Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 octobre 2020 et 15 mars 2021, M. C..., représenté par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2004336 du 1er octobre 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
2°) d'annuler l'arrêté du 23 janvier 2020 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour portant la mention
" vie privée et familiale " ou à défaut, un titre de séjour portant la mention " salarié " à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête est recevable dès lors qu'elle critique les motifs retenus par le tribunal ;
- l'arrêté est entaché d'un défaut de motivation et d'un défaut d'examen complet de sa situation ;
- il est entaché d'un vice de procédure tiré du défaut de saisine de la commission du titre de séjour ;
- il méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît les dispositions de l'article 2 de la déclaration des droits de l'homme et de citoyen, de l'alinéa 10 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l'article 66 de la Constitution, de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et de l'article 9 du code civil ;
- le préfet a commis une erreur de droit en examinant sa demande de titre de séjour sur le fondement des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien ;
- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les dispositions de la circulaire du 28 novembre 2012 dès lors qu'il peut prétendre à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 décembre 2020, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution du 4 octobre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;
- le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne, signé le 28 avril 2008 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté interministériel du 18 janvier 2008 relatif à la délivrance, sans opposition de la situation de l'emploi, des autorisations de travail aux étrangers non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mach, premier conseiller,
- et les observations de Me D..., avocat de M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant tunisien, né le 10 septembre 1974, déclare être entré en France le 17 septembre 2011. Il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté en date du 23 janvier 2020, le préfet de police a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. C... relève appel du jugement du 1er octobre 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. L'arrêté contesté vise les stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du
17 mars 1988 ainsi que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et précise notamment que M. C... ne remplit pas les conditions permettant la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article 3 de l'accord franco-tunisien, ni celles de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il ne justifie pas de motifs exceptionnels ou de circonstances humanitaires. Par suite, il comporte les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et est suffisamment motivé.
3. Il ne ressort ni des termes de l'arrêté contesté, ni d'aucune pièce du dossier que le préfet de police n'aurait pas procédé à un examen complet et personnel de la situation de
M. C.... Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen de sa situation personnelle doit être écarté.
4. Aux termes de l'article 11 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord. / Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent Accord, dans les conditions prévues par sa législation ". Aux termes de l'article 3 du même accord : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention " salarié " ". Le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne, signé le 28 avril 2008 stipule, à son point 2.3.3, que " le titre de séjour portant la mention " salarié ", prévu par le premier alinéa de l'article 3 de l'accord du 17 mars 1988 modifié est délivré à un ressortissant tunisien en vue de l'exercice, sur l'ensemble du territoire français, de l'un des métiers énumérés sur la liste figurant à l'Annexe I du présent protocole, sur présentation d'un contrat de travail visé par l'autorité française compétente sans que soit prise en compte la situation de l'emploi (....) ". Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 (...) ".
5. Portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaires prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 313-14 n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte, mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour pour l'exercice d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour en cette qualité ne peut utilement invoquer les dispositions précitées de l'article L. 313-14 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national s'agissant d'un point traité par l'accord franco-tunisien. Toutefois, si l'accord franco-tunisien ne prévoit pas de modalités d'admission exceptionnelle au séjour à la différence de l'article L. 313-14 du code précité, les stipulations de cet accord n'interdisent pas au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit et d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.
6. M. C... soutient qu'il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que c'est à tort que le préfet de police a examiné sa demande sur le fondement de l'article 3 de l'accord francotunisien. Toutefois, ainsi qu'il a été dit, en tant que ressortissant tunisien, il ne pouvait prétendre à la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié " prévu par l'article L. 313-14. Dès lors, le préfet de police n'a pas commis d'erreur de droit en examinant la demande de titre de séjour présentée par M. C... en se prévalant de sa qualité de salarié au regard des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien, qui est applicable aux ressortissants tunisiens déjà présents sur le territoire français. En tout état de cause, il ressort des termes de la décision attaquée qu'après avoir constaté que M. C... ne remplissait pas les conditions de cet accord, le préfet de police a examiné la possibilité de l'admettre exceptionnellement au séjour.
7. Pour contester la décision de refus de titre de séjour, M. C... se prévaut de la durée de sa présence en France et de son expérience professionnelle. Toutefois, s'il affirme résider en France de manière continue depuis plus de neuf ans à la date de l'arrêté contesté, sa présence sur le territoire français n'est pas établie pour les années 2011 et 2015. En outre, si
M. C... produit des bulletins de salaires à compter de janvier 2016 justifiant d'une activité professionnelle en tant que technicien électroménager puis en tant que monteur de meubles dans une entreprise de transport routier de marchandises et de déménagement, ces emplois ne sont pas, en tout état de cause et contrairement à ce qu'il soutient, au nombre des métiers sous tension en Ile-de-France figurant à l'annexe de l'arrêté du 18 janvier 2008. Par ailleurs, ces éléments ne sont pas à eux seuls suffisants, au regard de la nature de son expérience, de ses qualifications professionnelles et des caractéristiques des emplois concernés, pour le faire regarder comme justifiant d'un motif exceptionnel de nature à justifier son admission exceptionnelle au séjour. Les énonciations de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne constituent pas des lignes directrices dont les intéressés peuvent utilement se prévaloir devant le juge. Dans ces conditions, le préfet de police n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en estimant que la situation de M. C... ne répondait pas à des considérations humanitaires ou à des motifs exceptionnels justifiant son admission au séjour au titre de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code, même s'il lui est toujours loisible de le faire à titre gracieux, notamment en vue de régulariser la situation de l'intéressé.
9. Il ressort des pièces du dossier que M. C... n'avait pas présenté de demande de titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ressort en outre de l'arrêté contesté que le préfet de police n'a pas procédé d'office à un examen de son droit au séjour à ce titre. Par suite, M. C... ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance de ces dispositions à l'encontre de l'arrêté contesté.
10. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. M. C... se prévaut de sa résidence continue en France depuis 2011, de la présence de son frère, de ses oncles, tantes et cousins ainsi que de son intégration professionnelle. Il ressort des pièces du dossier que M. C... est célibataire et sans enfants à charge sur le territoire français. L'intéressé, qui n'apporte aucun élément sur sa présence en France en 2011 et 2015, n'établit pas sa présence continue depuis huit ans à la date de la décision contestée. M. C... n'est par ailleurs pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où résident encore ses parents et son enfant mineur né en 2004 et où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de 37 ans. Dans ces conditions, et en dépit des activités professionnelles qu'il a exercées depuis 2016, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la décision a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au but en vue duquel elle a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
12. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 11, les moyens tirés de ce que l'arrêté en litige porterait atteinte à sa vie privée en méconnaissance de l'article 2 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, du 10ème alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 et de l'article 9 du code civil doivent être écartés.
13. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, disposition applicable en matière de référés, est inopérant et ne peut être qu'écarté.
14. Aux termes de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " la commission est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article L. 313-11 (...) ". L'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 n'a pas entendu écarter l'application des dispositions de procédure qui s'appliquent à tous les étrangers en ce qui concerne la délivrance, le renouvellement ou le refus de titres de séjour. Au nombre de ces dispositions figurent notamment les dispositions des articles L. 312-1 et L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet est tenu de saisir la commission du titre de séjour du cas des seuls ressortissants tunisiens qui remplissent effectivement les conditions prévues aux articles L. 313-11, L. 314-11, L. 314-12 et L. 431-3 ou par les stipulations équivalentes de l'accord franco-tunisien auxquels il envisage de refuser ce titre de séjour et non de tous ceux qui se prévalent de ces dispositions.
15. Si M. C... soutient qu'il remplit les conditions prévues par les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, M. C... ne peut utilement soutenir que le préfet était tenu de saisir la commission du titre de séjour dès lors qu'il n'a pas demandé son admission au séjour sur le fondement de ces dispositions et que le préfet de police, qui n'y était pas tenu, n'a pas examiné d'office son droit au séjour sur ce fondement. Par suite, le préfet de police n'était pas tenu de saisir la commission du titre de séjour avant de prendre la décision de refus de séjour.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera délivrée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme B..., président de chambre,
- Mme Julliard, présidente assesseure,
- Mme Mach, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 avril 2021.
Le rapporteur,
A-S MACHLe président,
M. B...Le greffier,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20PA03173 2