Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 février 2021, le préfet de police demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 de ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur une méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 pour annuler son arrêté dès lors qu'il ressort des pièces produites en première instance que M. B... s'est vu remettre la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne, quel pays sera responsable de ma demande d'asile ' " et la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin, qu'est-ce que cela signifie ' ", dont les premières pages ont été signées par l'intéressé ; ces brochures ont été éditées en langue farsi/dari, langue que M. B... a déclaré comprendre ; par suite, il ne saurait être regardé comme ayant été privé d'une garantie et l'arrêté en litige n'est pas entaché d'un vice de procédure ;
- les autres moyens soulevés par M. B... en première instance ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à M. B..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission,
- le règlement (UE) n°603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013,
- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013,
- le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant afghan né le 8 décembre 1998, a sollicité le 15 octobre 2020 son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier " Eurodac " ayant fait apparaître que ses empreintes avaient été relevées le 9 décembre 2015 par les autorités suédoises et le 24 août 2017 et le 14 août 2020 par les autorités allemandes, le préfet de police a saisi, le 27 octobre 2020, les autorités suédoises et allemandes d'une demande de reprise en charge à laquelle les premières ont répondu favorablement le 30 octobre 2020, au titre du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, alors que les secondes l'ont refusée. Par un arrêté du 27 novembre 2020, le préfet de police a ordonné le transfert de l'intéressé aux autorités suédoises. Le préfet de police relève appel du jugement du 8 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé, à la demande de M. B..., cet arrêté.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 4 du règlement : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...). ".
3. Par ailleurs, il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
4. Pour annuler l'arrêté en litige comme méconnaissant les dispositions précitées, le tribunal s'est fondé sur la circonstance qu'en l'absence de la date, de la langue et de l'indication du nombre de pages sur l'étiquette apposée sur la page de garde de la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin- qu'est-ce que cela signifie ' " le préfet de police ne pouvait être regardé comme ayant satisfait aux obligations qui lui incombent dans la délivrance des informations écrites. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est vu remettre contre signature, le 15 octobre 2020, jour de son entretien individuel, le guide du demandeur d'asile ainsi qu'un document intitulé " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " (brochure A) et le 11 juillet 2019, jour de son entretien individuel, un document intitulé " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " (brochure B), documents qui comportent l'ensemble des éléments d'information énumérés par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il ressort également des pièces du dossier que la brochure B lui a bien été délivrée en langue farsi comme l'indique la mention " FA ", apparaissant en haut à gauche de la page de garde de cette brochure signée par M. B.... Si M. B... a déclaré comprendre uniquement le dari, il ne ressort pas des pièces du dossier, et alors que la langue dari est une variété orientale du farsi, usant du même alphabet, et que le farsi peut être lu par les locuteurs des deux langues, que M. B... n'aurait pas compris les informations comprises dans ces documents. De plus, à l'issue de l'entretien individuel réalisé le 15 octobre 2020 en langue dari, langue dans laquelle M. B... avait demandé à être entendu, le requérant a confirmé avoir compris les termes de cet entretien et en a signé le compte rendu, qui comporte les mentions " l'information sur les règlements communautaires m'a été remise ", et il n'a émis aucune observation ni aucune réserve concernant les documents qui lui ont été délivrés. Ainsi, aucun élément du dossier ne conduit à douter que le préfet de police ait remis à M. B... la brochure B, en langue farsi, dans son intégralité, le jour de l'entretien individuel. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'il n'aurait pas reçu, dans une langue qu'il comprend, tous les éléments d'information requis par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Dès lors, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a retenu le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information du demandeur d'asile énoncé à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 pour annuler l'arrêté en litige.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur les autres moyens soulevés par M. B... :
6. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ".
7. Il ressort des pièces du dossier, notamment des mentions et cachets figurant sur l'arrêté attaqué et sur le résumé de son entretien individuel, que M. B... a bénéficié, le
15 octobre 2020, d'un entretien individuel assuré par un agent de la direction de la police générale de la préfecture de police, service chargé d'instruire les demandes d'asile, que cet entretien a été réalisé en dari, langue comprise par l'intéressé, par le biais d'un interprète qualifié de l'agence ISM interprétariat dont le nom, le prénom et l'adresse sont indiqués, dans des conditions garantissant dûment la confidentialité des échanges, et que M. B... a été mis à même de signer le même jour le résumé de cet entretien et de certifier le caractère exact des informations y figurant. Enfin, si M. B... soutient qu'il n'a pas pu porter à la connaissance de la préfecture la langue dans laquelle il souhaitait que son entretien ait lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... a signé un document dans lequel il a déclaré qu'il souhaitait que son entretien se déroule en langue dari. Par suite, faute d'autre précision de la part du requérant sur les garanties dont il aurait été privé lors de cet entretien, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
8. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ".
9. D'une part, l'arrêté contesté a seulement pour objet de renvoyer M. B... en Suède et non en Afghanistan, son pays d'origine. La Suède, État membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il n'est pas établi ni même sérieusement soutenu qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Suède dans la procédure d'asile, ou que sa demande d'asile ne sera pas traitée dans les conditions respectant l'ensemble des garanties exigées par le droit d'asile. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités suédoises, avant de procéder à un éventuel éloignement de l'intéressé, n'évalueraient pas les risques auxquels il serait exposé en cas de retour en Afghanistan. Enfin, M. B... ne produit aucun élément tendant à établir qu'il serait personnellement exposé à des risques de traitements inhumains et dégradants en cas de transfert aux autorités suédoises.
10. D'autre part, la faculté laissée à chaque État membre par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. En l'espèce, il ne ressort d'aucune pièce du dossier qu'en s'abstenant de faire usage de cette faculté, le préfet de police aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 27 novembre 2020 et lui a enjoint de procéder à un nouvel examen de la situation de M. B.... Il y a lieu, par suite, d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement attaqué et de rejeter les conclusions à fin d'annulation, d'injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par M. B... devant le tribunal.
D E C I D E:
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2020756/8 du 8 février 2021 du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les conclusions à fins d'annulation, d'injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Paris sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise au préfet de police.
Délibéré après l'audience publique du 18 mai 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Jayer, premier conseiller,
- Mme C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mai 2021.
Le rapporteur,
G. C...
Le président,
Ch. BERNIERLe greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA00685 2