Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 juin 2017 et 4 octobre 2018, la société USP Nettoyage, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1602609/3-3 du 4 avril 2017 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social née le 28 mai 2015 ;
2°) de rejeter les demandes présentées devant le tribunal par la société La Brenne ;
3°) de mettre à la charge de la société La Brenne la somme de 4 000 euros à lui verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la société La Brenne n'a aucun intérêt à agir ;
- les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail ne s'appliquent pas à la reprise du marché Masséna par ce que l'entité économique affectée à ce marché ne poursuivrait aucun objectif propre et ne présenterait pas de caractère d'autonomie et parce qu'elle n'aurait repris aucun élément corporel ou incorporel à la société La Brenne de sorte que ladite entité économique n'aurait pas conservé son identité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 octobre 2017, la société La Brenne, représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 500 euros soit mise à la charge de la société USP Nettoyage au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par la société USP Nettoyage n'est fondé.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code du travail
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, modifiée, relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
- la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pena,
- les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la société USP Nettoyage.
1. Considérant que la société USP Nettoyage a repris un marché de nettoyage de matériel roulant et d'opérations de literie pour le compte de la SNCF à compter du
1er novembre 2013 ; que le précédent prestataire du marché était la société La Brenne ; que cette activité mobilisait 190 salariés dont 63 salariés protégés regroupés au sein d'un établissement secondaire, l'agence Masséna ; que, par un courrier du 11 octobre 2013, la société La Brenne a sollicité l'avis de l'inspectrice du travail s'agissant des dispositions normatives à appliquer pour le transfert des salariés protégés et sur lesquelles elle était en désaccord avec la société USP Nettoyage, cette dernière soutenant que seules les dispositions de l'article 15 ter de la convention collective de la manutention ferroviaire étaient applicables, lorsque la société La Brenne soutient que ce sont celles de l'article L. 1224-1 du code du travail qui le sont ; que l'inspectrice du travail s'est déclarée incompétente pour trancher un litige entre un cédant et un repreneur ; qu'une tentative de conciliation a eu lieu le 31 octobre 2013 ; que, se retenant saisie par un courrier de la société La Brenne du 22 octobre 2013, d'une demande d'autorisation de transfert des contrats de travail des salariés protégés, l'inspecteur du travail a finalement statué sur cette demande le 25 novembre 2013 en faisant application de l'article 15 ter de la convention ; qu'elle a ainsi autorisé le transfert du contrat de travail de 62 salariés protégés affectés à l'agence Masséna, sans autoriser celui du contrat de M.C..., cadre de l'agence ; que, par courrier du 6 décembre 2013, la société La Brenne a manifesté son désaccord à l'inspectrice qui a répondu par un courrier du 11 décembre, reçu le 13 décembre 2013, en lui indiquant qu'il lui appartenait de tirer les conséquences de cette décision, par conséquent de proposer à M. C...un poste de reclassement au sein de sa propre société et, dans l'attente, de lui verser sa rémunération ; que, par un courrier du 27 janvier 2014, la société La Brenne a formé un recours hiérarchique devant le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social tendant à l'annulation des décisions précitées des 25 novembre et 11 décembre 2013 ; que, le ministre a implicitement rejeté ce recours par une décision née le 28 mai 2014 ; que la société USP Nettoyage relève appel du jugement du 4 avril 2017 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social de rejet née le 28 mai 2014, ensemble celle du 11 décembre 2013 de l'inspectrice du travail rejetant le recours gracieux ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail : " Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. " ; qu'aux termes de l'article L. 2414-1 de ce code : " Le transfert d'un salarié compris dans un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement par application de l'article
L. 1224-1 ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail lorsqu'il est investi de l'un des mandats suivants : (...) 7° Représentant du personnel ou ancien représentant au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (...) " ; qu'aux termes du 1er alinéa de l'article L. 2421-9 du même code : " Lorsque l'inspecteur du travail est saisi d'une demande d'autorisation de transfert, en application de l'article L. 2414-1, à l'occasion d'un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement, il s'assure que le salarié ne fait pas l'objet d'une mesure discriminatoire " ; qu'aux termes de l'article 15 ter de la convention collective de la manutention ferroviaire : " Au cas où, suite à la cessation d'un contrat commercial ou d'un marché public, en tout ou partie, et ce quel que soit le donneur d'ordre, une activité entrant dans le champ d'application de la présente convention collective serait attribuée à un titulaire distinct du titulaire antérieur, la continuité des contrats de travail existants au dernier jour du contrat commercial ou du marché précédent, des salariés non cadres du premier employeur affectés à ladite activité depuis au moins six mois, sera assurée chez l'employeur entrant. " ;
3. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés protégés bénéficient d'une protection exceptionnelle instituée dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, afin d'éviter que ces salariés ne fassent l'objet de mesures discriminatoires dans le cadre d'une procédure de licenciement ou d'un transfert partiel d'entreprise ; que, dans ce dernier cas, il appartient à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de transfert sur le fondement de l'article L. 2414-1 du code du travail, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier que sont remplies les conditions prévues à l'article L. 1224-1 du code du travail ; que cette dernière disposition, interprétée à la lumière de la directive
n° 2001/23/CE du 12 mars 2001 susvisée, ne s'applique qu'en cas de transfert par un employeur à un autre employeur d'une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise par le nouvel employeur ; que constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif économique propre ; que le transfert d'une telle entité ne s'opère que si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité sont repris, directement ou indirectement, par un autre exploitant ; qu'il incombe, d'autre part, à l'autorité administrative de s'assurer que le transfert envisagé est dépourvu de lien avec le mandat ou l'appartenance syndicale du salarié transféré et que, ce faisant, celui-ci ne fait pas l'objet d'une mesure discriminatoire ;
4. Considérant que, pour annuler la décision contestée du ministre du travail confirmant l'autorisation de transférer uniquement 62 des 63 salariés de la société La Brenne, le tribunal a considéré que l'article 15 ter de la convention collective de la manutention ferroviaire ne pouvait s'appliquer à la reprise de l'établissement Masséna par la société USP Nettoyage qui répondait, à l'inverse, à un transfert au sens de l'article L. 1224-1 du code du travail précité impliquant un transfert de l'ensemble des salariés, cadres y compris ;
5. Considérant toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier que, quand bien même l'agence Masséna est dotée d'un comité d'établissement, de délégués du personnel et d'un comité d'hygiène et de sécurité des conditions de travail, qu'elle possède une autonomie fonctionnelle caractérisée par une liberté de gestion et des salariés spécifiquement affectés à l'activité de nettoyage de matériel roulant, elle ne saurait pour autant être regardée comme exerçant une activité spécifique ; que l'activité " nettoyage de matériels roulants ", également assurée par l'agence de Lille, n'apparaît pas, de fait, radicalement distincte d'une activité de nettoyage de locaux mais plutôt comme un simple démembrement de l'ensemble de l'activité de nettoyage de la société La Brenne ; qu'il n'est pas davantage établi que le personnel bénéficierait d'une qualification spécifique ; que si la société La Brenne fait valoir que les locaux et que les fournitures et outillages, notamment l'ensemble des produits de nettoyage ainsi que des machines à laver automatiquement l'extérieur des trains, ont été transférés, il ressort des pièces du dossier que la société USP nettoyage a eu à acheter pour 550 000 euros de matériels neufs et adaptés à ses méthodes de travail et que les locaux en question sont simplement mis à la disposition de la SNCF sans transfert de bail ; que, dans ces conditions, la société USP nettoyage ne saurait être regardée comme ayant repris, directement ou indirectement, des éléments tant corporels qu'incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation ; que, par suite, cette dernière est fondée à soutenir que les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail ne sont pas applicables à cette reprise de marché, l'entité économique reprise n'étant pas autonome au sein de la société La Brenne, tout comme elle ne l'est pas au sein d'elle-même ; que le transfert devant être regardé comme s'étant opéré sous l'empire des stipulations de l'article 15 ter de la convention collective de la manutention ferroviaire, il ne pouvait inclure M.C..., salarié cadre de la société ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 28 mai 2014 rejetant la demande de la société Le Brenne tendant à l'annulation de la décision du 25 novembre 2013 de l'inspectrice du travail autorisant le transfert des contrats de 62 des 63 salariés protégés et celle de l'inspectrice du travail du 11 décembre 2013 rejetant son recours gracieux ; qu'il y a lieu, par suite, d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par la société La Brenne devant le tribunal, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées à la demande de première instance ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société USP nettoyage, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société La Brenne demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société La Brenne une somme de 1 000 euros à verser à la société USP nettoyage au titre de ces mêmes frais ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 4 avril 2017 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société La Brenne devant le Tribunal administratif de Paris, ainsi que ses conclusions présentées devant la Cour au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : La société La Brenne versera à la société USP Nettoyage une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société USP Nettoyage, à la société La Brenne et au ministre du travail.
Copie en sera transmise au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 9 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Bernier, président assesseur,
- Mme Pena, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 24 octobre 2018.
Le rapporteur,
E. PENALe président,
M. BOULEAU
Le greffier,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre du travail en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 17PA01893