Par un jugement n° 1715677/2-1 du 1er décembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société Au Forum du Bâtiment tendant à l'annulation de la décision du 20 février 2018.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 2 décembre 2020 sous le n° 20PA03721, la société Au Forum du Bâtiment, représentée par Me de Combles de Nayves, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 1er décembre 2020 ;
2°) à titre principal, d'annuler la décision du ministre de l'économie et des finances du 20 février 2018 ;
3°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de la sanction ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du 20 février 2018 est entachée d'incompétence ;
- les décisions de la DIRECCTE du 18 avril 2017 et du ministre de l'économie du 20 février 2018 ne sont pas suffisamment motivées ;
- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors que le principe du contradictoire n'a pas été respecté ; elle n'a en effet pas eu accès à un fichier communiqué par l'administration, dont les formules de calcul étaient protégées par un mot de passe ;
- l'administration ne pouvait légalement procéder à des auditions sur le fondement de l'article L. 450-3 du code de commerce ; le procès-verbal du 5 février 2016, qui établit la réalisation d'auditions, est donc irrégulier ;
- la décision attaquée est entachée d'un autre vice de procédure en ce qu'elle n'a pas été informée qu'elle pouvait se faire assister par un avocat au cours de l'enquête menée par la DIRECCTE, en méconnaissance de l'article 6§3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; ces stipulations sont applicables à la sanction qui lui a été infligée dès lors que cette dernière est de nature répressive ; en outre, ses employés présents lors des visites de la DIRECCTE n'ont pas été informés de leur droit de garder le silence ;
- la sanction prononcée ayant le caractère d'une punition, son infliction doit respecter les exigences constitutionnelles de légalité des délits et des peines, de droits de la défense et de nécessité des délits et des peines ; or, la sanction prononcée est imprévisible, faute de " barèmes identiques " ; elle méconnaît donc les stipulations de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette sanction ne respecte pas les principes du droit pénal constitutionnel répressif dès lors que la DIRECCTE n'a pas recherché l'existence d'un élément intentionnel aux manquements qu'elle a soulignés ; la sanction a été infligée en violation de la présomption d'innocence et des règles probatoires, l'administration ayant inversé la charge de la preuve ;
- la méthode d'analyse informatique des données utilisée par la DIRECCTE, sans examen réel des factures, n'est pas conforme aux règles du droit au procès équitable, à l'exercice des droits de la défense et aux règles qui entourent le prononcé d'une sanction de nature punitive ; le fichier informatique sur lequel est fondée la sanction n'a aucune valeur probante, est peu fiable, comprenant des éléments erronés, et a été arbitrairement examiné ;
- la sanction litigieuse repose sur des erreurs de fait causées par les abstractions comptables de la DIRECCTE, qui ne rendent pas compte des délais réels de paiement des fournisseurs ; l'administration a également fondé la sanction sur des erreurs factuelles et méthodologiques, faute de distinction entre la date des factures, la date de leur émission et la date de leur réception, en méconnaissance de l'article 3 de la directive 2000/35/CE du 29 juin 2000 ; enfin, la DIRECCTE a à tort calculé des avantages de trésorerie sur des montants négatifs, pris en compte des doublons ou des erreurs de comptabilisation, et négligé les retards de paiement liés à des litiges ;
- la sanction est économiquement injustifiée, dès lors qu'elle ne dispose d'aucune position avantageuse à l'égard de ses fournisseurs, qui sont constitués de groupes plus importants qu'elle ; les faits qui lui sont reprochés n'ont causé aucun dommage à l'économie ou à ses fournisseurs, dont aucun n'a fait faillite du fait de ses retards de paiement ;
- la sanction doit être annulée en raison de sa politique d'investissements importants, de la création ou de la sauvegarde de nombreux emplois, et de la faible taille de l'entreprise ;
- à titre subsidiaire, le montant de la sanction doit être réduit, car il a été arbitrairement fixé, il est disproportionné et est de nature à mettre en péril son activité et les emplois créés ; la sanction prononcée correspond ainsi à 61 % du maximum légal encouru et représente 16 % de son résultat 2015 et 18 % de son résultat 2016 ; la sanction n'a pas été individualisée, alors qu'elle n'avait jamais subi ni contrôle, ni injonction, ni avertissement ; elle a été sanctionnée bien plus sévèrement que d'autres entreprises, et sa situation financière n'a pas été prise en compte.
Par un mémoire distinct enregistré le 3 décembre 2020, la société Au Forum du Bâtiment, représentée par Me de Combles de Nayves, demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance de refus de transmission du 16 avril 2018 ;
2°) de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 9e alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce.
Elle soutient que :
- l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité dès lors que la présidente de la 2e section du tribunal administratif de Paris a méconnu son office, se comportant comme juge de la Constitution en " écartant " des moyens, et s'attribuant des compétences réservées au Conseil d'État en affirmant que la question n'était pas " nouvelle " ;
- la question qu'elle soulève porte sur des dispositions applicables au litige ;
- ces dispositions, dans leur rédaction applicable au litige, n'ont jamais été soumises au Conseil constitutionnel, s'agissant notamment de la prise en compte de la date d'émission de la facture comme point de départ de la computation du délai de paiement ;
- la question de la conformité de ces dispositions aux articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi qu'à l'article 34 de la Constitution, n'est pas dépourvue de sérieux, dès lors que la fixation du point de départ de la computation des délais de paiement à la date d'émission de la facture méconnaît le principe de la responsabilité pénale personnelle, le principe de la présomption d'innocence et le principe de la légalité des délits ; la notion de " date d'émission de la facture " n'est pas définie de façon claire et précise par l'article L. 441-6 du code de commerce ; l'article 242 nonies A de l'annexe II du code général de impôts ne saurait pallier cette lacune dès lors qu'il est de nature réglementaire et n'est pas applicable aux dispositions du code de commerce relatives aux délais de paiement ; la prise en compte de la date d'émission de la facture conduit à faire supporter à l'entreprise des manquements dont elle n'est pas responsable.
Par un mémoire distinct enregistré le 3 décembre 2020, la société Au Forum du Bâtiment, représentée par Me de Combles de Nayves, demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance de refus de transmission du 16 avril 2018 ;
2°) de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du VI de l'article L. 441-6 du code de commerce.
Elle soutient que :
- l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité dès lors que la présidente de la 2e section du tribunal administratif de Paris a méconnu son office, se comportant comme juge de la Constitution en " écartant " des moyens, et s'attribuant des compétences réservées au Conseil d'État en affirmant que la question n'était pas " nouvelle " ;
- la question qu'elle soulève porte sur des dispositions applicables au litige ;
- des changements de circonstances de fait et de droit sont intervenus depuis la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-690-DC du 13 mars 2014 déclarant la loi n° 2014-334 du 17 mars 2014 conforme à la Constitution ; en effet, alors que le Conseil constitutionnel s'est prononcé a priori sur le nouvel article L. 441-6 VI du code de commerce, instaurant une sanction administrative en lieu et place de la sanction pénale antérieurement prévue en cas de non-respect des délais de paiement, la mise en œuvre des sanctions depuis sa décision, ainsi que l'évolution de la jurisprudence ont constitué des changements de circonstances ;
- les conditions de mise en œuvre dans lesquelles la DIRECCTE exerce ses nouvelles prérogatives sont de nature à remettre en cause le respect des principes constitutionnels de légalité des délits et des peines et des droits de la défense ;
- le principe de légalité des peines implique désormais, pour que la sanction soit suffisamment prévisible, que la loi fixe les critères légaux de détermination de celle-ci par l'autorité répressive ; aucune note de cadrage ne permet en outre d'assurer la cohérence du dispositif en cause à l'échelle du territoire national, ce qui laisse place à l'arbitraire ;
- constituent un changement de circonstances de droit les évolutions jurisprudentielles tendant à la limitation de l'arbitraire et à l'individualisation des peines en matière de sanctions ; en matière de sanction administrative, tant la Commission européenne que les autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes déterminent désormais des critères légaux pour motiver les sanctions qu'elles infligent ;
- la question de la conformité des dispositions litigieuses aux articles 6, 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi qu'à l'article 34 de la Constitution, n'est pas dépourvue de sérieux, dès lors que la loi ne fixe aucun critère susceptible d'être pris en compte par l'administration dans la détermination de la sanction, en méconnaissance des principes de nécessité, de légalité et d'individualisation de la peine, au droit à une procédure juste et équitable et aux droits de la défense, enfin à l'égalité devant la loi et devant la justice.
Par un mémoire enregistré le 22 juin 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
La clôture de l'instruction est intervenue le 22 juillet 2021.
II. Par une requête et un mémoire enregistrés les 2 décembre 2020 et 2 mars 2021 sous le n° 20PA03722, la société Au Forum du Bâtiment, représentée par Me de Combles de Nayves, demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du 16 avril 2018 de la présidente de la 2ème section du tribunal administratif de Paris ;
2°) de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 9e alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce.
Elle soutient que :
- l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité dès lors que la présidente de la 2e section du tribunal administratif de Paris a méconnu son office, se comportant comme juge de la Constitution en " écartant " des moyens, et s'attribuant des compétences réservées au Conseil d'État en affirmant que la question n'était pas " nouvelle " ;
- la question qu'elle soulève porte sur des dispositions applicables au litige ;
- ces dispositions, dans leur rédaction applicable au litige, n'ont jamais été soumises au Conseil constitutionnel, s'agissant notamment de la prise en compte de la date d'émission de la facture comme point de départ de la computation du délai de paiement ;
- la question de la conformité de ces dispositions aux articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi qu'à l'article 34 de la Constitution, n'est pas dépourvue de sérieux, dès lors que la fixation du point de départ de la computation des délais de paiement à la date d'émission de la facture méconnaît le principe de la responsabilité pénale personnelle, le principe de la présomption d'innocence et le principe de la légalité des délits ; la notion de " date d'émission de la facture " n'est pas définie de façon claire et précise par l'article L. 441-6 du code de commerce ; l'article 242 nonies A de l'annexe II du code général de impôts ne saurait pallier cette lacune dès lors qu'il est de nature réglementaire et n'est pas applicable aux dispositions du code de commerce relatives aux délais de paiement ; la prise en compte de la date d'émission de la facture conduit à faire supporter à l'entreprise des manquements dont elle n'est pas responsable.
Par un mémoire enregistré le 1er février 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas suffisamment sérieux.
Vu les autres pièces du dossier.
La clôture de l'instruction est intervenue le 25 juin 2021.
III. Par une requête enregistrée le 2 décembre 2020 sous le n° 20PA03723, la société Au Forum du Bâtiment, représentée par Me de Combles de Nayves, demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du 16 avril 2018 de la présidente de la 2e section du tribunal administratif de Paris ;
2°) de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du VI de l'article L. 441-6 du code de commerce.
Elle soutient que :
- l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité dès lors que la présidente de la 2e section du tribunal administratif de Paris a méconnu son office, se comportant comme juge de la Constitution en " écartant " des moyens, et s'attribuant des compétences réservées au Conseil d'État en affirmant que la question n'était pas " nouvelle " ;
- la question qu'elle soulève porte sur des dispositions applicables au litige ;
- des changements de circonstances de fait et de droit sont intervenus depuis la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-690-DC du 13 mars 2014 déclarant la loi n° 2014-334 du 17 mars 2014 conforme à la Constitution ; en effet, alors que le Conseil constitutionnel s'est prononcé a priori sur le nouvel article L. 441-6 VI du code de commerce, instaurant une sanction administrative en lieu et place de la sanction pénale antérieurement prévue en cas de non-respect des délais de paiement, la mise en œuvre des sanctions depuis sa décision, ainsi que l'évolution de la jurisprudence ont constitué des changements de circonstances ;
- les conditions de mise en œuvre dans lesquelles la DIRECCTE exerce ses nouvelles prérogatives sont de nature à remettre en cause le respect des principes constitutionnels de légalité des délits et des peines et des droits de la défense ;
- le principe de légalité des peines implique désormais, pour que la sanction soit suffisamment prévisible, que la loi fixe les critères légaux de détermination de celle-ci par l'autorité répressive ; aucune note de cadrage ne permet en outre d'assurer la cohérence du dispositif en cause à l'échelle du territoire national, ce qui laisse place à l'arbitraire ;
- constituent un changement de circonstances de droit les évolutions jurisprudentielles tendant à la limitation de l'arbitraire et à l'individualisation des peines en matière de sanctions ; en matière de sanction administrative, tant la Commission européenne que les autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes déterminent désormais des critères légaux pour motiver les sanctions qu'elles infligent ;
- la question de la conformité des dispositions litigieuses aux articles 6, 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi qu'à l'article 34 de la Constitution, n'est pas dépourvue de sérieux, dès lors que la loi ne fixe aucun critère susceptible d'être pris en compte par l'administration dans la détermination de la sanction, en méconnaissance des principes de nécessité, de légalité et d'individualisation de la peine, au droit à une procédure juste et équitable et aux droits de la défense, enfin à l'égalité devant la loi et devant la justice.
Par un mémoire enregistré le 1er février 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il renvoie aux observations produites en première instance par le préfet de la région d'Île-de-France.
Vu les autres pièces du dossier.
La clôture de l'instruction est intervenue le 25 juin 2021.
Vu :
- la Constitution,
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958,
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- le code civil,
- le code de procédure pénale,
- le code de commerce,
- le code des relations entre le public et l'administration,
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique,
- les observations de Me de Combles de Nayves, représentant la société Au Forum du Bâtiment,
- et les observations de Mme C..., représentant le ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Une note en délibéré a été enregistrée le 27 janvier 2022 pour la société Au Forum du Bâtiment.
Considérant ce qui suit :
1. La société Au Forum du Bâtiment, qui exerce une activité de distribution de matériels divers de quincaillerie, plomberie, sanitaire, chauffage, électricité, à destination essentiellement des professionnels du bâtiment, a été informée par un courrier du 9 décembre 2015 de la DIRECCTE d'Île-de-France de l'ouverture d'une procédure de contrôle portant sur les délais de paiement de ses fournisseurs. La société requérante a transmis les pièces sollicitées par l'administration par courrier du 12 janvier 2016, et des agents de la DIRECCTE se sont rendus sur place le 4 février 2016. Le 9 janvier 2017, les services de la DIRECCTE lui ont adressé le procès-verbal établi à la suite du contrôle, faisant état de manquements aux dispositions du 9e alinéa de l'article 441-6 I du code de commerce relatif aux délais de paiement, l'informant de l'intention de l'administration de lui infliger une sanction administrative, et l'invitant à formuler ses observations dans le délai de soixante jours. La société Au Forum du Bâtiment a transmis ses observations par courrier du 1er mars 2017. Par une décision du 18 avril 2017, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France a prononcé à son encontre une amende administrative de 240 000 euros ; elle a également décidé la publication de la sanction. Par courrier du 13 juin 2017, la société Au Forum du Bâtiment a formé un recours hiérarchique auprès du ministre de l'économie qui, par une décision du 20 février 2018, a réduit le montant de l'amende à 190 000 euros, a décidé de mettre un terme à la publication du communiqué de sanction sur le site internet de la DIRECCTE et a renoncé à demander la même publication sur le site internet de la société. La société Au Forum du Bâtiment demande à la cour d'annuler le jugement du 1er décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 20 février 2018, et d'annuler les deux ordonnances du 16 avril 2018 par lesquelles ont été rejetées ses demandes tendant à la transmission au Conseil d'État de deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur les dispositions du 9ème alinéa du I et sur celles du VI de l'article L. 441-6 du code de commerce.
Sur la jonction :
2. Les requêtes enregistrées sous les nos 20PA03721, 20PA03722 et 20PA03723, présentées par la société Au Forum du Bâtiment, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune ; il y a lieu par suite de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur les questions prioritaires de constitutionnalité :
En ce qui concerne la régularité des ordonnances du 16 avril 2018 rejetant les demandes de transmission au Conseil d'État :
3. Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, auquel renvoie l'article LO 771-1 du code de justice administrative : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : /1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. (...) ". Et aux termes de l'article 23-4 de la même ordonnance, auquel renvoie l'article LO 771-2 du code de justice administrative : " Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la transmission prévue à l'article 23-2 ou au dernier alinéa de l'article 23-1, le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation se prononce sur le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il est procédé à ce renvoi dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l'article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. ".
4. La société requérante soutient que le premier juge a méconnu son office en rejetant ses demandes de transmission pour des motifs que seuls le juge constitutionnel et le Conseil d'État pouvaient lui opposer. Toutefois, les seules circonstances que les ordonnances attaquées indiquent que les moyens soulevés par l'intéressée sont " écartés " et que les questions posées ne sont pas " nouvelles ", pour en déduire l'absence de caractère sérieux des questions prioritaires de constitutionnalité examinées, ne suffisent pas, nonobstant la maladresse rédactionnelle qu'elles traduisent, à regarder le premier juge comme ayant exercé à tort l'office du juge constitutionnel ou celui du Conseil d'État. Il ne ressort pas en effet des termes des ordonnances du 16 avril 2018 que le tribunal se serait prononcé dans son dispositif, sur la conformité ou non des dispositions en cause à la Constitution, ni qu'il aurait procédé à un examen excédant les exigences qui lui sont dévolues par les 1°, 2° et 3° de l'article 23-2 précité de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.
En ce qui concerne le bien-fondé des ordonnances de refus de transmission :
5. Aux termes de l'article L. 441-6 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " I. - Tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur est tenu de communiquer ses conditions générales de vente à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle. Elles comprennent : / - les conditions de vente ; - le barème des prix unitaires ; - les réductions de prix ; - les conditions de règlement. (...) ". Le 9e alinéa du I de cet article dispose : " Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le délai convenu entre les parties ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture. ". Enfin, aux termes du VI du même article : " Sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième, onzième et dernier alinéas du I du présent article, le fait de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les mentions figurant à la première phrase du douzième alinéa du même I, le fait de fixer un taux ou des conditions d'exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes à ce même alinéa ainsi que le fait de ne pas respecter les modalités de computation des délais de paiement convenues entre les parties conformément au neuvième alinéa dudit I. L'amende est prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 465-2. (...) ".
6. En premier lieu, la société Au Forum du Bâtiment soutient que les dispositions précitées du 9e alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, en ce qu'elles fixent comme point de départ de la computation des délais de paiement la date d'émission de la facture, portent atteinte au principe de personnalité des peines, au principe de présomption d'innocence et au principe de légalité des délits, principes protégés par les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par l'article 34 de la Constitution.
7. Appliquée en dehors du droit pénal, l'exigence d'une définition des infractions sanctionnées se trouve satisfaite, en matière administrative, dès lors que les textes applicables font référence aux obligations auxquelles les intéressés sont soumis en raison de l'activité qu'ils exercent, de la profession à laquelle ils appartiennent, de l'institution dont ils relèvent ou de la qualité qu'ils revêtent. En l'espèce, les dispositions litigieuses imposent des obligations de respect des délais de paiement légaux aux professionnels en raison de leur qualité d'acheteur, de producteur, de prestataire de services, de grossiste ou d'importateur. Elles mentionnent précisément le délai de paiement applicable et font référence à la notion de " date d'émission de la facture " comme point de départ de ce délai. Cette notion, qui correspond à la date apposée sur la facture en application du 6° du I de l'article 242 nonies A de l'annexe II du code général des impôts, renvoie à une notion bien établie, claire, juridiquement définie et intelligible pour les professionnels auxquels elle s'adresse et ne saurait être confondue, notamment, avec la date de réception. Par ailleurs, l'article 289-I-3 du code général des impôts prévoit que la facture est, en principe, émise dès la réalisation de la livraison ou de la prestation de services, et l'article L. 441-3 du code de commerce, qui précise les mentions obligatoires devant figurer sur la facture, dispose que le vendeur est tenu de la délivrer dès la réalisation de la vente ou la prestation du service et que l'acheteur doit la réclamer. L'article L. 441-6 du code de commerce renvoie enfin aux dispositions du même code prévoyant une procédure contradictoire préalable à l'infliction d'une amende administrative, permettant à la personne physique ou morale à laquelle des manquements sont reprochés d'invoquer le fait du tiers pour dégager ou réduire sa responsabilité. Par suite, la société Au Forum du Bâtiment n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le premier juge a estimé que la première question de constitutionnalité qu'elle a soulevée était dépourvue de caractère sérieux et qu'il n'y avait dès lors pas lieu de la transmettre au Conseil d'État.
8. En second lieu, la société Au Forum du Bâtiment soutient que les dispositions précitées du VI de l'article L. 441-6 du code de commerce méconnaissent les articles 6, 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi que l'article 34 de la Constitution, dès lors que la loi ne fixe aucun critère susceptible d'être pris en compte par l'administration dans la détermination de la sanction infligée, en méconnaissance des principes de nécessité, de légalité et d'individualisation de la peine, du droit à une procédure juste et équitable et des droits de la défense, enfin de l'égalité devant la loi et devant la justice.
9. Toutefois, par une décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014, le Conseil constitutionnel, saisi de la constitutionnalité de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, a déclaré que les dispositions portant sur la procédure d'établissement de sanctions administratives étaient conformes à la Constitution. Il a ainsi indiqué au point 69 de sa décision " (...) que, conformément au principe du respect des droits de la défense, dans chaque cas, l'injonction adressée au professionnel de se conformer à ses obligations ou de cesser tout comportement illicite survient après une procédure contradictoire ; que l'administration, avant de prononcer une sanction, informe le professionnel mis en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu'il peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix ; que l'administration doit également inviter le professionnel dans un délai de soixante jours à présenter ses observations écrites et le cas échéant ses observations orales ; qu'au terme du délai, l'autorité administrative peut prononcer l'amende par une décision motivée ; qu'il appartiendra au juge administratif, compétent pour connaître du contentieux de ces sanctions administratives, de veiller au respect de la procédure prévue par le législateur ; qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur n'a pas méconnu les exigences constitutionnelles précitées ; ". S'agissant de l'article L. 441-6 du code de commerce, le Conseil constitutionnel a indiqué au point 73 de sa décision " que les amendes administratives prévues au paragraphe VI de l'article L. 441-6 du code de commerce et au 4° de l'article
L. 443-1 du même code dans leur rédaction résultant de l'article 123 de la loi, ainsi qu'au paragraphe II de l'article L. 441-7 du même code dans sa rédaction résultant de l'article 125 de la loi et au quatrième alinéa de l'article L. 441-8, inséré dans le code de commerce par l'article 125, ne peuvent excéder 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale, sauf en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive ; qu'en ce cas, le montant de l'amende encourue est doublé ; que ces amendes qui répriment des manquements aux dispositions mentionnées au paragraphe I de l'article L. 441-6, à l'article L. 443-1, au paragraphe I de l'article L. 441-7, et à l'article L. 441-8 du code de commerce ne revêtent pas, en elles-mêmes, un caractère manifestement disproportionné ". Enfin, aux points 75 et 76 de la même décision, le Conseil constitutionnel a précisé que " le surplus du paragraphe VI de l'article L. 441- 6 (...), dans leur rédaction résultant de l'article 123 de la loi sont conformes à la Constitution ". Le Conseil constitutionnel a ainsi seulement déclaré contraires à la Constitution, dans le paragraphe VI de l'article L. 441-6 du code de commerce dans sa rédaction résultant de l'article 123 de la loi déférée, le mot : " huitième ", les mots " et onzième " et les mots " le fait de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les mentions figurant à la première phrase du douzième alinéa du même I, le fait de fixer un taux ou des conditions d'exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes à ce même alinéa ". Si la société Au Forum du Bâtiment fait valoir que, depuis cette décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014, des circonstances de fait et de droit nouvelles sont intervenues, les changements qu'elle invoque sont liés, d'une part, à la seule mise en œuvre par l'administration des dispositions en cause durant quatre ans et ne peuvent en elles-mêmes être regardées comme des circonstances exceptionnelles de nature à justifier un nouvel examen de la constitutionnalité desdites dispositions. D'autre part, si la société requérante se prévaut d'évolutions jurisprudentielles pour soutenir que des circonstances de droit nouvelles justifient la transmission de sa question de constitutionnalité au Conseil d'État, le Conseil constitutionnel, saisi à nouveau des dispositions du VI de l'article L. 441-6 du code de commerce dans sa version issue de la loi du 9 décembre 2016, portant notamment à deux millions d'euros le montant maximal de l'amende pour une personne morale, a estimé, par une décision n° 2016-741 DC, en son point 91, que " les dispositions contestées définissent les obligations qu'elles édictent et les sanctions encourues avec une précision suffisante pour satisfaire au principe de légalité des délits et des peines ". Dans ces conditions, la société Au Forum du Bâtiment n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le premier juge a estimé que la seconde question de constitutionnalité qu'elle a soulevée était dépourvue de caractère sérieux et qu'il n'y avait dès lors pas lieu de la transmettre au Conseil d'État.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Au Forum du Bâtiment n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par les deux ordonnances attaquées du 16 avril 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à la transmission au Conseil d'État de deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur les dispositions du 9e alinéa du I et sur celles du VI de l'article L. 441-6 du code de commerce.
Sur le bien-fondé du jugement du 1er décembre 2020 :
En ce qui concerne la régularité de la procédure de sanction :
11. En premier lieu, la décision du 20 février 2018 a été signée pour le ministre de l'économie et des finances par Mme A... D..., nommée sous-directrice des affaires juridiques, des politiques de la concurrence et de la consommation à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes par un arrêté du 27 mars 2017 du Premier ministre et du ministre de l'économie et des finances, publié au Journal officiel de la République française le 28 mars 2017. En vertu des dispositions de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, Mme D... pouvait donc signer la décision contestée au nom du ministre.
12. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 2° Infligent une sanction ".
13. La décision du 20 février 2018, qui se substitue à la décision du 18 avril 2017 de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France, vise les dispositions du code de commerce dont il est fait application et répond longuement et précisément aux observations formulées par la société Au Forum du Bâtiment dans son recours hiérarchique du 13 juin 2017. Elle explique notamment les éléments pris en compte pour constater les manquements reprochés, et expose les raisons pour lesquelles le montant de l'amende infligée à la société requérante est ramené à 190 000 euros. Elle comporte ainsi de manière suffisamment précise l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
14. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 465-2 du code de commerce, dans sa version applicable au litige : " III. - Les manquements passibles d'une amende administrative sont constatés par procès-verbal, selon les modalités prévues à l'article L. 450-2. / IV. - Avant toute décision, l'administration informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu'elle peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix et en l'invitant à présenter, dans le délai de soixante jours, ses observations écrites et, le cas échéant, ses observations orales. ". S'agissant des mesures à caractère de sanction, le respect du principe général des droits de la défense suppose que la personne concernée soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et puisse avoir accès aux pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus, à tout le moins lorsqu'elle en fait la demande.
15. La société requérante soutient d'abord que la sanction litigieuse a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire dès lors qu'elle n'aurait pas eu accès à un fichier informatique établi par l'administration au cours de la procédure de contrôle, dont les formules de calcul étaient protégées par un mot de passe. Toutefois, alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'elle a eu connaissance de l'intégralité des pièces sur lesquelles est fondée la sanction, qui lui ont été communiquées sur un fichier informatique (cédérom) joint au courrier de la DIRECCTE du 9 janvier 2017, elle ne conteste pas que ce fichier informatique, qui détaillait facture par facture l'ensemble des dépassements de délai de paiement constatés, lui a bien été transmis, et elle n'établit pas avoir sollicité la communication des formules de calcul des retards de paiement et avantages de trésorerie indiqués pour chaque facture. Par ailleurs, le procès-verbal du 9 janvier 2017, constatant les manquements, contenait une description précise de la méthodologie employée par la DIRECCTE, détaillant notamment les formules de calcul des échéances de paiement, du retard moyen pondéré et de l'avantage de trésorerie. Enfin, dans le cadre de la procédure contradictoire préalable, la société Au Forum du Bâtiment a présenté ses observations par courrier du 1er mars 2017 et a donc eu l'occasion de poser ses questions à l'administration.
16. La société Au Forum du Bâtiment soutient ensuite que l'administration a irrégulièrement procédé à des auditions de ses employés sur le fondement de l'article L. 450-3 du code de commerce, alors qu'elle n'a pas été informée qu'elle pouvait se faire assister par un avocat au cours de l'enquête et que ses employés avaient le droit de garder le silence, en méconnaissance des stipulations de l'article 6§3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aux termes desquelles " Tout accusé a droit notamment à : (...) c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix. ". Toutefois, ces stipulations ne peuvent être utilement invoquées à l'encontre d'une sanction infligée par un service déconcentré d'une administration de l'État, qui ne s'apparente pas à une juridiction. Par ailleurs, le recueil de renseignements et de justifications auquel ont procédé les agents de la DIRECCTE le 4 février 2016, dans le cadre du contrôle sur place mené au sein de l'entreprise, ne saurait être regardé comme une audition au sens de l'article 28 du code de procédure pénale, alors notamment qu'aucune infraction n'était soupçonnée à ce stade et que les demandes de communication d'informations et de documents, formulées sur le fondement de l'article L. 450-3 du code de commerce, ne sont pas en elles-mêmes susceptibles de faire grief, dès lors que les informations et documents doivent être communiqués de façon volontaire ; ces dispositions ne confèrent donc aux agents aucun pouvoir général d'audition. La société Au Forum du Bâtiment n'est donc pas fondée à soutenir que les droits de la défense auraient été méconnus à ce titre.
17. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la sanction litigieuse lui a été infligée au terme d'une procédure irrégulière.
En ce qui concerne le bien-fondé de la sanction :
18. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 9 du présent arrêt, la société Au Forum du Bâtiment n'est pas fondée à soutenir que la sanction qui lui a été infligée était imprévisible faute d'existence d'une note de cadrage nationale comportant des " barèmes identiques ", en méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines rappelé par les stipulations de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aux termes desquelles " nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international ".
19. En deuxième lieu, la société requérante ne peut utilement se prévaloir d'un défaut de recherche, par l'administration, d'un élément intentionnel aux manquements commis, les dispositions de l'article 121-3 du code pénal qui prévoient notamment qu'" il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ", n'étant pas applicables aux sanctions administratives, qui résultent du constat, lors d'un contrôle administratif, de manquements à des obligations définies par la loi.
20. En troisième lieu, la société Au Forum du Bâtiment estime que la méthode mise en œuvre par l'administration pour établir les manquements sanctionnés repose sur une inversion de la charge de la preuve, en violation de la présomption d'innocence, dès lors que la DIRECCTE aurait procédé à une analyse informatique de données de façon arbitraire, sans examen réel des factures produites. Il ressort cependant du procès-verbal de contrôle que les éléments retenus par l'administration pour établir les manquements sanctionnés ont été extraits du logiciel comptable de la société requérante, laquelle n'a pas remis en cause la fiabilité de ces extractions comptables au cours de la procédure contradictoire, et alors qu'en application de l'article L. 123-23 du code de commerce, une comptabilité irrégulièrement tenue ne peut être invoquée par son auteur à son profit. Au demeurant, il résulte de l'instruction que les services de la DIRECCTE ont procédé, sans y être tenus, à la vérification de la fiabilité des écritures comptables sur la base d'un échantillon aléatoire de vingt-cinq factures sur les 34 609 factures du périmètre de contrôle. Enfin, l'administration a tenu compte, pour réduire le montant de l'amende infligée par la décision attaquée du 20 février 2018, d'erreurs de comptabilisation - factures faisant état de montants négatifs ou doublons - défavorables à l'entreprise, exclues de l'assiette de calcul de l'amende, au bénéfice de l'entreprise.
21. En quatrième lieu, la société requérante soutient que la méthode des " ratios comptables ", consistant à comparer la moyenne des délais de paiement des clients de la société avec celle des délais de paiement de la société vis-à-vis de ses fournisseurs, ne rend pas compte des délais réels de paiement de ses fournisseurs. Il résulte cependant de l'instruction que ce procédé n'a constitué qu'un indice pour le déclenchement d'investigations complémentaires et n'a pas fondé la sanction litigeuse, laquelle procède du constat du règlement de 6 579 factures, entre le 15 décembre 2014 et le 15 décembre 2015, avec un retard moyen de seize jours environ, soit 19 % des 34 609 factures contrôlées, pour un montant de 8,9 millions d'euros. Il ressort ainsi des termes de la lettre informant la requérante de l'intention de l'administration de lui infliger une sanction, et de la décision de sanction elle-même, que la rétention de trésorerie prise en compte pour fixer le montant de l'amende est bien celle résultant de l'analyse des écritures comptables, et non de l'utilisation de la méthode des " ratios comptables ". Par ailleurs, comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, si la société Au Forum du Bâtiment fait valoir que la valeur de la moyenne pondérée de retard, déterminée sur la base des seules factures litigieuses, serait artificiellement élevée, rien ne s'opposait à ce que l'administration s'appuyât sur une moyenne pondérée afin de mesurer l'importance moyenne des retards de paiement pour les factures réglées après échéances, lesquelles ont justifié la sanction en litige.
22. En cinquième lieu, la société requérante soutient que la sanction qui lui a été infligée est en partie fondée sur la prise en compte de données erronées, correspondant à des factures datées du 1er janvier 1900, à des factures au montant négatif, à des doublons ou erreurs de comptabilisation pour des factures payées dans les délais légaux. Toutefois, ces erreurs, dont il résulte de l'instruction qu'elles étaient ponctuelles et isolées, n'ont pas exercé une influence significative sur la sanction prononcée, alors par ailleurs que l'exclusion du champ du contrôle des factures de moins de 50 euros a bénéficié à la requérante. De même, les services de la DIRECCTE ont exclu du contrôle des factures présentant d'importants retards de paiement en raison de litiges avec les fournisseurs concernés. En tout état de cause, le ministre de l'économie et des finances a tenu compte, pour réduire le montant de l'amende infligée, des erreurs de comptabilisation constatées.
23. En sixième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 7 du présent arrêt, la société Au Forum du Bâtiment n'est pas fondée à soutenir que les dispositions du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, en ce qu'elles fixent comme point de départ de la computation des délais de paiement la date d'émission de la facture, portent atteinte au principe de personnalité des peines, au principe de la présomption d'innocence et au principe de légalité des délits garantis par les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par l'article 34 de la Constitution. La société requérante ne peut par ailleurs utilement se prévaloir de ce que l'article 3 de la directive 2000/35/CE du 29 juin 2000 fait référence à la date de réception de la facture et non à sa date d'émission, dès lors que cet article est relatif à l'exigibilité d'intérêts pour retard de paiement et non aux délais de paiement eux-mêmes.
24. En septième lieu, la société Au Forum du Bâtiment soutient que la sanction litigieuse est économiquement injustifiée, dès lors qu'elle ne dispose d'aucune position avantageuse à l'égard de ses fournisseurs, constitués de groupes plus importants qu'elle, que les faits qui lui sont reprochés n'ont causé aucun dommage à l'économie ou à ses fournisseurs, dont aucun n'a fait faillite du fait de ses retards de paiement, qu'elle est de faible taille et qu'elle a mené une politique d'investissements importants, créant ou sauvegardant de nombreux emplois. Ces circonstances ne peuvent toutefois être utilement invoquées pour contester le bien-fondé d'une sanction infligée en raison du constat des manquements mentionnés au point 21 du présent arrêt, et alors que les dispositions de l'article L. 441-6 du code de commerce, citées au point 5, n'excluent de leur champ d'application aucun acheteur de produits ou demandeur de prestations de services pour de tels motifs.
25. En dernier lieu, la société requérante soutient que le montant de la sanction est disproportionné, ayant été fixé de manière arbitraire et mettant en péril son activité et les emplois qu'elle a créés. L'amende initiale de 240 000 euros a cependant été ramenée par le ministre de l'économie et des finances à 190 000 euros, les dispositions alors en vigueur du VI de l'article L. 441-6 du code de commerce prévoyant que ce montant ne pouvait excéder 375 000 euros pour une personne morale. Eu égard à l'ampleur des manquements constatés, représentant 19 % des factures contrôlées sur une période d'une année, pour un montant cumulé de près de 9 millions d'euros, et à la situation financière de l'entreprise, dont le taux de marge brute d'exploitation en 2015 et 2016 était positif, permettant selon ses propres écritures une croissance rapide avec un effectif passé entre 2012 et 2017 de 219 à 550 salariés, il ne résulte pas de l'instruction que ce montant serait excessif, alors même que la société requérante n'avait jamais subi ni contrôle, ni injonction, ni avertissement avant l'infliction de l'amende contestée. Enfin, la société Au Forum du Bâtiment ne peut utilement faire valoir qu'elle aurait été sanctionnée plus sévèrement que d'autres entreprises, le montant de l'amende infligée par l'administration au titre des dispositions de l'article L. 441-6 du code de commerce étant déterminé au regard de constats de retards portant sur un nombre et des montants de factures différents, et en fonction de la situation propre à chaque entreprise contrôlée.
26. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité des requêtes enregistrées sous les nos 20PA03722 et 20PA03723, que la société Au Forum du Bâtiment n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par les deux ordonnances et le jugement attaqués, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à la transmission au Conseil d'État des deux questions prioritaires de constitutionnalité susvisées et à l'annulation de la décision du ministre de l'économie et des finances du 20 février 2018.
Sur les frais liés au litige :
27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société Au Forum du Bâtiment au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Les requêtes de la société Au Forum du Bâtiment sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Au Forum du Bâtiment et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 février 2022.
La rapporteure,
G. B...Le président,
I. LUBEN
Le greffier,
É. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N°s 20PA03721, 20PA03722, 20PA03723