'objet d'une mesure de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et qu'il ne parle pas le français, il indique au début de la procédure une langue qu'il comprend. Il indique également s'il sait lire. Ces informations sont mentionnées sur la décision de non-admission, de maintien, de placement ou de transfert. Ces mentions font foi sauf preuve contraire.
10. Il ressort des pièces du dossier que M. A... F... s'est vu remettre
le 7 septembre 2020 l'ensemble des informations nécessaires au suivi de sa demande et à l'engagement de la procédure de transfert, et tout particulièrement, la brochure d'information sur le règlement " Dublin III " contenant une information générale sur la demande d'asile et le relevé d'empreintes (brochure A), la brochure d'information pour les demandeurs d'asile dans le cadre de la procédure " Dublin III " (brochure B), la brochure d'information, rédigée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés relative à la base de données " Eurodac ", ainsi que le guide du demandeur d'asile, rédigés en langues anglaise et somali, langues que l'intéressé avait préalablement déclaré comprendre. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que M. A... F... n'aurait pas reçu, dans une langue qu'il comprend, les éléments d'information requis par les dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) . 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".
12. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment du compte-rendu signé par l'intéressé, que M. A... F... a été reçu à la préfecture de police le
7 septembre 2020. Il était assisté d'un interprète en langue somali lors de l'entretien individuel ainsi que lors de la notification de l'arrêté attaqué. L'entretien a été mené par agent de la préfecture, soit une personne qualifiée au sens de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du
26 juin 2013 et il ressort de son résumé que l'intéressé, qui n'a fait état d'aucune difficulté dans la compréhension de la procédure mise en oeuvre à son encontre et qui était assisté, ainsi qu'il a été dit, d'un interprète assermenté en langue somali, a pu faire valoir à cette occasion toutes observations utiles. Par ailleurs, l'article 5 de ce règlement n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent qui l'a mené et ce résumé, qui, selon l'article, peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. Par suite, la circonstance que la qualification ainsi que la qualité et l'identité de l'agent ayant mené l'entretien n'apparaissent pas sur le résumé de l'entretien individuel mené avec M. A... F... est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit en conséquence être écarté.
13. En dernier lieu, comme dit précédemment, il ne ressort pas des pièces du dossier que la demande d'asile de M. A... F... ne serait pas traitée par les autorités finlandaises dans des conditions permettant la mise en oeuvre des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Dans ces conditions, le requérant, qui ne fait état d'aucune circonstances particulières susceptibles de faire obstacle à son transfert vers la Finlande, n'est pas fondé à soutenir que le préfet de police aurait dû faire usage de la faculté laissée à chaque État, en vertu de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et décider de faire examiner par la France sa demande de protection internationale, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement. Pour les mêmes motifs, la décision en litige n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 20 octobre 2020, lui a enjoint de délivrer à M. A... F... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros au titre des frais d'instance. Il y a lieu, par suite, d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement attaqué et de rejeter les conclusions à fins d'annulation, d'injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par M. A... F... devant le tribunal.
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2018040 du 25 novembre 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les conclusions à fins d'annulation, d'injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par M. A... F... devant le tribunal administratif de Paris sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. G... A... F...
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience publique du 9 mars 2021 à laquelle siégeaient :
- M. D..., président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme B..., premier conseiller,
- Mme Mornet, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mars 2021.
Le rapporteur,
M-D. B...Le président de la formation de jugement,
M. D...
Le greffier,
A. DUCHER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
1
N° 08PA04258
2
N° 20PA04140